Violences conjugales : "Tant qu'on ne s'occupera pas des auteurs, il y aura toujours des victimes"

Depuis 2019, la prise en charge des auteurs de violences conjugales est institutionnalisée, via des structures spécialisées. En pratique, elle n'était jusqu'alors que le fait d'initiatives locales, comme à Tours, ville précurseuse sur le sujet. La structure tourangelle organisait, en octobre dernier, un colloque pour se faire connaître.

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Orléans est la capitale régionale, c'est un fait. Pourtant, le centre de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) du Centre-Val de Loire se situe à Tours, en Indre-et-Loire. Né sous ce nom en 2019, à la suite du Grenelle contre les violences faites aux femmes, le CPCA existait déjà à Tours sous l'appellation d'Athoba. Une structure qui a compris, dès les années 2000, que la lutte contre les violences intrafamiliales ne passait pas que par la sanction, mais aussi pas un accompagnement thérapeutique des conjoints violents. Plus de 20 ans avant que l'État ne se saisisse de la question.

"Ça marche, il y a très peu de récidive"

Concrètement, le CPCA accueille des personnes (très majoritairement des hommes) orientées par la justice, dans le cadre de stages de responsabilisation par exemple, mais aussi des volontaires. Le but : les faire réfléchir au sein de groupes de parole, avec des psychologues, les aider à comprendre leurs actes, leur violence, pour faire diminuer la récidive. "Ça marche, il y a très peu de récidive après un accompagnement par des acteurs sociaux", constate le procureur Grégoire Dulin.

"Avant, on était une initiative locale avec des crédits qu'on allait chercher à droite à gauche", rappelle Sabine Rebeix, la directrice du pôle social et médical d'Entraide & Solidarités, association tourangelle qui prend en charge le CPCA. Depuis le Grenelle, le centre bénéficie d'un budget spécifique. Une "petite révolution" pour l'association, avec "une capacité de professionnaliser notre action", se réjouit Sabine Rebeix.

Marché des bonnes idées

Le 20 octobre, elle était en charge de l'organisation, au cinéma CGR du centre-ville, d'un colloque dédié à la prise en charge des auteurs de violences conjugales. Avec un double objectif : "faire connaître le CPCA en tant que centre de ressources sur le sujet", et aussi en faire la publicité "auprès des professionnels, qu'ils nous découvrent et puissent orienter vers nous", détaille Anne Leroux, la responsable du CPCA du Centre-Val de Loire.

Dans le public du colloque, se trouvent de nombreux professionnels confrontés aux questions de violence conjugale : assistants sociaux, avocats, personnels médicaux, aide à l'enfance, forces de l'ordre. Mais aussi la préfète d'Indre-et-Loire Marie Lajus, et le procureur de la République de Tours Grégoire Dulin.

"Le tout-carcéral, on ne le souhaite pas", a ainsi lancé ce dernier depuis la scène, en guise de mot d'introduction. Lui-même reconnaît que "la prison est un moment d'exclusion". Il faut donc "apporter une justice autre", confie-t-il à France 3. Et des idées pour y arriver, le colloque en avait à proposer. "Je ne suis pas venu pour faire le mot d'ouverture, mais plutôt pour écouter les intervenants, ça donne des pistes sur ce qu'on peut faire."

Le colloque faisait intervenir des invités étrangers, du Québec et de Belgique notamment, où la question de la prise en charge des auteurs est prégnante dans la gestion des violences conjugales depuis bien plus longtemps qu'en France. Première conférence : Jean-Martin Deslauriers, professeur à l'école de travail social de l'université d'Ottawa, au Canada, venu détailler les différents profils de conjoints violents.

Comprendre n'est pas excuser

Car, selon lui, la prévention a pendant trop longtemps visé "la violence extrême", ce qui aurait "désensibilisé" le public sur la violence moins visible, les insultes répétées ou la manipulation par exemple.

Moins visible aussi pour les professionnels. Ainsi, le professeur Deslauriers passe à l'assistance une vidéo d'un homme, qui dit avoir hacké le portable de son ex-compagne, qu'il accuse de le tromper. "Qui aurait eu envie de l'aider ?", demande-t-il. Six mains se lèvent dans le public, composé de plus de 200 invités, où courent quelques rires ironiques sur le profil presque ridicule de l'homme qui se filme. Des rires qui font place à une stupeur gênée lorsque Jean-Martin Deslauriers assène : "Il a tué sa compagne deux semaines plus tard.

Pour le professeur québécois, "comprendre la logique de l'auteur, et non pas sa violence", peut permettre de créer un lien de confiance avec lui, "pour susciter un changement". Et c'est bien là toute la mission des CPCA, avec leurs groupes de parole où les conjoints violents discutent entre eux, avec des intervenants psycho-sociaux.

Lutter contre la récidive

Ces méthodes, l'association belge Praxis les met en œuvre depuis les années 90. Avec un certain succès : 21% des auteurs récidivent après avoir participé au programme de l'asso avec groupes de parole, contre 52% après un emprisonnement sans prise en charge. Selon les chiffres donnés sur scène par Julie Lambert-Carabin, psychologue et intervenante chez Praxis.

On fait un travail sur la corde, entre le soutien et la confrontation.

Julie Lambert-Carabin, psychologue à Praxis

Au cours des séances de groupe chez Praxis, sont abordées les relations familiales et conjugales, la régulation émotionnelle, ainsi que les représentations de genre. Car la prévention de la récidive passe aussi par la compréhension de la violence comme outil de domination masculine. "Il faut donner une autre vision de la masculinité", explique la psychologue. D'autant que la masculinité pousse les hommes à ne pas demander de l'aide. "La masculinité, c'est l'autonomie, la négation des problèmes, et cacher ses émotions", affirme Jean-Martin Deslauriers.

Faire naître la motivation au milieu de la contrainte

Tout le défi vient donc, pour Praxis comme pour le CPCA de Tours, de faire naître le désir de changer chez des hommes contraints -par la justice, leur famille ou leur compagne- de venir consulter, de venir en parler. Chez Praxis, un peu plus d'un homme sur deux finit le parcours d'accompagnement. Et certains reviennent après l'avoir achevé, tout comme à Tours. "Ils nous rappellent pour débriefer, ou parce qu'ils sont dans un moment de fragilité, complète Anne Leroux, la responsable du CPCA du Centre-Val de Loire. Ils savent qu'ils ont un filet de sécurité."

En Indre-et-Loire, 160 conjoints violents sont pris en charge pour des stage de responsabilisation, et 80 autres participent à des groupes de parole. Des groupes avec d'autres conjoints violents, pour partager leurs expériences, se sociabiliser, sortir de la spirale de la violence. Le CPCA commence aussi à se développer en Loir-et-Cher et dans le Loiret. Sur les autres départements de la région, le déploiement arrivera dans les mois qui viennent.

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