Quelle place pour les femmes dans le monde agricole ? Trois femmes, trois soeurs, racontent comment elles ont réussi à devenir agricultrices sur leur terre natale, dans le Cher. Leur déclic, leurs difficultés mais surtout leur réussite.
Dans le documentaire de Rachid Merabet "Les sœurs 13 blés" disponible en replay sur la plate-forme france.tv, nous avons rencontré plusieurs agricultrices de Centre-Val de Loire qui nous expliquent leurs parcours.
L'installation des femmes en agriculture progresse. Un quart des chefs d'exploitation en France sont des femmes.
Il a fallu attendre 1961 pour que le mot "agricultrice" entre dans le dictionnaire français. Les femmes d'agriculteurs ont pourtant souvent joué un rôle important dans la vie des exploitations.
En effet, jusque-là, elles travaillaient dans l'ombre de leur mari. Ce n'est qu'en 1980 que le statut de coexploitant voit le jour. 5 ans plus tard, la loi a permis aux couples de s'associer via une EARL (c'est à dire Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée). Il faudra attendre 5 ans de plus pour pouvoir adopter le statut de "conjoint collaborateur".
Mais ce n'est toujours pas assez. En 2006, la couverture sociale est étendue aux conjointes d'exploitants et en 2011 le GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun) entre époux est instauré.
Pourtant entre 2007 et 2017 le nombre de conjointes collaboratrices a été divisé par deux selon la MSA.
Les femmes sont des hommes à temps plein
Les stéréotypes, les écarts de salaires, la retraite. Il reste encore de longues batailles à mener.
Lorsque les jeunes garçons se familiarisent avec les engins agricoles on entend dire que les filles vont "abimer leurs tracteurs". Ce maintien des stéréotypes ne peut durer. Ces préjugés passés discréditent les volontaires. Ainsi, on reste persuadé que les femmes sont plus portées par l'agroécologie sans pouvoir le prouver. La faute à qui ?
Justine, Sandie et Anaïs : les sœurs Floquet
La fromagerie des 13 Blés est située à Loye-sur-Arnon près de Saint-Amand Montrond dans le Cher, ces trois sœurs cogèrent cet espace de vente.
L'histoire commence en 2013 avec Justine. Elle se lance dans des études agricoles et s'installe dans l'élevage de chèvres. Elle s'associe ensuite avec un fromager en 2014. Mais cela ne dure qu'un an. Se retrouvant seule, ses sœurs décident de venir la soutenir.
Ainsi Anaïs, après des études de vitrailliste et de souffleur de verre, se découvre une passion pour le fromage. En 2016 elle rejoint l'aventure des 13 Blés. Aujourd'hui c'est la reine de l'affinage ! Multifonction, elle arrive à concilier sa vie de famille (maman de 3 enfants) et sa vie d'agricultrice. Avec son compagnon installé lui aussi à la ferme, ils élèvent également des porcs et des poulets de chair.
La petite dernière, Sandie, s'est d'abord formée au droit à l'environnement. Aujourd'hui elle cultive en bio des céréales, des oléagineux qu'elle transforme en farines (blé, petit épeautre) et en huiles (tournesol, lin et chanvre) sous la marque Le chant des champs. Elle fournit alors le fourrage qui alimente les chèvres de ses sœurs et produit l'orge qui sert à la fabrication des Trinquettes, les fameuses bières de son compagnon Eloi Soulez. Une véritable affaire de famille !
Les parents ne les voyaient pourtant absolument pas dans ce milieu. Leur père, ancien agriculteur, est le premier étonné. "Elles ne venaient pas trop m'aider à la ferme", explique t-il. Il note aussi qu'elles ne pratiquent pas l'agriculture de la même façon ; qu'elles sont venues avec leurs idées.
En effet, c'est à l'école que Justine prend conscience des nouvelles pratiques. Elle se rappelle que ses professeurs, à Rennes, étaient très ouverts au bio. "À l'époque on parlait d'agriculture durable, c'était il y a 15 ans déjà". Tous (à 90%) fils ou filles de paysans n'avaient eu que leurs parents pour exemple. Cette ouverture des mentalités était une révolution et aujourd'hui un atout. Dans sa ferme, elle fait à sa façon mais n'oublie pas ce que lui a enseigné son père, "sur la gestion du troupeau on a rien inventé".
Mon père me disait un bon éleveur est avant tout un bon observateur et du coup, il m'a appris à regarder un troupeau, à comprendre, comment ils évoluaient entre eux, comment on évoluait avec eux. C'est l'œil, cet œil aguerri en fait et l'éleveur qui doit tout en observant son troupeau, voir s'il y a un problème ou si tout le monde va bien.
Justine
Lorsque Justine a voulu trouver une ferme, cela n'a pas été de tout repos. Elle souhaitait reprendre celle de ses grands-parents mais sans succès. C'est Marcel, un membre de leur famille, qui l'a emmenée à la ferme de la Place en lui disant : "il y a cette ferme-là, il y a 40 hectares autour, des bâtiments. À mon avis, c'est ce que tu recherches, ça va te plaire". Et ce fût le coup de foudre.
