Le Conseil d'Etat a ordonné lundi au Gouvernement de lever l'interdiction "générale et absolue" de réunion dans les lieux de culte, une décision saluée par les catholiques mais accueillie avec plus de prudence par les musulmans. Les synagogues elles, resteront fermées.
Saisie en référé par plusieurs associations et requérants individuels, la plus haute juridiction administrative a estimé lundi dans une ordonnance que l'interdiction "générale et absolue" de réunion dans les lieux de culte prise par décret la semaine dernière portait "une atteinte grave et manifestement illégale" à la liberté de culte.
Mise en place dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le Conseil d'Etat parle du "caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique " de cette interdiction et ordonne au Gouvernement de la lever dans "un délai de huit jours".
Le juge des référés ordonne au Gouvernement de lever l’interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte et d’édicter à sa place des mesures moins contraignantes #covid19
— Conseil d'État (@Conseil_Etat) May 18, 2020
? https://t.co/6ODhEdn7ju pic.twitter.com/K6weucKbUs
Le soulagement de la communauté catholique
L’évêque de Chartres Monseigneur Christory, dit avoir eu une "réaction heureuse de pouvoir faciliter l’accès des fidèles à des rassemblements communautaires qui forment le cœur de la vie de l’église catholique". "Notre foi catholique est personnelle mais elle n’est pas individuelle. Elle est personnelle et communautaire !" ajoute-t-il.Le diocèse de Chartres avait anticipé et s'est déjà préparé à célébrer de nouveau des messes : "On a des masques, du gel, des itinéraires, de la distanciation physique entre les gens. Ce qu’on ne sait pas, c’est combien de personnes seront admissibles", regrette Monseigneur Christory, qui a rouvert la Cathédrale depuis le jeudi 14 mai pour la prière personnelle et pour seulement 10 personnes à la fois. Mais l’évêque de l’une des plus grandes cathédrales de France plaide depuis longtemps pour que l’Etat tienne compte de la capacité de chaque édifice :
La cathédrale bénéficiant de 2900 places, même si l’Etat n’autorisait que 30% de sa capacité, ce sont plus de 500 personnes qui pourraient assister à l’office. "Aujourd’hui, on a des directives qui sont imposées de manière très générale, pas toujours en tenant compte des spécificités d’espace et de rassemblement… parce que ce n’est pas du tout pareil pour un culte musulman, protestant ou catholique. Ce ne sont pas les mêmes mouvements, pas les mêmes dispositions, pas les mêmes attitudes physiques, donc ça joue sur les distances sanitaires. J’aurais aimé qu’on nous donne plus d’espace de responsabilité", regrette le prélat.La limitation à 10 personnes était imposée par l’Etat. Ce qui n’a pas de sens quand on sait qu’on a 5000 mètres carrés et qu’on dit qu’il faut 4 mètres carrés par personne
COMMUNIQUÉ DE PRESSE | La CEF de France prend acte de l’ordonnance rendue par le juge des référés du @Conseil_Etat Des célébrations seront possibles en respectant les règles sanitaires communiquées en réponse aux propositions faites par la CEF. Lire le CP➡️https://t.co/BPN7IOdmPp pic.twitter.com/ejEH5Hq9ha
— Eglise catholique Médias (@eglise_medias) May 18, 2020
Une reprise juste avant Pentecôte
Si pour l’Ascension toute proche, les jeux semblent faits, la reprise des célébrations pourrait intervenir juste avant Pentecôte le 31 mai. A Chartres, l’affluence de fidèles "est réelle" reconnait Monseigneur Christory, "mais elle est surtout due aux touristes étrangers qui viennent nombreux au printemps et qui ne seront pas là", constate l’évêque, qui se dit prêt à ajouter des célébrations afin de répartir les gens : "Cela se fera au compteur. Et lorsqu’on aura atteint le nombre de personnes admissibles, on dira stop et on demandera aux gens de venir aux célébrations suivantes."La gestion de certains points forts des offices peu propices au respect de la distanciation physique, a également été anticipée. Ainsi, déjà avant le confinement, le diocèse avait instauré "une sorte de salutation, un sourire, un peu à l’asiatique" pour remplacer le geste de paix qui consiste habituellement à se serrer la main ou se faire la bise. Pour la communion, Monseigneur Christory n’exclue pas que le prêtre porte un masque et souhaite que ceux qui distribuent l’hostie utilisent du gel hydroalcoolique avant et après l’eucharistie : "Ce sont des techniques qu’il faut qu’on prenne mais qu’on sait maitriser", affirme-t-il.
