Alors que les élections internes au PS ont reconduit (de justesse) le premier secrétaire sortant Olivier Faure, les socialistes se déchirent pour savoir si le parti doit rester l'allié de LFI au sein de la Nupes. Pourtant, selon André Laignel, le programme commun de la gauche dans les années 70 était plus radical que le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Réponse courte : c'est pas faux.
"Ceux qui pensent que La France insoumise est radicale, qu'ils relisent le programme commun !" Sur le plateau de Dimanche en politique, sur France 3 Centre-Val de Loire ce dimanche 15 janvier, André Laignel est catégorique : le programme commun de la gauche dans les années 70 était plus à gauche que la Nupes et LFI en 2022.
Une alliance des gauches
À l'époque, le Parti socialiste imprègne son programme de valeurs marxistes pour trouver un accord électoral avec le parti communiste (PCF). Le programme ne dure qu'un temps, mais ses orientations servent de base aux "110 propositions pour la France", qui régiront la politique des premières années du socialiste François Mitterrand, après son accession à la présidence en 1981.
Car André Laignel, maire d'Issoudun, vice-président de l'association des maires de France (AMF), est un socialiste depuis plus de 50 ans. Dans les années 70, il est un fervent partisan de l'union du PS avec le PCF, comme il est aujourd'hui favorable à l'union de la gauche avec la Nupes, sous l'égide de La France insoumise.
Tourner la page du hollandisme
Une union dont le premier secrétaire socialiste sortant, Olivier Faure, a été un artisan. Le même Olivier Faure joue son poste ce jeudi 19 janvier lors des élections internes du PS. André Laignel espère qu'Olivier Faure sera "largement réélu", pour tourner la page du hollandisme. Car, "sous le quinquennat de François Hollande, il y a eu une politique erronée, j'ai été de ceux qui l'ont dit publiquement", lance-t-il.
Lorsque André Laignel assène que le programme commun de 1972 "était beaucoup plus radical que ne l'est LFI aujourd'hui", ce n'est pas par hasard. C'est avant tout pour contrer ceux qui voient dans l'alliance PS-LFI un fourvoiement du socialisme, à l'instar de l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve.
Alors le programme qui a mené le parti socialiste au pouvoir en 1981 était-il vraiment plus radical que celui de La France insoumise ? Pour Pierre Allorant, politologue et doyen de la faculté de droit d'Orléans, "André Laignel n'a pas tort", même si "c'est très compliqué de comparer deux périodes".
Nous avons tout de même tenté le coup, et voici le résultat :
1 - Les nationalisations
C'est sur le sujet des nationalisations que le programme commun se démarque le plus. "Le programme commun proposait la nationalisation d'une bonne partie de l'économie, les banques, les mines, la sidérurgie", liste Pierre Allorant. "De ce point de vue, effectivement, la Nupes va moins loin."
Ainsi, dès 1982, moins d'un an après l'élection de François Mitterrand, de grands groupes industriels et bancaires français sont nationalisés par la gauche au pouvoir. "Lorsque la droite est revenue au pouvoir, Balladur est devenu ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation, c'est dire le traumatisme pour eux", assure le politologue orléanais.
La France insoumise souhaite également nationaliser des banques, mais aussi renationaliser EDF et différents pans du secteur de l'énergie, ainsi que les autoroutes. Ce qui reste moins ambitieux que le programme commun.
2 - La retraite à 60 ans
Face à la réforme voulue par le gouvernement, repoussant l'âge de départ à 64 ans, La France insoumise a fait du retour à 60 ans son cheval de bataille. Retour, car jusqu'à la réforme Woerth de 2010, l'âge légal de départ était bien de 60 ans, depuis 1982. Une décision prise par la gauche au pouvoir, selon une proposition figurant dans le programme commun.
Alors, qui est le plus radical : le PS qui l'a appliquée il y a 40 ans, ou LFI qui veut la voir revenir ? "Aujourd'hui, la situation est très différente, l'espérance de vie est beaucoup plus élevée, on a eu un vieillissement très net de la population", constate Pierre Allorant. LFI serait donc plus radicale que le programme commun ?
3 - Les services publics
Les investissements dans les services publics sont une des valeurs phares de la gauche. Alors, qui de La France insoumise ou du programme commun va le plus loin ? À titre de comparaison :
- LFI veut 1 million de nouveaux emplois dans les services publics, les propositions de 1981 n'en voulaient que 150 000,
- LFI veut 500 000 nouvelles places de crèche, le PS de 1981 en voulait 300 000.
Difficile de comparer, tant les contextes dans lesquels s'inscrivent ces programmes sont différents. Mais il faut constater que les efforts réclamés par La France insoumise sont plus importants que ceux voulus par le programme commun. Les deux s'accordent, en tout cas, sur la nécessité d'investir dans l'hôpital public.
4 - Quelques autres exemples
Le principe cher à la gauche, c'est d'imposer les riches pour redonner aux moins riches. En 1981, la gauche réclame la création d'un impôt sur les grandes fortunes. Qui deviendra l'ISF, l'impôt sur la fortune… supprimé par Emmanuel Macron. La Nupes veut le retour de l'ISF, mais aussi la création d'une TVA grand luxe. Côté TVA, le programme commun souhaitait la supprimer sur les produits de première nécessité, tandis que LFI veut simplement la diminuer.
Par ailleurs, les unions de la gauche de 1981 et 2022 souhaitent, toutes deux, des congés parentaux égaux pour les deux parents, ainsi que des prix garantis pour les produits agricoles. Entre autres exemples.
Quelques différences cependant : en 1981, le PS milite pour la gratuité des moyens de contraception, ce qui n'est pas le cas de La France insoumise. Il prévoit aussi un minimum vieillesse correspondant aux 2/3 du revenu moyen dans le pays, quant LFI préfère le voir au seuil de pauvreté. Or, le seuil de pauvreté est, en 2022, inférieur aux 2/3 du revenu moyen des Français (environ 1500 euros contre environ 1100 euros). C'est donc le PS de 1981 qui veut le plus dans ce cas précis.
Dernier cas d'étude : le PS militait, en 1981, pour le droit de vote pour les étrangers aux élections municipales après 5 ans de présence sur le territoire. La France insoumise de 2022 souhaite l'autoriser pour toute personne résidant en France, peu importe depuis quand.
Et donc ?
Et donc… difficile de dire qui est vraiment le plus radical entre les deux. Chaque formation de gauche, selon son époque, porte ses radicalités, souvent sur les mêmes thématiques. Même si la gauche de 1981, menée par le PS, garde une longueur d'avance en raison d'une campagne de nationalisations d'une ampleur inédite.
Tout au moins peut-on rappeler que Jean-Luc Mélenchon, ancien socialiste et leader de La France insoumise, se réclame dès qu'il le peut de François Mitterrand. Et que c'est loin d'être un hasard.