Ils enchaînaient les conventions, l'organisation d'événements pour les entreprises dans le monde entier et puis, subitement, le 2 mars, plus rien. Avant même la période de confinement, les clients ont annulé tous les événements prévus jusqu'en juin. Une perte estimée à plus de 2,8 millions d'euros.
Tout comme la restauration, le tourisme ou les transports, le secteur de l'événementiel est l'un des secteurs d'activités les plus touchés directement par la crise. A tel point qu'Emmanuel Macron a pensé à citer cette filière lors de sa dernière allocution télévisée du 12 mars dernier. D'ordinaire sur les routes ou dans les aéroports, Franck Frugier a donc accepté de se livrer sur cette crise sans précédent. Séminaires, conventions, "Mandrego" est une des agences phares en France qui organise des évènements pour les salariés des grands groupes dans le monde entier. Des événements qui accueillent plusieurs dizaines à plusieurs milliers de salariés d'un même groupe ou d'un même réseau de distribution. Le directeur de l'agence, basée à Ballan-Miré près de Tours, a rarement le temps de répondre mais là, il a accepté de le faire, alors que la période n'a jamais été aussi sensible et incertaine.
Contrats, clients, salariés, partenaires, avenir de la filière : il répond aux questions, sans écarter les sujets les plus délicats. En ce début avril, il aurait dû être en Californie, mais le Covid-19 en a décidé autrement.
- Quand avez-vous vu arriver cette crise ?
Ca été le début de la déferlante. Je me suis dit, au début de cette crise, ce break imposé peut être salutaire. J’ai beaucoup de clients à des hauts degrés de responsabilités. Je me suis dit pour eux, ce rythme fou va leur faire du bien, on va pouvoir tous se recentrer sur des valeurs, sur l’essentiel. On va éradiquer les mauvaises pratiques... Mais aujourd’hui, c'est déjà l’acte 2.
Dans notre métier, ce ne sera pas deux mois de confinement. C’est minimum 6 mois pour notre profession. J’ai des exemples précis de clients qui font 1 milliard et demi de chiffre d’affaires, qui me disent qu’au 30 juin on sera en cessation de paiement...
La preuve que notre métier est fragile
- Quelle est la situation avec vos clients ?
On a gagné cet appel d’offre sur un critère essentiel : celui de proposer l'accès à l’exposition universelle prévue à Dubaï (organisée aux Emirats arabes unis du 20 octobre 2020 au 10 avril 2021). Et bien, dans les jours qui vont arriver, on va apprendre que l’exposition universelle va être reportée.
C’est bien là preuve que notre métier est fragile, c’est du billard à 3 bandes. Ce n’est plus la cause sanitaire, la crise, mais la répercussion de celle-ci. La journée prévue au sein du pavillon France était l’un des moments forts de cette convention. Le problème, c’est que j’ai déjà versé un très gros acompte aux hôteliers sur place.
En plus de tout cela, on rentre dans un bras de fer : les hôteliers là-bas, ils ne comprennent pas, car toutes les conditions sont réunies pour nous recevoir. Ils me disent "Si vous ne venez pas, ça veut dire que vous annulez, cela va vous coûter tant".
C’est au rouge, à tous les étages. Et ça risque d’empirer. Du 25 août au 10 octobre, on a vingt-trois ou vingt-quatre événements prévus, normalement. Depuis deux jours, je suis très inquiet. Même le Salon de l’Auto, ils l’annulent.Mais il y a un deuxième effet : tous les projets de la deuxième partie d'année ont été stoppés. Pire, tous les contrats qui étaient en cours de confirmation sont arrêtés. C’est pourtant ce qui nous aurait permis de finir le 2e trimestre jusqu’à fin juin.
Vouloir réunir, un million de personnes c’est un peu inquiétant, mais la vraie raison elle est matérielle. Il faut créer les stands, et comme on ne peut pas travailler, préparer en amont, les constructeurs annulent avant de lancer la production. L’Exposition universelle, c’est pharaonique. Aucun pays ne peut travailler sur son pavillon actuellement, cent soixante quinze participent. Heureusement, les salons les plus modestes sur de courtes périodes sont maintenus.
