L'Ehpad n'est plus la seule solution. Les "villages retraites" ou "villages seniors" offrent des alternatives, que ce soit dans le public ou le privé. Reste à savoir à quelles bourses ces solutions s'adressent. France 3 Centre-Val de Loire fait le point.
Les Français n'aiment pas leurs maisons de retraite. "Dans l'imaginaire collectif, ces établissements sont associés aux hospices, aux mouroirs", assure Valentine Trépied, docteure en sociologie de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. "Les scandales de ces derniers temps n'ont fait qu'accentuer ces visions extrêmement négatives" précise la chercheuse, spécialiste du domaine du vieillissement et de l'autonomie.
Les scandales qu'elle évoque sont ceux qui avaient frappés Orpea, le leader européen des maisons de retraite. L'enquête menée par le journaliste Victor Castanet dans son livre Les Fossoyeurs relatait les conditions de vie des pensionnaires des Ehpad du groupe Orpea. Le journaliste indépendant décrit notamment un système dans lequel soins d'hygiène, prises en charge médicales et même repas des résidents étaient "rationnés" pour améliorer la rentabilité du groupe.
Le scandale Orpea a-t-il tué l'Ehpad ?
L'ouvrage n'a pas manqué de faire polémique à sa sortie et a suscité de nombreuses réactions. "Les révélations faites dans ce livre sont absolument révoltantes", s'était alarmé le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. Un scandale amenant le gouvernement à renforcer les contrôles dans les maisons de retraite. En février 2022, le gouvernement avait lancé une enquête dans les Ehpad Orpea dont le contrôle a été confié à la Caisse des dépôts.
La maltraitance institutionnelle en Ehpad n'a pourtant rien de nouveau, et le scandale Orpéa n'a fait que renforcer des stéréotypes déjà bien ancrés dans la société. Le public des Ehpad "incarne tout ce qu'on ne veut pas devenir dans une société qui valorise l'autonomie et la responsabilité individuelle", complète Valentine Trépied. Pour contrer ces stéréotypes, de nouveaux types d'établissements voient le jour.
"En France, c'est l'Ehpad ou l'Ehpad"
L'objectif de ces établissements de santé : préserver l'autonomie des personnes âgées le plus longtemps possible. "Si on est une personne dépendante en France, c'est l'Ehpad ou l'Ehpad", lance Marc de Saint Roman, président-directeur général de Serenya.
Il a donc décidé de lancer un nouveau concept : "On voulait proposer des résidences séniors d'un autre type. Ma maison, mon jardin parce que ça a toujours été le rêve des Français". Ces résidences sont des lotissements de plusieurs maisons de plain-pied adaptées aux personnes âgées.
Objectif : rester autonome le plus longtemps possible
Dans la résidence Serenya de Trouy, dans le Cher, les personnes âgées ne sont accompagnées que si elles en ont réellement besoin. Hors de question de les assister si elles sont autonomes. Par exemple, "il n'y a pas de services de restauration, car nous les considérons comme une façon d'accompagner les gens doucement vers la dépendance", déclare Marc de Saint Roman.
Néanmoins, quand les personnes deviennent dépendantes, une équipe d'auxiliaires de vie et de santé sont présentes pour les accompagner dans tous les actes de la vie quotidienne. À Trouy, 16 logements Serenya sur 52 sont réservés aux personnes dépendantes.
"On n'a pas le chronomètre en main"
Pour ces professionnels de santé aussi, la procédure de soins diffère de ce qui a lieu en Ehpad. "On n'a pas le chronomètre en main avec la personne. Si on doit mettre une heure, on mettra une heure", remarque Charline Pénard, 25 ans, aide-soignante à Trouy depuis juin 2020. La relation avec le patient est complètement différente : "On peut prendre le temps de discuter, de prendre un café avec eux. On fait ce qu'ils ont envie de faire", continue-t-elle.
Du côté des résidents, qu'ils soient dépendants ou non, le lieu, les activités et les services séduisent. Par exemple, Bernadette Chartier, 79 ans, habite la résidence depuis le 15 février 2020 : "J'avais une maison à Trouy mais mon mari est décédé et je ne voulais pas m'engager à tout entretenir. Je ne voulais pas rester toute seule donc je suis venu visiter plusieurs fois et ça m'a plu". La retraitée est totalement autonome, "c'est comme si j'étais chez moi, ça ne m'a pas trop changé", ajoute-t-elle. Sa famille peut aussi venir la voir quand elle le souhaite. Le reste du temps, les journées sont animées par du crochet, du tricot, des balades ou des jeux de cartes.
