En décortiquant les résultats d'analyses publiées pendant 75 ans, une équipe de chercheurs du CHRU de Tours vient de prouver qu'une exposition professionnelle aux pesticides augmente le risque de leucémie. Une sérieuse contribution aux débats sur l'utilisation de ces produits par les agriculteurs.
Ce n'était jusqu'alors qu'une suspicion : en 2007 une publication scientifique évoquait déjà le risque de développer une leucémie après exposition à de fortes doses de pesticides mais sans en faire la démonstration, sans établir de lien statistique.
C'est désormais chose faite grâce au professeur Olivier Herault, Chef du service d'Hématologie biologique, et à son équipe, constituée des docteurs Amélie Foucault et Nicolas Vallet, ainsi que du professeur Emmanuel Gyan. Deux ans de recherches ont été nécessaires pour mettre en évidence ce lien entre un usage professionnel des pesticides et le risque de leucémie aiguë myéloïde :
"Ce cancer de la moelle osseuse est le plus fréquent et le plus grave chez les adultes, explique le professeur Herault. Sur trois énormes bases de données mondiales, nous avons analysé tout ce qui avait un lien avec les pesticides entre 1946 et 2020, soit sur 75 ans. Sur près de 7000 références, nous avons utilisé des critères de méta-analyse extrêmement précis et identifié 14 publications exploitables. Ce qui représente environ 4 000 patients et 10 000 témoins."
Et le résultat de cette méta-analyse est sans appel :
"Chez les sujets exposés à une forte dose de pesticides, le risque relatif de développer ce cancer est de 1,51, c'est à dire 50% de risques en plus que chez une personne non exposée."
Pour établir que ce lien statistique correspond bien à une réalité médicale, les chercheurs tourangeaux ont utilisé ensuite d'autres données disponibles : la consommation par hectare, ces 25 dernières années aux USA, de pesticides et l'incidence des leucémies sur la même période. Il existe effectivement une corrélation entre les courbes.
Le sujet, bien sûr, est sensible : ce n'est qu'au bout de huit mois, après de multiples vérifications de ces travaux, que l'étude tourangelle a finalement été publiée dans le journal Scientific Reports.
Et maintenant, que faire de ce lien statistique établi entre pesticides à haute dose et risque de leucémie ?
À l'évidence, les agriculteurs (en agriculture conventionnelle) doivent limiter le plus possible les doses utilisées de pesticides (la "juste dose au bon endroit") et se protéger au mieux (tenue de protection, masque,etc). Et, sans doute, aussi, faut-il revoir les distances légales entre zones d'épandage et lieux d'habitation. Enfin, si la leucémie aiguë myéloïde n'est aujourd'hui pas reconnue comme maladie professionnelle, l'étude peut nourrir la réflexion sur la prise en charge de cette maladie.
Les chercheurs tourangeaux, eux, n'entendent pas en rester là :
"Il nous faut maintenant comprendre les mécanismes biologiques qui sont à l'oeuvre, reprend le Pr Herault, car il n'y a pas de lien de causalité dans notre étude. Pourquoi le système qui fabrique des globules blancs et rouges ainsi que des plaquettes dans la moelle osseuse se met-il à dysfonctionner sous l'influence de pesticides? Y répondre permettra peut-être de trouver des pistes pour bloquer les conséquences néfastes des pesticides dans la moelle osseuse. Nous y travaillons actuellement."
L'équipe tourangelle entend également se pencher sur l'exposition à de faibles doses de pesticides, qui concerne, elle, l'ensemble des consommateurs et non plus seulement les agriculteurs. Selon le Pr Hérault, la population générale est certes exposée à de très faibles doses de différents pesticides, mais "la problématique est plutôt la combinaison par effet-cocktail de ces faibles doses et ses conséquences sur la santé humaine à long terme."