Une partie des recettes du loto de la biodiversité, lancé ce lundi 28 octobre, ira à un projet de restauration d'une cinquantaine d'étangs en Brenne, dans l'Indre. Objectif : recréer des zones humides accueillantes pour des espèces d'oiseaux, d'insectes et d'amphibiens ayant déserté la région.
Contrer la "banalisation de la biodiversité" dans la Brenne, un espoir qui pourrait devenir réalité dans quelques mois. Un projet de restauration de zones humides dans le département de l'Indre fait partie des 19 programmes de sauvegarde de la biodiversité, retenus par la "Mission Nature" pour bénéficier de la deuxième édition du loto de la biodiversité.
Les tickets sont vendus depuis ce lundi 28 octobre au prix de 3 euros, 43 centimes allant à ces projets de préservation. Dans l'Indre, l'objectif est de "restaurer des espaces, des roselières, des milieux aquatiques, principalement sur des étangs privés", explique Jean Rousselot, responsable Eau douce chez WWF France, porteur du projet. Des zones capables d'accueillir de nombreuses espèces d'oiseaux, d'insectes ou encore d'amphibiens.
Amnésie écologique
Car, si la Brenne semble toujours verdoyante et riche en biodiversité, avec sa multitude d'étangs et de forêts, la réalité est toute autre. "Tout le monde n'a pas connu la Brenne des années 60-70, avec des quantités d'oiseaux importantes, assure Jean Rousselot. On est atteint d'une amnésie écologique, on a oublié la référence, ce qu'était la nature il y a 50 ou 100 ans."
Et, de fait, le constat est là : en Centre-Val de Loire, la biodiversité s'effondre, sous les effets des activités humaines. Notamment "l'intensification de l'artificialisation des sols, de certaines pratiques agricoles et piscicoles", mais aussi à cause de l'arrivée d'espèces exotiques telles que le ragondin ou l'écrevisse de Louisiane. Sans oublier, bien sûr, le réchauffement climatique et le dérèglement des milieux qui s'ensuit.
Mais tout n'est pas perdu. Créés par l'humain, les étangs de la Brenne étaient jadis entretenus par les pratiques traditionnelles agricoles, et la présence d'animaux d'élevage. Certains, par le pâturage, participaient à la régulation de certaines végétations. Leur disparition a provoqué un enfrichement des abords des étangs.
Notamment à cause des saules, arbres qui se développent les pieds dans l'eau, "assèchent la zone et empiètent sur les roseaux, qui sont un milieu favorable aux espèces qu'on protège", explique Bruce Roggy. Chargé de mission à la réserve naturelle nationale de Chérine, dans la Brenne, il souhaite lutter contre ce manque d'entretien, qui favorise une "banalisation de la biodiversité" en rendant certains espaces humides inhospitaliers à tout un tas d'espèces.
À l'inverse, dans des roselières et queues d'étang entretenues, défrichées, "on observe des retours d'espèces qu'on espérait, et qui sont menacées au niveau régional". Comme les libellules, mais aussi plusieurs espèces d'oiseaux migrateurs nichant dans les roseaux, ou dans des zones de marais. Pour certaines espèces, comme les râles d'eau et les marouettes, "la Brenne est un des derniers bastions" en France.
Les zones humides, un enjeu important dans une France à + 3 degrés
Ces opérations de travaux, au coût important, devraient être complétées par une information à destination des propriétaires privés des étangs. Avec pour espoir de "restaurer de la pisciculture traditionnelle et des pratiques extensives", sans surexploitation et épuisement du milieu, ajoute Jean Rousselot de WWF. "Tous les propriétaires ne sont pas experts, on va pouvoir les accompagner, dans la lutte contre les espèces exotiques par exemple."
D'autant que, dans un monde à + 3 degrés, la préservation des zones humides revêt une importance capitale pour l'espèce humaine.
Depuis 50 ans, les territoires ont tout fait pour que l'eau parte vite, pour la drainer avec des tuyaux et du bitume. Pour limiter les effets du réchauffement climatique, il faut essayer de la conserver sur le territoire. Restaurer le cycle naturel de l'eau, lui permettre de s'infiltrer, de rejoindre les nappes.
Jean Rousselot, responsable Eau douce WWF France
Et la restauration des zones humides et de leur biodiversité fait partie de ce schéma de préservation du cycle naturel de l'eau. Avec "plein de co-bénéfices, puisque ça permet de stocker du carbone, de retrouver de la biodiversité, et d'améliorer la qualité et la quantité d'eau". Dans une France où les périodes de sécheresse devraient se multiplier et s'intensifier, la question de la ressource eau n'est en rien anodine.
43 centimes par tickets : "des miettes" ?
Pourtant, ce loto de la biodiversité ne fait pas que des heureux. France Nature Environnement (FNE), réseau national d'association de protection de l'environnement, avait dénoncé en 2023 une "arnaque à la biodiversité". "C'est vrai que ce concept, c'est un genre d'arnaque", déplore Guy Janvrot, secrétaire de FNE Centre-Val de Loire. "Trois euros et on va récupérer 43 centimes... On fait du buzz avec de la biodiversité."
Il regrette que "quelques millions d'euros" soient récupérés "pour quelques dossiers", quand il faudrait "des dizaines de milliards pour résoudre l'ensemble des sujets biodiversité en France". Guy Janvrot dénonce "un manque de moyens" publics sur le sujet, et en particulier la baisse du fonds vert, crédité de 2 milliards d'euros en 2023, et qui pourrait passer à moins d'un milliard dans le prochain budget. "On peut faire semblant en lançant des jeux, c'est bien, ça ne coûte rien à l'État, mais c'est de la com', un trompe-l’œil", fustige-t-il.
Jean Rousselot, lui, préfère voir le positif. Entre baisse du fonds vert et "difficultés des agences de l'eau à boucler leur budget", les recettes du loto de la Mission Nature "permettent de restaurer concrètement la biodiversité en Brenne, on a des projets de terrain qui permettent de faire avancer les choses". Guy Janvrot y voit plutôt "des miettes" :
Ça fait 50 ans qu'on n'a que des miettes. Elles s'accumulent, et pendant ce temps, on voit la faune et la flore qui continue de disparaître.
Guy Janvrot, secrétaire de France Nature Environnement en Centre-Val de Loire
Il pointe aussi du doigt un certain cynisme de l'État, qui déclenche un loto pour des zones humides, mais, "lors d'une réunion récente, nous a dit qu'il ne reconnaissait que 20% des zones humides que nous, on connaît". Résultat, "ça va leur permettre d'en détruire encore", prophétise-t-il.
Dans l'Indre, le programme espère récolter environ 500 000 euros, pour des interventions sur 52 étangs et une surface concernée de 500 hectares de zones humides (sur les 10 000 hectares de plans d'eau de la Brenne). Parmi les 19 projets retenus, figure également une restauration des mares forestières sur le domaine de Chambord, dans le Loir-et-Cher.