Fruit d'une alliance malaisée entre des élus dont les sensibilités vont du centre-gauche à l'extrême-droite, la majorité départementale du Loir-et-Cher est sous tension. Au lendemain des législatives, les vieilles rancœurs et les haines enfouies ont refait surface.
"Jamais on n'a eu une ambiance aussi délétère, aussi détestable." Au lendemain de la séance publique du conseil départemental du 20 juin, Philippe Sartori, le 2e vice-président du Département, en ressent encore la tension.
La majorité affaiblie par la droite extrême
Ce jour-là, l'assemblée départementale est réunie pour voter le budget de ses comptes de gestion et administratifs. Mais l'autre enjeu que certains conseillers veulent mettre en lumière, c'est la place de Guillaume Peltier, porte-parole du parti extrémiste Reconquête, et de ses collaborateurs au sein du conseil départemental.
C'est en particulier Virginie Verneret, binôme de l'ancien frontiste aux départementales et un temps envisagée comme candidate LR aux législatives, qui est visée. Le 17 juin, quelques mois après son binôme du canton de Montrichard, elle s'est "mise en retrait de la majorité". "J'ai demandé solennellement à ce que ses délégations lui soient retirées par un vote", relate Philippe Sartori. "J'ai dit : 'si ce n'est pas fait, on part de la majorité, on ne vote pas le budget !'." Dont acte : le vote n'aura pas même pas lieu, car le président Philippe Gouet a immédiatement retiré à l'élue de Chambord ses délégations aux espaces naturels et aux associations environnementales.
Une décision prise pour "calmer l'opposition", explique l'intéressé, qui regrette une "réaction disproportionnée de certains élus qui n'ont pas digéré mon élection". "Ils le font en public, lorsque la presse est là", estime-t-il "car ils veulent faire voir qu'il y a une opposition et qu'elle est active".
Un mariage de raison après les départementales
Il s'agit du dernier épisode en date d'un long divorce entre deux droites irréconciliables et coincées ensemble dans un mariage de raison. Camp historique des anciens fidèles de Maurice Leroy puis de Nicolas Perruchot, l'Union pour le Loir-et-Cher (UPLC), a longtemps fédéré l'essentiel du nord du département, ancienne circonscription législative de "Momo", autour d'un compromis de centre-droit.
Fragilisée lors des élections départementales de 2021, l'UPLC a dû accueillir dans ses rangs à la fois Guillaume Peltier, pas encore rallié au candidat à la présidentielle Éric Zemmour mais déjà sur une ligne de la droite dure, et les deux élus du canton de Romorantin plutôt classés divers-gauche. Dans le même temps, Pascal Bioulac, président de l'alliance réélu dans son canton, a claqué la porte devant cette arrivée d'une "droite-Valeurs Actuelles" au Département.
En janvier, suite à son ralliement à Reconquête pour en devenir le porte-parole national, Guillaume Peltier a été exclu de la majorité départementale. La conséquence d'un éloignement politique, mais aussi d'une distance qui s'est installée entre l'ancien député, ses collègues, et son territoire. "Il n'en a rien à foutre, des Solognots !", s'agace Pascal Bioulac, contacté par France 3. "Sa priorité, c'est d'être sur BFM et sur CNews", poursuit celui qui accuse le député sortant d'avoir considéré son mandat comme "un outil pour faire sa promotion". "C'est un homme qui n'a pas de parole", abonde Philippe Sartori, qui estime que l'ancien député "nous a montré son vrai visage" en "franchissant le Rubicon" et en se ralliant à Éric Zemmour. "Il ne pense qu'à une chose, c'est son ambition personnelle."
