Une triste histoire secoue la commune de Courtenay, dans le Loiret, en cette fin d’été. Des administrés se demandent pourquoi les secours ont mis six jours à intervenir au domicile d’une vieille dame, qui ne donnait plus signe de vie.
Que s’est-il passé entre le 26 juin et le 1er juillet 2023 ? La question tourne dans de nombreuses têtes à Courtenay, commune de l’est du Loiret, où Madame L., une vieille dame de 80 ans, a été retrouvée morte chez elle. Et ce, six jours après que ses voisins se sont inquiétés de sa situation auprès de la police municipale.
Tout commence, donc, le lundi 26 juin, selon un courrier adressé à la maire de Courtenay et publié sur Facbebook par un habitant. "Un signalement est fait auprès de la police municipale par des voisins, qui n’ont plus de nouvelles de leur voisine", explique la lettre. Celle-ci est signée de deux élus de l’opposition, Philippe Guillet et Isabelle Rognon, prévenus par la voisine de Madame L.
"On est allés tambouriner à sa porte, pas de réponse"
La voisine, qui tient à rester anonyme, explique à France 3 avoir constaté que "le courrier s’entassait dans la boîte aux lettres et les volets restaient tout le temps fermés", malgré la présence de la voiture de Madame L. devant chez elle. "On est allés tambouriner à sa porte, pas de réponse. On était inquiets".
Mais au commissariat, elle n’aurait pas trouvé l’aide qu’elle recherchait : "On nous a dit qu’on ne pouvait pas rentrer chez les gens comme ça, qu’on n’avait pas le droit." Selon elle, la police lui aurait promis de la tenir au courant. Sauf que, cinq jours plus tard, toujours rien. "On a rappelé la police, rien n’avait bougé. On m’a expliqué que les pompiers étaient occupés avec les émeutes de Montargis. Puis on a appelé la maire, elle m’a dit qu’elle allait essayer d’appeler les pompiers."
Finalement, le dimanche 1er juillet, la voisine décide d'appeler le 18. "Je leur ai tout dit, je pense qu’ils n’étaient pas au courant, ils sont arrivés tout de suite." Les pompiers et les gendarmes interviennent sur les lieux, et découvrent Madame L. décédée. Six jours après le premier appel à la police.
De tels cas, les pompiers en ont "tous les jours"
Selon les constatations, le décès date de plusieurs mois. Une intervention plus rapide des secours n’aurait donc pas permis de sauver la vieille dame. Reste que l’absence d’intervention cinq jours durant trotte dans la tête de sa voisine. "Les pompiers m’ont dit qu’il y avait toujours une permanence, qu’ils seraient intervenus tout de suite."
Chez les pompiers de Montargis, l’histoire surprend :
À partir du moment où on a suffisamment d’éléments qui permettent d’avoir un doute sur la présence chez elle de la personne comme la confirmation de sa présence par les voisins ou le fait que sa voiture soit devant chez elle, on a le droit de pénétrer dans un lieu privé.
Les pompiers de la caserne de Montargis
D’autant que, "des personnes qui ne répondent pas aux appels, on en a tous les jours", assurent les pompiers montargois. "Parfois, les gens vont bien et sont juste endormis, parfois ils ne sont pas chez eux." Reste que, quand doute il y a, "on apporte une réponse".
La mairie répond
Contactée, la maire de Courtenay, Annagaële Maudrux, a fait parvenir à France 3 une lettre de réponse adressée aux deux signataires du premier courrier, lettre lue en conseil municipal. Elle y dénonce "une situation de ‘commérage’ intolérable", seulement "vouée à agiter la toile de commentaires".
Selon elle, la police municipale s’est rendue au domicile de Madame L. dès le lundi 26 juin, et "personne ne répondra" à la porte. Des "vérifications d’usage auprès de différents services" auraient ensuite été menées le mardi 27 par la police, "démarches restées vaines". La maire de Courtenay n’a pas donné plus de détails à France 3 concernant la nature de ces démarches.
Toujours selon la maire, la voisine aurait ensuite été recontactée par la police, et aurait proposé "d’attendre le ramassage des ordures ménagères, soit le vendredi 30 juin, pour vérifier si la poubelle de cette dame est sortie, preuve d’un éventuel mouvement". Ce qui expliquerait donc l’absence d’intervention de la police à l’intérieur du domicile.
"Quand il y a un doute, il n'y a pas de doute"
De plus, "les pompiers n’ont jamais dit qu’ils ne seraient pas disponibles", mais auraient déclaré "être en alerte maximum suite aux évènements survenus à Montargis et que si nous n’avions pas d’autres éléments à leur communiquer, il est préférable de les appeler après les émeutes afin qu’ils envisagent une ouverture de porte", poursuit Annagaële Maudrux.
Au niveau départemental, les pompiers assurent que cette affirmation de l'édile "n'engage qu'elle" : "Quand on nous appelle, on intervient. On dit toujours, 'quand il y a un doute, il n'y a pas de doute'." Sollicitée pour des questions supplémentaires, la maire de Courtenay n’a pas répondu à France 3.
Les deux élus d’opposition ont adressé un signalement au procureur de Montargis, Jean-Cédric Gaux. Ce dernier confirme à France 3 avoir reçu la lettre, sans y avoir donné suite pour le moment. La maire assure, elle aussi, vouloir adresser un courrier au procureur.
Si les versions de la maire et de la voisine divergent, toutes deux s’accordent sur un point. L’affaire témoigne du "constat tragique de l’isolement des personnes âgées", écrit Annagaële Maudrux. "C’est malheureux pour cette dame, elle ne méritait pas de finir comme ça, confirme la voisine de l'octogénaire. Je la connaissais depuis 1976, alors ça fait mal au cœur."
530 000 personnes en situation de "mort sociale"
Selon Les Petits Frères des Pauvres, en 2022, 14 personnes de plus de 62 ans ont été retrouvées mortes chez elles, entre 15 jours et trois ans après leur décès. L'association dresse elle-même un recensement de ces morts solitaires à partir d'articles de presse, et réclame des statistiques officielles. "Ces morts solitaires, ça nous choque tous, ça nous ramène à notre propre mort, à notre peur d'être seul, et ça nous interroge sur notre droit à la dignité", estime Benoît Desjouis, directeur de la fraternité Centre-Val de Loire des Petits Frères des Pauvres.
Selon le baromètre 2021 dressé par l'association, 530 000 personnes se trouvent en situation de "mort sociale" en France. "Elles n'ont pas de contact avec de la famille, des amis, du voisinage ou du tissu associatif." D'après le directeur de la fraternité du Centre-Val de Loire, la région est "une des plus concernées par ce phénomène d'isolement".
L'association s'est donc fixé comme défi de "repérer ces situations d'extrême isolement et de solitude". Pour y parvenir, Benoît Desjouis en appelle à "tout un chacun, les décideurs publics, les partenaires associatifs, mais aussi le citoyen, le commerçant de proximité, le facteur..." Les Petits Frères des Pauvres distribuent un kit de "chasseur de solitude", destiné à tous, pour briser cet isolement à l'échelle individuelle.
Benoît Desjois espère un renforcement de la coordination de tous partout en France, pour que ce qui est arrivé à Madame L. se reproduise le moins possible. "Quand on est isolé, c'est dramatique de se dire que non seulement on va mourir de solitude, en souffrir jusqu'à la mort, et que notre mort va passer inaperçue."