Alors que les syndicats nationaux ont appelé à la fin des blocages après les annonces gouvernementales, de nombreux agriculteurs estiment n'avoir pas été entendus et poursuivent leurs actions sur le terrain.
"Tu vois, là il y a un petit drapeau français, mais il est écrit 'produit préparé en France avec des fruits d'origine Union européenne et hors Union européenne'." Face aux confitures dans ce rayon d'une grande surface à Saint-Amond-Montrond (Cher), cet agriculteur est dépité. Selon lui, cet affichage qui se dit "français" alors que la majorité des ingrédients ont été importés est mensonger. Avec son marqueur, il caviarde les étiquettes des produits en question.
Ce samedi matin, plusieurs actions de ce type ont été organisées sur le territoire. À Saint-Amond-Montrond, une trentaine d'agriculteurs ont visité plusieurs supermarchés pour vérifier la provenance des produits. Même procédé à Loches et à Chinon (Indre-et-Loire). Leurs tracteurs parés de pancartes chocs "SOS Agriculteurs en détresse", les agriculteurs ont tenté de faire de la pédagogie auprès des consommateurs.
On est venus rencontrer des consommateurs et leur montrer qu’on trouve beaucoup de produits qui ne viennent pas de France et qui ne respectent pas nos normes à nous. On en a rempli plusieurs caddies de ces produits non respectueux.
Benjamin Jeuland, éleveur laitier
Ces agriculteurs veulent sensibiliser le public à leur situation économique et ce qu'ils estiment être un non-respect des normes. Dans le viseur, les différentes versions de la loi Egalim - censée rééquilibrer le rapport de force entre éleveurs et grande distribution - dont les mesures ne seraient pas bien appliquées.
Ces différentes actions interviennent après une semaine de mobilisations et de blocages de la part des agriculteurs. Alors que les syndicats nationaux ont appelé à la fin des blocages après les annonces gouvernementales, la fracture entre les dirigeants des syndicats et la base des agriculteurs, dont plus de la moitié n’est pas syndiquée, se creuse.
Pour Erwan Lemintier, producteur de grandes cultures à Touchay (Cher), cette fin des blocages est une véritable trahison. "La FNSEA, c'est des vendus, des traîtres, ils ont cogéré l’agriculture avec les gouvernements successifs depuis des années. Voilà où on nous a menés."
18% des agriculteurs sous le seuil de pauvreté
Il faut dire que le mouvement lancé la semaine dernière est en priorité venu de la base et a été suivi à postériori par les syndicats. Pour Laurent Beaubois, porte-parole de la Confédération paysanne du Centre, le cœur même des revendications était les revenus. "La première demande était une politique des prix qui nous permette de vivre décemment et on n’a rien eu sur ce sujet." L'Insee relevait en 2021 que 18% des agriculteurs avaient un revenu qui les situait en dessous du seuil de pauvreté.
Malgré ce mouvement largement transsyndical qui s'accorde sur la dégradation de la qualité de vie et de travail des agriculteurs, les divisions restent importantes, notamment sur la question des pesticides. Bertrand Monier de la Confédération paysanne du Loir-et-Cher se dit très déçu des annonces gouvernementales."Non seulement il n'y a rien sur le revenu, mais on régresse énormément sur les normes environnementales." Le gouvernement a notamment annoncé "mettre en pause" le plan Ecophyto qui devait réduire l'utilisation des produits phytosanitaires.
Philippe Moutheron, vice-président de la Coordination rurale du Loir-et-Cher, qui préfère le terme "médicaments des plantes" à celui de "pesticides", souhaite que "tout le monde ait les mêmes règles" notamment sur les produits phytosanitaires et dénonce une "concurrence déloyale" permis par des traités de libre-échange qui autorisent l'importation de produits aux "contraintes différentes".
"On n'a pas le cœur à faire la fête alors qu'on crève"
Une partie du monde paysan et agricole reste sur sa faim avec des annonces gouvernementales qui sont "des clopinettes qui ne règlent rien", estime Philippe Moutheron, et nombreux sont ceux qui ne comptent pas s'arrêter là. Le vice-président de la Coordination rurale 41 a appelé ses adhérents à boycotter le Salon de l'agriculture qui se tiendra du 24 février au 3 mars à Paris. "Le moral est en berne. On n'a pas le cœur à faire la fête et montrer ce qu'il y a de plus beau dans l'agriculture alors qu'on crève en arrière-plan."
Les agriculteurs de tous bords espèrent une prise de conscience du public qu'ils sentent réceptifs à leur cause. Bertrand Monier de la Confédération paysanne rêve que la société civile prenne le relais. "Tout le monde a un droit de regard sur ce qu'il mange et ce qu'il boit."