Pour la première fois depuis leur création, les Rendez-vous de l'histoire ont accueilli une "game jam", un marathon de création de jeux vidéo, du 23 au 25 septembre. L'un des jeux créés recevra un prix lors du festival, du 7 au 9 octobre.
Imaginez : vous déambulez dans le vaste espace de la Halle aux Grains de Blois. En grimpant à l'étage, vous accédez à la galerie qui surplombe l'espace central. Discrètement, vous passez une tête par la porte de chacune des salles qui s'ouvrent sur le côté opposé.
Quand l'histoire entre en jeu
"J'avais pensé au personnage de l'archevêque de Reims", lance une voix dans la première pièce. "Ce serait intéressant d'incarner un de ses hommes de main, qui enquête sur un complot". Dans la seconde, quelqu'un a des doutes : "Cette mécanique-là, je ne la sens pas trop, j'ai l'impression que ça rajoute un challenge un peu inutile pour le joueur." Dans la troisième, vous êtes accueilli par un tableau un peu intimidant, couvert d'instructions informatiques : "Non mais les commentaires tu peux les laisser, ils n'affectent pas ton code, ne t'inquiète pas."
Drôle d'ambiance, d'autant plus que vous n'êtes pas réellement dans la Halle aux grains, mais dans un espace en deux dimensions conçu de toute pièce pour lui ressembler.
Il s'agit du serveur Gathertown, mis en place par l'association "La science entre en jeu" pour la toute première game jam des Rendez-vous de l'histoire de Blois. France 3 a pu en pousser les portes virtuelles, afin de vous faire découvrir les coulisses de ce festival avant le festival.
Un marathon de la vulgarisation
Alors, une game jam, qu'est-ce que c'est ? Bien que la locution soit intraduisible littéralement, elle possède à peu près le sens de "marathon de création de jeu vidéo". En règle général, le principe est simple : on enferme développeurs et artistes ensemble pendant 24, 48 ou même 72 heures, en leur donnant un thème de travail et un cahier des charges.
Le principe de cette jam est à peu près identique, à une nuance près : la participation d'historiens et d'historiennes, souvent docteurs ou doctorants, experts dans des domaines aussi spécifiques que "les filles de Louis XV", "la colonisation de l'Indochine" ou "les flux commerciaux sous l'Empire romain".
Répartis en neuf équipes le 23 septembre au soir, accompagnés par les "mentors" de l'associations, leur objectif étaient de présenter le 25, à partir de 18h, les jeux développés au cours du week-end dans un hémicycle virtuel. Et chaque jeu doit avoir comme point de départ le sujet de thèse du chercheur correspondant.
Ce dimanche, à 18h, chaque historien a disposé de trois minutes pour présenter, images à l'appui, le jeu développé au cours du week-end. Dans un hémicycle virtuel, mais devant une audience bien réelle, constituée des quelques dizaines de personnes impliquées dans le projet.
Neuf jeux déjà accessibles
Au finish, toutes les équipes ont réussi à livrer un jeu plus ou moins fini dans les temps. Dans Ex Decreto, vous incarnerez le gouverneur de la province romaine de Dalmatie, chargé d'enquêter et de rendre la justice dans une province troublée. Dans Une histoire de(ux) nation(s), vous serez un journaliste chypriote, pris dans les tensions intra-communautaires grandissantes entre les groupes nationalistes grecs et turcs. Plus simplement, dans Le Roi a dit, il vous suffira de survivre pour gagner. Seul pépin : vous vivez à la cour d'Henri VIII.
Outre le plaisir de créer, l'enjeu est aussi de faire le lien avec l'ambition originelle des Rendez-vous de l'histoire : rendre la recherche historique accessible au plus grand nombre. "Certains sujets ont beaucoup plu, d'autres ont été un peu plus durs à pitcher" admet William Brou, prof d'histoire, vidéaste sur la chaîne "Histoire en jeux" et l'un des mentors chargés d'accompagner les équipes. "Mais pour certains on pourra facilement les utiliser en classe, ou s'en servir comme activité dans un musée."
"On a l'impression qu'à chaque game jam, la qualité des jeux augmente", renchérit Pol Grasland-Mongrain, président et fondateur de "La Science entre en jeu". "Maintenant les développeurs vont sans doute revenir sur les jeux publiés pour corriger quelques bugs, mais on ils ont déjà mis la barre très haut." Passionné de jeux vidéo, (il en crée d'ailleurs lui-même), ce docteur en biophysique a fondé l'association en 2019 et organise régulièrement ce genre d'événement autour de la vulgarisation.
"Le vendredi soir, ça part un peu dans tous les sens !"
Du côté des développeurs comme de celui des historiens, tous les participants que l'on a pu rencontrer étaient enthousiastes, à l'image de Pierre Le Mouel, spécialiste de la question des récits nationalistes chypriotes. "Le plus difficile, en fait, c'est de se mettre d'accord le vendredi soir, ça part un peu dans tous les sens", explique-t-il au détour d'une allée virtuelle. "On a commencé à lancer des tas d'idées, mais à la fin il faut n'en garder qu'une."
Même son de cloche du côté artistique et technique. "C'était hyper intéressant de travailler avec une historienne", note Solenne Marty, graphiste et responsable de la création de tout l'espace virtuel dans lequel la game jam a eu lieu. "J'adore les histoires, j'aime qu'on m'en raconte, et je trouve ça passionnant que le joueur puisse se l'approprier de façon dynamique, voire l'incarner."
"Ils sont experts dans leur domaine, mais ne savent pas toujours l'expliquer facilement", note le développeur Maxime Barnier. Cette opération "permet de créer un dialogue, de trouver la bonne manière de raconter cette histoire." Et, in fine, d'intéresser le grand public à la décolonisation, la longue histoire des Jeux olympiques ou les complots du XVe siècle.
Pour découvrir les jeux vidéo développés ce week-end, rendez-vous sur la page itch.io de la game jam, ou bien à la bibliothèque Abbé Grégoire de Blois les 7, 8 et 9 octobre prochains. Comme chaque année depuis 2019, plusieurs conférences et ateliers seront, une nouvelle fois, consacrés au jeu vidéo.