L’Office français de la biodiversité, dommage collatéral de la colère des agriculteurs

L’Office français de la biodiversité (OFB) est aujourd’hui dans la tourmente. Pour tenter de calmer la colère des agriculteurs, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé une série de mesures et notamment son intention de placer cet organisme sous la tutelle des préfets. Les agents de l'OFB s’inquiètent pour leur avenir.

"Trop de contrôles", "Halte au harcèlement !", "On emmerde les emmerdeurs !" : au cours de leur récent mouvement, les agriculteurs n’avaient pas de mots assez durs pour cibler l’Office français de la biodiversité et sa police de l’environnement. Avec parfois des actions d’éclat comme celle qu’ont connus les locaux de l’OFB à Blois le 24 janvier dernier, aspergés de fumier, de lisier et de vieux pneus.

Une colère relayée politiquement par les sénateurs Républicains, qui ont déposé une proposition de loi visant à supprimer purement et simplement cet organisme.

Pour tenter de calmer les agriculteurs et répondre aux revendications de leur principal syndicat, la puissante FNSEA, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé une série de mesures mettant en veilleuse les ambitions environnementales précédemment affichées. Exemple le plus visible : la mise en pause du plan Ecophyto, qui visait à réduire progressivement l’usage des pesticides. Mais une autre annonce était sensée apaiser la colère agricole : il s’agirait de placer désormais l’OFB - organisme d’Etat chargé de contrôler la bonne application des lois et règlements environnementaux - sous la tutelle des préfets.

Silence de rigueur

Après ces annonces, le silence est officiellement de rigueur à l’OFB. Le malaise est pourtant bien réel. Et c’est sous couvert d’anonymat que la parole des agents se libère. "S’agit-il d’une volonté de remise au pas ?" se demandent certains agents. "Un véritable désaveu", ou encore "un coup de poignard dans le dos" se risqueront d’autres.

En réalité la situation est complexe. Car les missions de l’Office sont de plusieurs natures. Rien de neuf concernant ses missions de contrôle. Celle-ci sont en effet déjà placées sous l’autorité des préfets. De même, c’est aussi à ces derniers que reviennent la mise en place du plan départemental de contrôle. Bref, c’est toute la police administrative qui est déjà sous sa responsabilité.

Mais certaines missions de l'OFB en matière de police de l'environnement sont placées sous l'autorité du parquet et non plus du préfet. C’est alors le procureur de la République qui donne ses instructions à l'OFB. C’est le cas pour les enquêtes sur les infractions à la réglementation environnementale comme par exemple lors de pollutions, de destructions d'espèces protégées ou pour des trafics d'animaux sauvages. L'OFB peut alors constater des infractions, dresser des procès-verbaux et les transmettre au parquet qui décide des suites à donner. Le fait que ces missions soient placées sous l'autorité du parquet permet de garantir leur indépendance et leur impartialité. En effet, le parquet n'étant pas soumis à la hiérarchie administrative, il est donc libre de ses décisions.

Séparation des pouvoirs

En principe, l’annonce du Premier ministre ne peut donc concerner que la partie judiciaire, séparation des pouvoirs oblige. S’agit-il alors seulement d’un effet d’annonce sans réelle portée, destiné à donner le change au monde agricole ? "Ce qui est embêtant, c’est ce qu’il y a derrière le mot de mise sous tutelle, explique Patrick Saint-Léger, du Syndicat national de l’Environnement (SNE-FSU), parce qu’il traduit une défiance de l’Etat vis-à-vis de ses agents. Et c’est très grave parce que cela donne aux agriculteurs l’impression qu’ils peuvent tout se permettre." Avec le danger de voir se développer les pressions de lobbies locaux sur les décisions préfectorales.

"C’est un véritable lâchage estime de son côté Vincent Vauclin, secrétaire général de la CGT-Environnement, parce qu’il est plus facile pour le gouvernement de donner des gages en faisant une critique implicite des gens qui ne font qu’appliquer les lois et règlements que de donner satisfaction aux agriculteur sur le fond en leur permettant de vivre dignement de leur métier en terme de revenu et d’identité".

Au-delà de ces craintes, l’effet secondaire de ces annonces serait de pousser les agents à se poser des questions sur la légitimité même de leurs missions. Un véritable trouble d’identité en somme. "On nous demande de travailler prioritairement sur les  espèces et les habitats les plus menacés en terme de biodiversité. C’est déjà très difficile. Si demain il faut en plus compter sur un allègement des normes cela va nous compliquer encore plus la tâche. C’est le sens de notre travail qui est ainsi mis en cause" s’inquiète Dominique.

Une mise en cause d’autant plus incompréhensible pour Marc (*) un autre agent du Centre-Val de Loire que "le ressenti de harcèlement de la part des agriculteurs ne correspond à aucune réalité : au mieux on visite à peine 3000 exploitations en France chaque année sur les 400 000 existant. Cela fait moins de 1%. Ces contrôles sont très majoritairement conformes et ne donnent donc lieu à aucune poursuite. Dans ces conditions, où est l’acharnement dont se disent victimes les agriculteurs ? "

Deux heures de visioconférence pour tenter de rassurer

Dans l’immédiat, dans plusieurs départements la consigne leur a été donnée de suspendre ou au moins de différer les contrôles qui concernent les exploitations agricoles. Pas d’arrêt total des opérations, donc et les agents confirment poursuivre leur travail de terrain. Mais ils sont priés pour l’heure de vaquer à d’autres tâches que celles relatives aux agriculteurs.

"Ces consignes peuvent être vécues comme humiliantes, mais la sécurité des agents est sans doute à ce prix" justifie Vincent Vauclin, secrétaire général de la CGT-Environnement.

En fin de semaine dernière, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu, accompagné du secrétaire d’Etat à la Biodiversité Hervé Berville s’est entretenu par visioconférence avec les agents de l’OFB. Pendant près de deux heures ils s’est attaché à tenter de les rassurer. "Le discours était attendu. La seule chose qui est rassurante, c’est de ne pas y avoir entendu d’annonce particulière comme sur le port d’armes par exemple" dira l’un d’eux.

Le port d’armes en question

Ce que redoutent également les agents c’est la remise en question de leur port d’armes. "C’est vrai, peu d’agressions sont à déplorer dans la région, mais on est clairement devenus des cibles et je me sens moins en sécurité qu’avant" explique Dominique (*), un agent travaillant dans la région Centre Val de Loire. Pour Paul (*), l’un de ses confrères, "les contrôles avec les chasseurs ne se passent pas toujours très bien et on a  aussi parfois affaire à des trafiquants qui ne reculent devant rien. Pas question pour moi de me retrouver face à eux sans cet élément dissuasif ! "

Une convention annoncée au salon de l’Agriculture ?

D’autres mesures concernant l’OFB pourraient être annoncées pendant le Salon de l'agriculture. Comme la signature d’une convention tripartite réunissant l’Etat, les syndicats agricoles et l’OFB sur le modèle de celle signée en 2019 avec la Gendarmerie nationale qui avait notamment aboutie à la création de la cellule Demeter destinée à lutter contre les vols et intrusions dans les exploitation.

En attendant, le climat reste morose dans les locaux de l’Office : "difficile de continuer à faire notre travail avec la même motivation qu’hier, alors qu’on ne se sent plus réellement soutenus par l’Etat" lâchera l’un d’eux.

 

(*) Sur leur demande, les noms des agents ont été changés pour garantir leur anonymat.

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