La cour de révision vient de donner raison à la fille du garde-chasse abattu en décembre 1946 : elle annule la demande de révision qui avait été obtenue en octobre 2023, après 40 ans de combats judiciaires, par le comité de défense des chasseurs de la Brenne Raymond Mis et Gabriel Thiennot.
78 ans après les faits, le meurtre du garde-chasse Louis Boistard à Saint-Michel-en-Brenne le 29 décembre 1946, nouveau rebondissement judiciaire dans l'interminable procédure de réhabilitation des deux chasseurs indriens Mis et Thiennot.
Après 6 requêtes en révision de leur procès, toutes rejetées, la septième devait être la bonne : il y a un peu plus d'un an, le 5 octobre 2023, la justice avait annulé les procès-verbaux de la garde à vue et ordonné un nouveau procès, à titre posthume, pour les deux hommes.
Mais la fille de Louis Boistard n'était pas présente à l'audience et a donc contesté toute la procédure. La cour de révision lui a ce matin donné raison :
"En 2023, nous avions démontré que nos clients avaient été torturés en garde à vue pendant 8 jours, explique Me Pierre-Emmanuel Blard, l'avocat du Comité Mis et Thiennot. Nous avions demandé et obtenu l'annulation de tous les procès-verbaux, plus d'une vingtaine, sur lesquels ils avaient avoué les faits. Or, pour ce débat en 2023, la partie civile n'avait pas été convoquée, une erreur commise par la chambre d'instruction. Nous repartons donc à zéro, sur ce débat autour des violences policières."
Retour devant la commission d'instruction
L'affaire est donc loin d'être terminée. Cette nouvelle annulation d'un procès en révision est évidemment une déception pour tous ceux qui sont bien décidés à laver l'honneur de Raymond Mis et Gabriel Thiennot. Mais il ne s'agit, selon l'avocat, que d'un contretemps dans la procédure :
"Il y aura d'abord une nouvelle audience devant la commission d'instruction, au sujet des tortures subies pendant les 8 jours de garde à vue, et nous devrons de nouveau solliciter l'annulation des procès-verbaux. Si nous obtenons gain de cause, comme en 2023, la cour de révision nous convoquera pour réviser ce procès. C'est à cette occasion que nous demanderons l'annulation des condamnations de Raymond Mis et Gabriel Thiennot."
L'avocat de la partie civile (c'est-à-dire Françoise Boistard, la fille du garde-chasse), Me François Saint-Pierre, s'est, quant à lui, contenté d'un communiqué assez laconique, ce matin :
"Je prends connaissance de la décision de la cour de révision qui répond favorablement à ma demande. Une nouvelle audience de la commission se tiendra bientôt. Nous y participerons activement pour discuter si oui ou non les aveux de Mis et Thiennot ont été extorqués par violence par la police ou non. Ce qui reste à démontrer."
Retour sur les faits : près d'un étang à Saint-Michel-en-Brenne, le corps de Louis Boistard est retrouvé criblé de balles le 31 décembre 1946. L'homme est un garde-chasse qui travaille pour les Lebaudy, richissime famille d'industriels qui possède le château de Blizon et son domaine de 2800 hectares.
Des aveux sous la torture ?
Les soupçons se portent immédiatement sur un groupe de 14 chasseurs, en battue dans le secteur deux jours plus tôt. Parmi les suspects se trouvent Raymond Mis, le fils d'un ouvrier polonais et Gabriel Thiennot, issu d'une famille très pauvre et dont le père est un ancien métayer des Lebaudy.
L'interrogatoire des chasseurs va être mené par la police dans la mairie de Mézières-en-Brenne, durant 8 jours et 8 nuits, à une époque où la garde à vue n'est pas encadrée par la loi.
Dès les premiers jours de janvier 1947, Raymond Mis et Gabriel Thiennot passent aux aveux. Mais tous les témoignages de l'époque indiquent que les interrogatoires ont viré à la séance de torture. Et les deux hommes renient ces aveux dès leur arrivée en détention.
Pas moins de trois procès auront lieu, à Châteauroux, Poitiers et Bordeaux, les deux hommes continuent à clamer leur innocence, mais en vain. Le 15 juillet 1950, la cour d'assises de Gironde les condamne à 15 ans de travaux forcés et 10 ans d'interdiction de séjour.
Graciés, mais coupables
Sous la pression populaire, ils seront finalement graciés en 1954, à mi-peine, par le président René Coty. Mais pour le restant de leur vie, ils demeureront des coupables aux yeux de la loi.
En 1980, l'écrivain Léandre Boizeau relance l'affaire avec son livre-enquête "Ils sont innocents". Dans la foulée se crée le comité de soutien pour la révision du procès, dont il est encore, aujourd'hui, le président d'honneur.
Pas moins de 6 demandes de révision vont être déposées, rejetées les unes après les autres. Gabriel Thiennot meurt en 2003, puis Raymond Mis en 2009.
La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire change la donne en ouvrant la porte à une révision pour "des condamnations prononcées par une cour d'assises (…) après des aveux recueillis à la suite de violences exercées par les enquêteurs ". Elle est à l'origine de cette septième requête en révision.
Le combat continue
Le comité de soutien Mis et Thiennot a organisé une conférence de presse ce jeudi 5 décembre en fin d'après-midi. La présidente Helga Potier a affiché sa détermination à poursuivre le combat, malgré ce nouveau revers :
"La justice vient d'annuler sa propre décision de l'année dernière, suite à un vice de forme, car la partie civile n'a pas été convoquée à l'audience. Cela signifie simplement pour moi que l'a justice admet s'être trompée sept fois, lors de nos sept requêtes ! Ce n'est ni à nous, ni à nos avocats de vérifier que tout est bien conforme. Comme d'habitude, nous subissons ces failles de la justice, mais nous sommes déterminés comme jamais, même si l'on cherche à nous mettre des bâtons dans les roues, à ralentir le processus."
La date du prochain passage devant la commission d'instruction n'est pas encore fixée, il faut attendre les convocations. Me Pierre-Emmanuel Blard espère que l'audience pourra se tenir au cours du premier semestre 2025.