À l'aide d'un puits unique au monde, des scientifiques orléanais visent à mettre au point un simulateur de sol pour évaluer l'impact de l'agriculture sur les nappes phréatiques. Un forage d'avenir à Villamblain, dans le Loiret.
Le vent souffle sur la Beauce, et rien ne distingue le petit hangar beige des autres installations agricoles de Villamblain, dans le Loiret. Pourtant, quand Mohamed Azaroual, le directeur adjoint de l'Institut des sciences de la Terre d'Orléans (Isto), en ouvre les portes, casque de chantier sur la tête, la surprise est de taille : pas de tracteur ou autre semeur, mais un trou.
Profond de 20 mètres, jusqu'à affleurer la nappe de Beauce, d'un diamètre de 4 mètres, tapissé de pierres blanches, il est constitué de sept paliers auxquels le visiteur accède par des trappes. Chaque étage peut recevoir plusieurs tonnes de matériels et supporte notamment le poids d'une foreuse.
Mieux gérer les ressources en eau
Les scientifiques de l'université d'Orléans, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et du CNRS pourront ainsi placer une multitude de capteurs jusqu'à 10 mètres alentour, dans les couches géologiques qui les intéressent. Objectif : accumuler les données environnementales, en géologie, géophysique, géochimie ou encore microbiologie, pour déterminer "le devenir des intrants" et autres produits phytosanitaires utilisés dans une exploitation agricole. En d'autres termes, évaluer les effets de l'agriculture sur la nappe phréatique.
"C'est un observatoire de la zone non saturée (en eau, NDLR), c'est-à-dire de tout ce qui nous connecte depuis le sol jusqu'à la nappe. L'idée est de comprendre tout ce qui se passe entre le sol et la nappe pour mieux gérer nos ressources en eau", explique le chef du projet.
Les chercheurs ont pour mission de quantifier, évaluer, mesurer, et partager leurs informations. Mais, Mohamed Azaroual l'assure : "On ne prendra pas parti."
Nous on dira : "Vous pouvez continuer à utiliser ça parce que visiblement ça n'arrive jamais à la nappe." Ou au contraire : "Ça, ça serait bien de changer ou de réduire parce qu'on a déjà atteint la limite dans la nappe."
Mohamed Azaroual, directeur adjoint de l'Isto
3,5 millions d'euros
Pour ce faire, le projet de près de 3,5 millions d'euros -financé par la région Centre-Val de Loire, l'État et l'Europe- s'est installé à Villamblain pour les 40 prochaines années. De son côté, l'exploitant du champ ne doit surtout pas changer sa pratique, mais juste déclarer aux scientifiques la teneur de ses travaux agricoles : volumes d'irrigation, quantités d'engrais, de pesticides, d'herbicides, types de cultures, etc.
Si les premiers appareils sont bien présents sur le site, le puits va monter en puissance et accueillir l'essentiel de ses capteurs d'ici 2024. "A partir de 2025-2026, on commencera à avoir (...) une densité importante de données. On a des partenaires à l'international qui sont fortement intéressés", se réjouit le directeur adjoint de l'Isto.
Selon lui, une université finlandaise et deux américaines (Clemson et la prestigieuse Berkeley) auraient déjà manifesté leur intérêt de rejoindre l'observatoire O-ZNS. "On peut rajouter d'autres forages à la demande de certains chercheurs qui auraient d'autres idées", assure le géologue, qui entend rassembler sur le site de nombreuses disciplines des sciences du sol.
"Jumeau numérique"
Mais ce n'est pas la seule finalité de l'observatoire. En compilant les données et les découvertes, O-ZNS est destiné à alimenter un "jumeau numérique" de la nappe de Beauce. "C'est plus qu'un simulateur, car ça se fait sur tout un cycle de vie. Ca demande énormément de données [...] pour nourrir l'intelligence artificielle", explique Sébastien Dupraz, responsable des infrastructures de recherche au BRGM.
Ainsi, O-ZNS, comme plusieurs autres projets régionaux, deviendra une brique du programme JUNON, avec lequel "on va pouvoir créer un "petit jumeau" qui nous permettra de changer d'échelle. Partir du super local pour s'étendre", continue-t-il.
Ce super simulateur devrait ainsi permettre de prédire sur des dizaines d'années les évolutions de la nappe de Beauce, la réserve d'eau potable la plus étendue en France. Une fois les "variables pertinentes" identifiées, l'approche sera "transposable". Elle pourrait alors s'appliquer à d'autres nappes phréatiques en France. Et même ailleurs sur la planète.
Avec AFP.