Dans ses annonces du 1ᵉʳ février 2024 à destination du monde agricole, le Premier ministre Gabriel Attal a officialisé la mise en pause du plan Ecophyto, qui prévoyait la baisse graduelle des pesticides en France. Le gouvernement prévoit également une dérogation à l'obligation de réimplantation des prairies humides. Des mesures qui inquiètent fortement les associations environnementales en Franche-Comté.
Les interlocuteurs ont beau se succéder, le vocabulaire est le même pour tous. "Inquiétude", "déception" voire même "colère" et "scandale". Voilà les termes qui reviennent inlassablement dans la bouche des associations environnementales et acteurs écologiques francs-comtois, contactés vendredi 2 février au lendemain des nouvelles annonces de Gabriel Attal concernant le monde agricole.
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Jeudi 1ᵉʳ février, le Premier ministre dévoilait une nouvelle série de mesures dans l'optique de calmer la colère des agriculteurs. Un pari à moitié réussi. Certes, la FNSEA et la Coordination rurale ont appelé à la levée des barrages, mais la Confédération paysanne (syndicat classé à gauche) appelle à continuer les manifestations, tandis qu'acteurs et associations environnementales dénoncent un "rétropédalage" de l'État sur l'écologie pour "satisfaire les grands patrons de la FNSEA".
C'est en tout cas le fond de la pensée de Dominique Voynet, actuelle secrétaire régionale d'Europe Écologie - Les Verts (EELV) et ancienne ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. Cette dernière dénonce un vrai "scandale" et des mesures "démagogiques".
Ce paquet de mesures sert les intérêts des gros céréaliers du bassin parisien et néglige les difficultés des petites fermes, comme on en a en Bourgogne-Franche-Comté. Il n'y a rien sur les revenus !
Dominique Voynet,secrétaire régionale d'Europe Écologie - Les Verts (EELV) en Bourgogne - Franche-Comté
Dans son viseur, la mise en pause du plan Ecophyto, qui prévoyait la réduction des épandages de pesticides. "On se trompe de cibles. Ce plan servait la sécurité alimentaire, mais aussi celle de l'environnement, sans oublier celles des consommateurs et producteurs" continue Dominique Voynet. "On néglige l'impact sanitaire de tous ces produits, dont la plupart des molécules sont classées cancérigènes".
Biodiversité, producteurs et consommateurs en danger ?
C'est également l'avis de Gérard Mamet, membre de l'association SOS Loue et rivières comtoises. "La première conséquence sera sur les agriculteurs eux-mêmes" assène-t-il. "Ce sont eux les premières victimes des pesticides, avec à terme, le développement de cancer. Avec cette pause, c'est comme si on essayait d'empêcher l'empoisonnement de notre population". Et Gérard Mamet de pointer un réel danger concernant la biodiversité et les cours d'eau locaux.
On est ici sur des sols karstiques, peu profonds. Il ne filtre que très peu tout ce qui peut tomber sur la terre, dont les résidus de produits phytosanitaires. Résultat, les nitrates non absorbés s'écoulent jusqu'à la rivière. Et se retrouve dans notre eau.
Gérard Mamet,membre de l'association SOS Loue et rivières comtoises
Dans l'entourage de Gabriel Attal, on assure qu'avec la mise en pause du plan Ecophyto, il n'y a "pas de remise en cause de l'importance de baisser la consommation de phytosanitaires".
L'importance de préserver des prairies
Autre annonce qui dérange ces acteurs associatifs, la mise en place d'une dérogation à la règle qui imposait aux agriculteurs de maintenir des surfaces en prairies. "C'est aussi une mauvaise nouvelle" reprend Gérard Mamet. "Ces prairies d'élevages étaient des alliés des agriculteurs. On n'y aspergeait pas de pesticides, car elles n'étaient pas destinées à la culture. En période de sécheresse, elles permettaient de stocker de l'eau et en cas d'inondations, elles agissaient en zone tampon".
Un recul des normes "qui ne fera pas monter le revenu des agriculteurs" fustige Dominique Voynet. "Au départ, ce n'était même pas le souci des paysans, c'est la FNSEA qui leur a mis cela dans la tête. Eux réclamaient la fin des ventes à pertes, la mise au pas de la grande distribution, un rééquilibrage de la PAC, le blocage des traités de libre-échange. Et là-dessus, on a eu moins d'assurance".
Un constat qui ne rassure pas Gilles Benest, membre de l'association France nature environnement de Bourgogne - Franche-Comté. Pour lui, ces rétropédalages sur l'écologie nous emmènent "droit dans le mur". Il insiste sur les conséquences de ces annonces sur le dialogue entre agriculteurs et écologistes. "En Franche-Comté, nous avions fait l'effort de créer des bonnes relations" explique-t-il. "Et là, on oppose à nouveau respect de l'environnement et bien-être des exploitations agricoles. Cela nous gêne beaucoup".
Climat tendu à l'OFB
Un constat qui se retrouve sur le terrain, du côté de l'Office français de la biodiversité (OFB). Cet organisme étatique chargé de protéger la biodiversité sur le territoire est dans le viseur des agriculteurs. Contactés par France 3 Franche-Comté, aucun membre de l'OFB de Bourgogne-Franche-Comté n'a accepté de témoigner sur leur réalité du moment. "On a des consignes extrêmement strictes" nous a-t-on expliqué en interne. "C'est très tendu pour nous en ce moment, une seule parole pourrait mettre le feu aux poudres et certains collègues subissent des pressions".
Un seul mot d'ordre : pour l'OFB, seul le Premier ministre a le droit de s'exprimer. Ce qu'il a fait le 26 janvier, en plaçant l'organisme étatique "sous tutelle des préfets" et en remettant publiquement en cause la nécessité pour ces agents de porter une arme. "Est-ce qu’il faut vraiment venir armé quand on vient contrôler une haie ? Ça met tout de suite quand même un peu de pression", avait ainsi lancé Gabriel Attal. Une manière d'apaiser les agriculteurs, certes. Mais pas idéal pour asseoir la légitimité d'une "police de l'environnement" déjà régulièrement bousculée en intervention.