Le propriétaire n'était autre qu'une femme que tout le monde disait "pas facile". Pourtant... tout s'est bien passé. Coup du sort ou solidarité féminine, à vous de juger ! Tout ce que nous savons c'est que Mademoiselle Anne accepta de lui vendre les bâtiments et de lui louer les terres parce que "tu es une fille et que tu vas t'installer en bio".
Il a fallu montrer deux fois plus ce que l'on savait faire et ce dont on était capable.
Justine
Elle reconnait cependant que, leurs caractères et l'ancrage qui existait de par leur père dans le Berry, cela a été plus facile de s'installer. Ses copines agricultrices ont moins de chance. Des réflexions et des considérations persistent toujours.
Anaïs et Raphaël : les jardins du grand chêne
Ce couple s'est installé non loin de la fromagerie des 13 Blés. C'est Anaïs qui a eu le déclic en premier pour l'agriculture. "J'ai toujours voulu travailler dans la nature, j'avais envie de m'installer en maraîchage". Sortie d'un BTS Gestion de protection de la nature et d'un titre homologué de jardinier botanique, elle travaille dans le milieu jusqu'à ne plus supporter les directives de ses patrons. "J'en ai eu marre que l'on me dise quoi faire, je n'étais pas en accord avec les idées de mon patron. Je voulais faire mes choix, pour moi et faire ce que j'avais envie".
L'idée de passer à son compte lui vient comme une évidence, mais pour son compagnon travaillant dans le cinéma d'animation, pas forcément. C'est en pratiquant le woofing que l'idée a germé un peu plus dans son esprit et qu'il a fini par accepter le challenge.
Ce qu'il y a de bien avec le woofing ou les stages c'est que l'on peut découvrir plusieurs façons de travailler. J'aime visiter d'autres fermes et échanger avec d'autres producteurs. Il nous vient des idées que l'on aurait pas eu tout seul.
Anaïs
C'est dans le Berry qu'ils posent leurs valises en janvier 2018. Tout de suite ils font la connaissance des 3 sœurs Floquet qui deviennent revendeuses de leurs produits en plus de la vente à la ferme.
L’année 2021 a été particulière dans tous les secteurs, mais notamment dure pour eux. Encore en cours d'installation, ils ne sont pas à leur optimum de production. Les projets futurs ? Un camping à la ferme et une guinguette ! Avec des repas 100% fait-maison grâce à leurs produits.
De précieux conseils
Malgré toute cette bonne volonté il y a encore des choses à faire. Aujourd'hui le rapport à l'alimentation doit venir des consommateurs. "Quand on achète des produits paysans on sait comment c'est fait et produit. C'est un signe de qualité." se confie Anaïs.
Manger n'est pas juste manger, derrière il y a une démarche santé.
Anaïs
Le respect de l'environnement, ainsi que des sols, est un point à ne pas négliger. Tout comme aider les jeunes à se lancer. "L'argent est le premier frein. Ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir avancer ses frais". Il existe une dotation pour les jeunes agriculteurs de moins de 40 ans qui permet d'obtenir des majorations d'aides régionales réservées à l'installation. Ils peuvent aussi bénéficier des exonérations de charges ainsi qu'un accompagnement spécifique et personnalisé. Des couveuses d'entreprises existent aussi pour tester son projet pendant 3 ans.
Dernier conseil : se lancer ! Comme tout métier il y a des choses qui s’apprennent par la pratique. Il faut savoir s’entourer de personnes positives et qui te soutiennent. Il est aussi important d’être ancré sur un territoire.
3 (ou 4) raisons de regarder le documentaire "Les sœurs des 13 Blés"
La première bonne raison est la positivité et la sérénité qui se dégagent de ce documentaire tourné dans le Cher à Loye-sur-Arnon, dans les paysages berrichons de notre région Centre-Val de Loire. Ici, le bonheur est dans le pré, au cœur de la nature et des valeurs de la terre. Une respiration saine et revigorante offerte par les images mais aussi par le message de solidarité qui se dégage de l'entreprise commune de ces trois sœurs que l'on pourrait surnommer les 3 fées.
La deuxième bonne raison, cause et effet de la première est le lien, le lien familial de ces trois sœurs avec leurs parents et leurs compagnons, sans qui ces projets n'auraient pas la même ampleur. Le lien social aussi, tous ensemble ont réussi à faire entrer d'autres producteurs locaux dans ce cercle vertueux qui s'agrandit, créateurs d'emplois, d'initiatives sur le territoire et d'une dynamique au service de la biodiversité.
La troisième bonne raison est de se tourner vers un nouvel horizon et de ne plus se morfondre sur une voie que l'on trouve toute tracée si cela ne répond pas à nos aspirations, à notre personnalité et à nos convictions. Il est parfois plus facile de se trouver des excuses au nom de la raison pour ne pas rebrousser chemin ou d'avancer dans une autre direction qui pourtant nous fait vibrer. Ce documentaire nous montre que cela est possible si nous sommes prêts à nous engager avec énergie, courage et passion.
Comment ne pas évoquer cette quatrième raison qui se glisse habilement dans le titre de ce documentaire ?! La place des femmes dans le monde agricole d'hier à aujourd'hui.
► "Les soeurs des 13 Blés", un documentaire de Rachid Merabet coproduit par France Télévisions et Girelle Production. Diffusion le jeudi 18 mai 2023 à 23h05 sur France 3 Centre-Val de Loire et en replay sur la plate-forme france.tv.