Des prix bien en dessous de ceux du marché
Autre détail qui a son importance : le prix. Les maisons de deux ou trois pièces allant de 50 à 71 m² sont disponibles à l'achat ou à la location. Pour une maison deux pièces sans garage, le loyer, charges comprises, est d'environ 630€/mois. Pour l'achat, c'est à partir de 150 000€ soit 3 000€ du m2 contre 1 900 € du m2 pour des maisons classiques dans le village du Cher. Sur les 52 résidences au total à Trouy, 75% sont louées contre seulement 25% achetées.
Ces villages séniors vont se multiplier dans la région. En effet, trois résidences sont en cours de réalisation à Dreux, dans l'Eure-et-Loir, Controis en Sologne, dans le Loir-et-Cher, et à Bourges, dans le Cher. Récemment, une résidence sénior s'est installée à Meng-sur-Loire, dans le Loiret.
En comparaison, les prix dans des EHPAD "classiques" se situent autour de 3 200€/mois à l'Ehpad Orpea de Bourges, autour de 3 000€/mois à l'Ehpad Korian d'Orléans ou 1 950€/mois à l'Ehpad public de Sully-sur-Loire dans le Loiret.
Répondre à la phase entre "vivre chez soi et l'Ehpad"
À Saint-Romain-sur Cher, petite commune de 1 500 habitants du Loir-et-Cher, c'est Michel Trotignon, le maire, qui a lancé l'idée de créer une résidence séniors. "Il m'a toujours semblé important qu'il y ait une phase dans la vie de chacun d'entre nous entre le vivre chez soi et l'Ehpad ou la maison de retraite […] On sentait une vraie nécessité et c'est à partir de là qu'est né ce projet", assure le maire de la commune.
"C'était quand même un projet extrêmement ambitieux pour une commune de notre importance. On a eu très peu de subventions. Une de 120 000€ du conseil départemental et une autre de 90 000€ du conseil régional sur un projet de plus de deux millions d'euros", ajoute-t-il.
Les personnes les moins autonomes ne sont pas concernées
Ici, pas de personnel de santé à l'intérieur de l'établissement. "Beaucoup d'entre eux ont le médecin traitant de la ville", poursuit Michel Trotignon. Comme à Trouy, les résidents sont assez autonomes et libres de circuler comme ils le veulent. Néanmoins, cette résidence sénior fournit les repas tous les midis et n'accueille que des personnes du GIR 4 à 6. Le GIR (Groupe Iso-Ressources), c'est l'indicateur qui détermine la perte d'autonomie. Le GIR 1 est le niveau de perte d'autonomie le plus fort, le GIR 6, le plus faible.
Dans cette résidence, les appartements de 35 m² sont disponibles pour des loyers compris entre 1 248€ et 1 308€/mois. Certains résidents viennent de loin, d'autres pas du tout, Jeannine, 80 ans, première résidente en 2020, vient elle-même de Saint-Romain-sur-Cher. Quand elle a entendu parler de la résidence, elle n'a pas hésité : "Je ne voulais pas rester toute seule chez moi, je m'ennuyais dans ma grande maison. Tout se passe très bien".
La région Centre-Val de Loire compte presque autant d'habitants de moins de 20 ans (592 000) que de personnes âgées de 65 ans ou plus (613 000 en 2023). Des populations qui représentent respectivement 23% et 24% de la population de la région selon l'Insee. L'institut s'est ensuite projeté jusqu'en 2050. Le nombre de séniors augmenterait alors de 21% (738 900) et le nombre de jeunes (529 600) baisserait de 11% entre 2023 et 2050. Si ces chiffres sont atteints, la population âgée de 20 à 64 ans ne serait plus majoritaire. Ces alternatives plaisent et les listes d'attentes pour les intégrer s'allongent.
L'Ehpad, tout un modèle à revoir
Pour répondre à ce vieillissement de la population, les EHPAD, établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, sont actuellement la forme d'institution de santé pour personnes âgées la plus répandue en France. Il y a environ 11 000 établissements de ce type dans l'hexagone, 45% sont publics, 24% privés et 31% sont associatifs. Néanmoins, ces établissements de santé vont devoir s'adapter.
La tendance est de suivre le modèle d'une "personnalisation de l'accompagnement", assure Valentine Trépied, sociologue, spécialiste de la vieillesse et du vieillissement. "Il faudra être sur quelque chose de beaucoup plus personnalisé pour les résidents. De moins être sur un accompagnement collectif, mais sur un accompagnement au plus proche des besoins, des attentes".
Mais pour elle, "il faut prendre en compte les inégalités du vieillissement. On ne vieillit pas de la même manière quand on appartient à un milieu social aisé ou défavorisé, c'est important que les politiques publiques puissent s'en saisir. C'est l'enjeu majeur", conclut-elle.