La communauté musulmane reste prudente
Du côté de la communauté musulmane, la décision du Conseil d’Etat n’était pas attendue. "On n’avait pas la volonté d’insister pour rouvrir les lieux de culte", explique Mustapha Ettaouzani, président du Conseil départemental du culte musulman du Loiret (CDCM) qui jusque-là, travaillait plutôt sur les mesures à mettre en place pour une réouverture début juin. "Ce qui nous intéresse, ce n’est pas de rouvrir tout de suite les lieux de culte, mais d’être d’abord rassurés sur la situation sanitaire. Est-ce qu’on est dans un climat optimiste et assez sécurisé aujourd’hui ? C’est un principe de prudence que l’on met en avant".Les mosquées sont fermées depuis le début du confinement et les prières collectives nocturnes du ramadan, qui s'achève cette semaine, ne peuvent avoir lieu. "La vie humaine est plus importante que de fréquenter le lieu de culte en réunion. Tant qu’il y a un danger pour la vie humaine, dans la religion musulmane, la cérémonie en groupe est interdite, donc être fermé n’était pas incohérent", explique Mustapha Ettaouzani.
Il parait peu probable que les cérémonies soient rétablies avant l’Aïd el Fitr qui marque la fin du ramadan, et de toute façon, les responsables de lieux de culte ne s’étaient pas préparés à la célébrer : "On avait une réflexion unanime et on ne souhaitait pas rouvrir les mosquées avant l’Aïd. La réouverture devant intervenir sous 8 jours, si elle est prononcée lundi, l’Aïd sera passé et cela ne posera plus le problème de gestion des fidèles. Mais si la décision intervient avant vendredi, ça va être compliqué."
Les responsables du culte musulman attendent désormais les directives gouvernementales pour juger si une reprise est envisageable. "Toutes les cérémonies ne se ressemblent pas. La prière du vendredi est un moment important de rassemblement, tandis que les autres prières de la semaine poseront moins de soucis. On passe d’une centaine à un millier de personnes", s’inquiète Mustapha Ettaouzani.
Car l’inquiétude porte essentiellement sur le respect de la distanciation physique. Si une contrainte numéraire est posée, certaines mosquées pourraient ne pas rétablir les prières collectives même si elles y sont autorisées : "Dès que la limitation à 100 personnes avait été posée durant le confinement avant la fermeture totale des lieux de culte, beaucoup de mosquées avaient déjà décidé de fermer parce que c’était ingérable", explique le représentant du culte musulman dans le Loiret. "Il est possible, surtout pour les grandes mosquées, que certaines choisissent de ne pas rouvrir tout de suite. C’est le discours qui s’est tenu dans les dernières visioconférences".Les mesures barrières sont possibles quand il y a un moindre effectif, mais pour la prière du vendredi c’est quasiment impossible. Cela voudrait dire mettre une moitié des fidèles à l’extérieur de la mosquée et ce n’est pas concevable. Sur quel critère faire ce tri ?
La remise en cause par le Conseil d’État de l’interdiction des rassemblements dans les lieux de culte ne signifie pas qu’ils sont à ce jour autorisés.
— Grande Mosquée de Paris (@mosqueedeparis) May 19, 2020
Les fidèles et les responsables des mosquées doivent se préparer à l’impossibilité d’accomplir la prière collective de l’Aïd : pic.twitter.com/ZQmaM5N7w3
Les synagogues resteront fermées
La communauté juive elle, adopte la plus grande prudence en choisissant de maintenir les synagogues fermées. Chavouot, la pentecôte juive qui débute le 28 mai, n’y sera donc pas célébrée. La décision a été prise ce mardi 19 mai au cours d’une réunion du conseil du Consistoire Central Israélite de France."Aujourd’hui il a encore 2000 personnes en réanimation et encore 20 000 à l’hôpital, donc on ne peut pas dire qu’il y ait une vraie baisse du virus. Il est toujours là, toujours présent", argumente Paul Levy, le président de la communauté juive de Tours et membre du Conseil du Consistoire.
Le Conseil a prévu de réévaluer la situation fin mai : "C’est toujours avec plaisir que nous retrouvons la synagogue, mais c’est vrai qu’il faudra prendre des précautions pour éviter qu’il y ait des gens malades d’autant que notre communauté, notamment en Alsace et en région parisienne, a été fortement touchée par cette épidémie."Le conseil d’Etat a exprimé le droit pour les communautés religieuses d’exercer leurs cultes en réunion, c’est fondamental dans notre constitution. Mais le conseil scientifique, lui, demande d’attendre. Il pense que le déconfinement est encore précoce. Et c’est vrai que l’Etat a une préoccupation économique. Face à tout cela, nous autres communauté juive, nous n’avons qu’une préoccupation, c’est la vie humaine.