Depuis le début de la mobilisation des agriculteurs, l'Office français de la biodiversité, chargé de faire respecter les normes environnementales, est visé par la colère du monde agricole, qui l'accuse "d'acharnement". À l'OFB Bourgogne-Franche-Comté, derrière un silence de façade, le mal-être et le sentiment d'abandon grandissent chez les salariés.
"OFBranleurs"."Office Français des Blaireaux". Le 30 janvier 2024, voilà le genre de messages, inscrits à la bombe colorée sur des bâches blanches, qui ornaient la façade des bureaux de l'Office français de la biodiversité à Dijon et Montbard (Côte-d'Or). Devant les bâtiments également, plusieurs bottes de paille, déversées ici par des agriculteurs locaux.
Deux jours plus tard, à Belfort, des membres de la FDSEA 90 arrivaient à l'hôtel de ville, grimés en inspecteurs de l'environnement. S'en suivait une mise en scène, avec la complicité du maire Damien Meslot (Les Républicains), lors de laquelle était jouée l'arrestation symbolique de l'édile.
Deux actions avec un seul objectif : dénoncer les contrôles menés sur leurs exploitations par les agents de cette administration publique en charge de faire respecter les règles environnementales. Des normes jugées "trop arbitraires" par les agriculteurs. Pendant de longues semaines, en plus de l'État et de la grande distribution, l'OFB s'est ainsi retrouvé dans l'œil du cyclone du mouvement agricole de janvier 2023.
À l'OFB, première consigne : ne pas s'exprimer
Les actions et critiques se sont multipliées, créant une tension extrême au sein de l'organisme gouvernemental. Contactée par France 3 Franche-Comté, la majorité des membres de l'OFB Bourgogne-Franche-Comté n'a pas accepté de témoigner sur leur réalité du moment. "On a des consignes extrêmement strictes" nous a-t-on expliqué en interne. "C'est très tendu pour nous en ce moment, une seule parole pourrait mettre le feu aux poudres et certains collègues subissent des pressions".
Un mot d'ordre : pour l'OFB, toute communication passera désormais par le Premier ministre Gabriel Attal, et lui seul. La preuve de l'explosivité du dossier. Un membre de l'OFB BFC a néanmoins accepté de s'exprimer, sous couvert d'anonymat. Pour lui, il était important de parler pour mettre en lumière le "désarroi actuel de sa profession", à qui l'on demande aujourd'hui "de faire profil bas".
On nous a demandé de retoucher certaines missions, d'arrondir les angles. Alors que notre métier, c'est d'aller sur le terrain pour constater les choses, faire de la surveillance, de la prévention. Et, si nécessaire, sanctionner les abus. Mais là, on ne fait plus rien dans les fermes.
un salarié de l'OFB Bourgogne-Franche-Comté
Pour être clair, les inspecteurs de l'environnement sont encouragés par leur hiérarchie à "éviter" les contrôles dans les fermes le temps que le climat se détende. "C'est un peu comme si, nous aussi, on faisait la même pause que le plan Ecophyto" explique Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du Syndicat national de l'environnement (SNE-FSU) à l'OFB. "Jusqu'au salon de l'agriculture, on ne fait plus rien chez les agriculteurs. Plus de contrôle des haies ou des pompages d'eau". "On ne peut pas s'empêcher de vivre ça comme un désaveu complet de notre travail" reprend notre source à l'OFB BFC. "Quand on va retourner sur le terrain, si on y retourne un jour, ce ne sera plus pareil. On souffrira d'un manque cruel de légitimité".
"C'est comme si l'État nous avait jeté en pâture aux syndicats agricoles" ajoute Véronique Caraco-Giordano. "Nos agents ont déjà beaucoup souffert d'être stigmatisés, visés par des actions violentes et parfois personnelles. En Côte-d'Or, sur des banderoles, des noms d'agents ont été inscrits pour demander leur mutation. C'est du délire".
