Voilà maintenant 6 semaines que les avocats de Tours sont en grève et le mouvement semble se durcir. Mercredi 12 février, il y a eu la publication d’un communiqué de presse par la Magistrature locale et, ce jeudi, une centaine d’avocats a envahi la salle d’Audience.
Il est rare de voir autant d’avocats, vêtus de leurs robes noires, se retrouver réunis ainsi dans une même salle d’audience. À la place de leur écharpe blanche, certains ont mis une étoffe rouge afin de symboliser, disent-ils, cette ″colère″ qu’ils retiennent depuis des semaines. L’objectif, clairement affiché, est de faire pression sur la Présidente du tribunal correctionnel de Tours, afin d’obtenir le report des jugements. Tout se passe dans une ambiance apparemment policée, mais dans la salle du tribunal l’air est un peu électrique. Ce jeudi 13 février, Vincent Brault-Jamin, Bâtonnier du barreau de Tours, prend en premier la parole pour lire un communiqué. Il demande au gouvernement et à la Ministre de la justice d’écouter leurs revendications et leurs inquiétudes concernant la réforme des retraites : ″La moitié des avocats de Tours est fortement impactée et il s’agit de la survie professionnelle de certains de nos confrères et de leurs salariés qui sont en jeu.″
Depuis le début du mouvement il est habituel que certains avocats, devant plaider, demandent le report de leur audience. Cette grève du zèle a provoqué des renvois massifs de dossiers et un ralentissement de la justice dénoncé dans un communiqué de presse, envoyé mercredi 12 février, et signé par le Directeur de Greffe, le Procureur de la république et le Président du Tribunal. Dans ce communiqué de presse, ces trois hauts magistrats « s’émeuvent de la présence massive d’avocats lors des audiences » qu’ils disent ″vécue, et peut-être même conçue, comme un moyen de pression sur les juges″. Plus loin, ils ″appellent à l’apaisement et au respect des règles du vivre ensemble. ″ et ils demandent ″un retour rapide à un fonctionnement normal de la juridiction. ″
Pour Vincent Brault-Jamin, ces coups d’éclats sont aujourd’hui nécessaires, car ils ne sont toujours pas entendus : ″On a été contraint de rentrer dans ce mouvement dur, car c’est la seule façon pour nous d’être entendus par la Chancellerie. Il a déjà fallu 15 jours de mouvement avant que l’on soit reçu à la Chancellerie, ce qui n’est pas normal. Dans un pays démocratique moderne, on discute, on reçoit en amont. On peut avoir des divergences, mais on cherche à trouver un compromis. Pour l’instant, avec le gouvernement, cela n’a jamais été le cas. ″
Malgré la pression des avocats, la présidente de l’Audience a préféré maintenir le jugement de certains dossiers, tous ceux qu’elles considéraient comme ayant un caractère d’urgence. Avec la grève des avocats qui dure depuis décembre, beaucoup de dossiers ont été reportés et cela pénalise les justiciables. Christophe Régnard, Président du Tribunal de Tours, comprend les inquiétudes des avocats, mais il aimerait aussi que cette grève trouve une issue : ″On ne peut pas continuer comme cela avec un Tribunal à l’arrêt. On a déjà 10 à 15 % des dossiers de l’année qui ne vont pas pouvoir être traités, un moment cela n’est plus possible. Il y a des attitudes et des comportements qui, au bout de 6 semaines, génèrent des tensions. Hier, il y avait un filtrage devant le palais. On a aussi des applaudissements dans la salle d’audience quand un renvoi est obtenu. Ce sont des choses qui ne sont pas acceptables et qui ne correspondent pas aux standards d’une justice sereine. ″
Alors, la robe brûlerait-elle entre les avocats et la magistrature ? Pour Constance D’Indy, avocate au barreau de Tours, envahir ainsi la salle d’audience, avec tous ses collègues vêtus de leurs robes noires est un geste symbolique fort. Pour autant, elle ne veut pas opposer les personnes :
Il ne doit pas y avoir d’animosité entre nous et les magistrats. Ce ne sont pas eux qui sont visés par notre grève. Nous sommes tous des auxiliaires de justice.
Vincent Brault-Jamin, bâtonnier, va aussi dans ce sens : ″On a toujours fait la différence entre les dossiers prioritaires et notre droit de grève. La preuve, pour les crimes les plus graves, les Assises se sont toujours tenues normalement à Tours, malgré nos 6 semaines de grève.″ Pour le bâtonnier, la réforme des retraites, telle qu’elle est prévue par le gouvernement, est inenvisageable en l’état : ″On ne vote pas un principe pour, ensuite, découvrir les conséquences financières. Le gouvernement devrait évaluer l’impact de cette réforme sur les citoyens, discuter avec eux et ensuite, s’il y a un consensus, on vote. Là, on nous propose la solution inverse.″
Lundi prochain, le 17 février, les avocats de Tours vont à nouveau se retrouver en AG. Ensemble, ils vont décider de la reconduction, ou pas, de la grève et des moyens qu’ils vont employer pour se faire entendre.