- Quel est l’impact humain pour sur vos équipes basées à Paris et Ballan-Miré ?
Certains de mes salariés viennent de s’installer, d’acheter un appartement. Mais je ne les lâcherait pas, on va affronter cette crise.
Un "nouveau départ" ?
- Certains clients ont-ils voulu maintenir un événement avant le début du confinement ?
Ils ont essayé de faire de la résistance en se disant "on va respecter les gestes barrières et les consignes sanitaires" mais parallèlement les directives étaient de ne pas se réunir en groupe. Donc ça ne pouvait pas tenir longtemps.
- À votre avis, comment vont réagir vos clients après la fin du confinement ?
Ce sera le signe que ça repartira. Idem pour le leader sur les marchés de saumon fumé et du foie gras : on doit organiser un événement fin août. Trois cents salariés devaient se préparer aux stratégies de vente pour les fêtes de fin d’année. Il faut avoir conscience que l’événement en soi, ce n’est pas la priorité : Avant d’organiser des événements pour souder les équipes, les managers vont se poser la question de savoir dans quel état financier allons nous sortir de cette crise !
Alors, deux scénarios possibles après cette crise, tout dépendra de la personnalité du manager : certains vont attendre pour réorganiser des événements, d’autres vont s’appuyer sur ce moment historique pour lancer la reconstruction. On verra bien, j’ai confiance.
- Que vous inspire cette période après toutes ces années de travail ?
Je voulais travailler plus encore, appeler mes clients, soutenir mes collaborateurs, mais je n’ai rien à leur proposer comme solution. Et pourtant dans l’événementiel, c’est ce qui fait la force et la nature de notre métier, on trouve toujours une solution. Depuis 48 heures, j’ai une baisse de moral, mais on va repartir. Je suis passé d’une situation florissante et saine (il soupire) à.....En deux mois tout est remis en question, vingt-cinq ans de travail. Et ça j’ai du mal à l'accepter.
On a une dette fournisseurs proche de zéro. Et là, jour après jour, on se dit comment on va faire. On se dit, on va maintenir les salaires, je l’ai fait pour mars. Dans certaines autres agences, certains ne savent pas s’ils vont pouvoir payer les salaires d’avril.
Car chaque jour en plus, il faut un critère nouveau pour être éligible au chômage technique. Le problème du chômage du technique, ce sera réglé quand on aura l’argent sur les comptes. Pour l’instant, personne n’a encore rien touché, pas un seul centime. Mais bien sûr, on comprend la situation. J’ai accepté plein de choses, mais la sortie va être compliquée.
L'inertie va tuer des boites pas la crise
- En voulez-vous au gouvernement, à la politique qui est menée ?
Mais le zéro recette, zéro dépense... est-ce viable ? Beaucoup d'entreprises vont être en sommeil pendant des mois dans notre secteur d’activité.Si l’État tient ce qu’il a promis, même si je ne suis pas un fervent défenseur de l’État providence, ce sera formidable.
- Quels sont les risques pour la filière, la profession ?
Pas un secteur prioritaire
- Comment tenez-vous de maintenir le contact avec vos clients ?
Après la fin du confinement, il faudra attendre que cela reparte.
Il y aura sans doute des choses plus urgentes que des conventions, des événements pour motiver les forces de vente. Mais nos clients ne sont pas réduits à des personnes qui signent des devis, alors pour cela, j’ai de l’espoir.On prend conscience que nous ne sommes pas prioritaires. On est un partenaire important de nos clients, mais nous ne sommes pas prioritaires.
- Quel est votre quotidien depuis 15 jours ?
Tant qu’il n’a pas la date du report, le client ne paye pas. Donc là, c’est difficile de réclamer le paiement. Mais moi, j’ai des fournisseurs à payer.
- Quels sont les résultats pour mars-avril-mai ?
- Et vos fournisseurs ?