Un constat que partage notre témoin. "Dans ma carrière, j'ai été confronté à de la violence verbale et physique. On se doute que si on retourne maintenant sur le terrain, ça peut dégénérer" admet-il. "Certains collègues ont peur. Mais en même temps, notre employeur, l'État, ne fait pas grand-chose pour nous protéger".
Les agriculteurs ne sont pas des gens violents. Mais parfois, lorsqu'on pénètre sur leur propriété, qu'on regarde ce qu'ils font, cela peut être tendu. D'où l'importance d'avoir une arme, même si je n'ai jamais eu à m'en servir. Et là, on parle de nous la retirer. Imagine-t-on une seconde les policiers "classiques" sans arme lors de leurs interventions ?
Un salarié de l'OFB Bourgogne-Franche-Comté
"Quand on voit un maire, Monsieur Meslot, participer avec le sourire à une action qui nous critique, quand on entend un sénateur expliquer qu'il veut supprimer l'OFB, quand on lit que Gabriel Attal questionne notre nécessité de porter une arme, mais où va-t-on ?" s'exclame notre source interne à l'OFB BFC. "Comment voulez-vous qu'après, cela se passe bien sur le terrain ? Cela nous dépasse de voir notre travail sacrifié pour des basses manœuvres politiques".
La profession agricole avait déjà un problème avec l'OFB. Mais avec l'image que certains syndicats et responsables politiques nous donne, nos relations avec les agriculteurs vont encore se détériorer.
Un salarié de l'OFB Bourgogne-Franche-Comté
Et Véronique Caraco-Giordano de préciser. "On nous accuse d'acharnement sur les agriculteurs. Mais sur une année, on visite environ 3 000 exploitations, sur plus de 400 000 en France. Cela fait moins d'1 %" jure-t-elle. "Et toutes les visites ne donnent pas lieu à des PV et des procédures. Il faut arrêter".
Une détresse psychologique grandissante à l'OFB BFC
Face à cette situation, le salarié de l'OFB BFC interrogé admet que lui et ses collègues sont "forcément atteints". "On a tous fait ce métier par passion pour la nature, pas pour embêter les agriculteurs" estime-t-il. "Et là, on tape sur notre profession, qui se démène déjà avec peu de moyens et qui constate tous les jours la chute vertigineuse de l'environnement, accentuée par certaines mesures". Conséquence, plusieurs membres de l'OFB BFC seraient ainsi dans un état psychologique inquiétant depuis plusieurs semaines.
Car l'avenir de l'organisme est également flou. "M.Attal a annoncé vouloir nous mettre sous la tutelle des préfets, alors que nous sommes déjà sous leur autorité pendant les contrôles" dénonce Véronique Caraco-Giordano, du syndicat national de l'environnement. "On ne sait pas de quoi notre avenir sera fait, et c'est une source de stress. Quel sera le sens de nos missions si on ne fait plus respecter les normes et les lois qui protègent notre nature ? C'est angoissant, déprimant et inquiétant pour notre avenir professionnel et plus globalement, pour l'avenir de notre planète".
Les agriculteurs se trompent de cibles. Nous ne sommes pas contre eux et nous voulons qu'ils puissent se dégager un meilleur salaire. Ceux qui les mettent en difficulté, ce n'est pas l'OFB mais les syndicats nationaux qui ont amené le reste de la profession dans la misère.
Véronique Caraco-Giordano,secrétaire générale du Syndicat national de l'environnement (SNE-FSU) à l'OFB
Quels sont les plans du gouvernement pour sortir l'Office français de la biodiversité de cette impasse ? La plupart des membres de l'OFB nous ont redirigé, encore une fois, vers le service communication du Premier ministre. Contacté par France 3 Franche-Comté, ce service n'a d'abord pas trouvé quelqu'un à même de nous répondre, avant d'accepter un envoi de nos questions par mail. À l'heure de la publication de cet article, aucune réponse ne nous avait été adressée.