Des centaines de discussions entre membres de l'ultra-droite ont fuité sur Twitter. Identitaires, nazis, catholiques traditionnalistes se retrouvaient sur la messagerie chiffrée Télégram pour partager leur haine des étrangers et préparer des actions violentes.
C'est une plongée vertigineuse dans l'ultra-droite française. Des centaines de conversations entre militants identitaires de toute la France ont fuité le 2 avril dernier.
À l'origine de ces "leaks", le compte twitter Tajmaât, se présentant comme une "plateforme collaborative pour les Maghrébins".
Tajmaât a infiltré le groupe ultra-nationaliste "FR DETER" (pour "Français déterminés") et ses antennes en région qui regroupent des centaines de membres. Ce canal Telegram, supprimé à la suite du tweet de la plateforme, avait pour objectif de réunir des identitaires pour organiser des actions locales. "FR DETER est un mouvement encore très jeune. On est en pleine structuration dans toute la France," avance un de ces adeptes en Haute-Garonne.
Certains de ces membres n'hésitent pas à faire l'apologie d'Aldof Hitler ou du terroriste néo-zélandais, Brenton Tarrant, qui a tué 51 personnes dans deux mosquées de la ville de Christchurch. Des appels à la violence sont également lancés contre des personnalités politiques, des avocats et des journalistes.
Contacté, Taajmaât a accepté de transmettre les documents qu'elle a accumulés sur ce groupe rassemblant suprémacistes blanc, néonazis ou militants de Reconquête, le parti d'Eric Zemmour, à France 3 Centre-Val de Loire.
Haine de l'étranger
C'est un flot d'insultes racistes. Un point commun à l'ensemble des 23 groupes départementaux infiltrés par Tajmaât : "La salle de muscu sans arabe, ça fait du bien, les gars", écrit un utilisateur sur le groupe Pyrénées-Orientales de FR DETER qui compte 70 membres. "La cantine du lycée aussi, moins de problèmes, plus fluide, etc.", lui rétorque un autre dans la minute.
Je ne suis pas lâche comme nos amis maghrébins. J'aime la bagarre, taper de l'arabe avec mes frères blancs.
Discussion sur le canal FR DETER
Ces échanges peuvent être encore plus violents. Alors qu'un nouveau membre rejoint le groupe d'Indre-et-Loire, il annonce la couleur: "Salut, les gars, je viens de découvrir le groupe. Je suis prêt à casser du gnoule [bougnoule, ndlr]". Une affirmation nauséabonde à laquelle une autre utilisatrice lui répond : "C'est ce qu'on veut".
Organiser des actions coup de poing
Ces groupes tentent également de s'organiser avec plus ou moins de réussite. À Tours par exemple, sur la soixantaine de membres qui composent le groupe, seules "10 personnes' sont actives à en croire l'un des utilisateurs. Des actions pacifiques sont également organisées. Par exemple, devant la faculté de la ville, mais seuls quatre adeptes de FR DETER37 finissent par s'y rendre.
À Paris, des internautes se plaignent du manque d'engagement des autres membres : "Pour parler sur le groupe y a du monde, mais pour se bouger c'est le désert !"
Les Français avaient le choix entre le national-socialisme et la juiverie. Malheureusement nous connaissons la suite.
Discussion sur le groupe FR DETER
En revanche, d'autres groupes Telegram, semblent mieux organisés. À Lille, les FR DETER 59 ont organisé un sondage pour se rendre à une action coup de poing en marge du ramadan, sans que nous sachions si cela a été suivi d'effets.
À Bordeaux, l'un des utilisateurs se plaint que des personnes "fument leurs joints" en terrasse. "Alors dans ce cas-la les deter, si vous êtes chauds, on peut faire une décente" lui répond dans la minute, un utilisateur sous le pseudonyme "Gost Zolnierz".
Des politiques, des journalistes et des militants ciblés
En plus de cette obsession des étrangers, le groupe national des FR DETER a mis en place une longue liste qui vise des personnalités politiques nationales (en particulier de gauche) comme la quasi-totalité des députés de La France Insoumise.
Des élus locaux sont aussi dans le collimateur de FR DETER comme Pierre Cohen, l'ancien maire de Toulouse, ou Driss Ettazaoui, le vice-président de l'agglomération d'Évreux.
Enfin, des avocats comme Arié Alimi ou des journalistes comme Mathieu Molard, le rédacteur en chef du site Streetpress, sont également visés par cette liste.
"Je suis militaire"
Les profils des adhérents au groupe FR DETER sont variés : des pères de famille, des lycéens, une agente administrative d'une clinique, un étudiant en médecine ou encore un chargé de projet dans une entreprise de rénovation.
On trouve également des internautes qui se vantent d'appartenir à l'armée ou à la police : "Je dois rester assez discret à cause de mon boulot. Je suis militaire", écrit Julien qui dit habiter dans le Tarn-et-Garonne et travailler à Toulouse.
"Je suis CRS et je suis dans ce groupe", "je suis flic", assure d'autres membres. En Indre-et-Loire, France 3 Centre-Val de Loire a également été en mesure d'identifier un jeune sapeur-pompier de la brigade de Tours.
Les services de renseignements en alerte
Ces discussions témoignent d'un phénomène qui prend de l'ampleur et qui inquiète les services de renseignement français depuis plusieurs années : « Nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation […]. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires », alertait Patrick Calvar, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure, en mai 2016, lors d’une audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale.
"Sur instruction du ministre, un signalement, via la plateforme Pharos, a été adressé lundi à Telegram", a précisé l'entourage de Gerald Darmanin ajoutant que le ministre a demandé "aux services de travailler aux suites judiciaires à donner, en lien avec l'autorité judiciaire". Pour l'heure, aucune informations n'a été donné quant aux suites données à ce signalement.