On sait très bien que la candidature de l'ancien député, qui s'est présenté le jour de la date limite, n'avait qu'un seul objectif : faire battre Pascal Bioulac
Philippe Sartori, vice-président du conseil départemental du Loir-et-Cher
Guillaume Peltier, jamais là mais toujours présent
Malgré le camouflet subi lors des législatives, dont il a été éliminé dès le premier tour, Guillaume Peltier conserve un certain nombre de proches dans l'entourage de l'exécutif départemental, à en croire ses adversaires. En premier lieu dans la personne de son président, Philippe Gouet. À gauche, l'opposition le voit même comme "totalement sous influence", pour reprendre les mots du conseiller régional et secrétaire départemental du PCF, Emmanuel Léonard, dans un communiqué.
Une influence qui se manifeste selon lui dans la personne du Blésois Matthieu Spiesser, "bras droit" de Guillaume Peltier et chef de cabinet du président du Département. "Monsieur le président, le doute vient de Matthieu Spiesser", a déclaré Agnès Thibault, conseillère de Sologne, lors de la séance, comme le rapportent nos confrères de la Nouvelle République. "Un gentil garçon mais embauché par Nicolas Perruchot et qui est le bras droit de Guillaume Peltier. Changez de directeur de cabinet et nous travaillerons ensemble dans la sérénité."
"Je ne suis sous l'influence de personne", rétorque sèchement l'intéressé, qui trouve d'ailleurs lui aussi Guillaume Peltier "assez peu investi sur le territoire". "On a dit que j'étais la marionnette de Peltier, avant ça j'étais celle de Perruchot, ou encore celle de Leroy", ironise-t-il. "Je suis parfaitement autonome et j'ai mes priorités, qui sont la démographie de santé, qui est un problème critique, et la transition écologique."
Quant à son directeur de cabinet, Philippe Gouet juge la demande d'Agnès Thibault "parfaitement honteuse" : "ils n'ont pas pu avoir ma peau, ils veulent la sienne." Matthieu Spiesser, explique encore le président du Département, "est un directeur de cabinet extrêmement fiable, efficace, qui fait le job". Certes, le même Matthieu Spiesser, qui affiche toujours sur son profil Facebook une photo du meeting d'Éric Zemmour au Trocadéro, "a été l'ami" de Guillaume Peltier, reconnaît Philippe Gouet, mais sans aucune interférence avec les domaines politiques et professionnels. "Et moi, j'ai bien des amis communistes !"
Le paradoxe loir-et-chérien
Pour les communistes, justement, "cette question a des conséquences très concrètes sur les politiques départementales". "Fort de sa position de blocage, Peltier n’a même pas besoin de vice-présidence ou de délégations. Il peut imposer sa ligne politique conservatrice, xénophobe et réactionnaire à l’assemblée départementale", estime encore Emmanuel Léonard.
Nous atteignons un paradoxe : battu sèchement dans les urnes aux législatives, Guillaume Peltier apparaît plus fort que jamais au Département. La lâcheté du président Gouet et les compromissions de l’UPLC sont à l’origine de ce hiatus démocratique.
Emmanuel Léonard, secrétaire départemental du PCF Loir-et-Cher
Et ces tensions ont été exacerbées lors des législatives. Par le choix de Virginie Verneret par la fédération départementale LR comme candidate, alors que l'échelon national lui préférait le maire de Lamotte. Par le soutien de Nicolas Perruchot -- ancien président du Département et fidèle de Maurice Leroy, épinglé pour plusieurs affaires politico-financières -- au candidat zemmouriste. Et enfin par l'absentéisme de Guillaume Peltier, que nos confrères de La Nouvelle République ont vu arriver à la séance du conseil départemental du 20 juin "bien après la bataille" et l'exclusion de son binôme, et qui boude ostensiblement la presse locale et ses demandes d'interview.
"On va gérer" affirme Philippe Gouet, qui se dit prêt à "trouver des compromis" et ne s'occupe "pas des soubresauts politiques". Des compromis, même avec l'extrême-droite ? "Je ne trie pas les voix ! Ce n'est pas ça, la démocratie." De fait, sur le papier en tout cas, avec un total de 14 voix sur 30, la majorité absolue de l'UPLC a vécu, et aura besoin de transiger avec son opposition, qui intègre aussi un groupe centriste, quelques anciens socialistes et les dissidents LR.