Ces mercredi 6 et jeudi 7 octobre, douze prévenus passeront en audience au tribunal judiciaire de Montargis. Arrêtés entre septembre 2020 et février 2021, leur est reproché un trafic de cigarettes de contrefaçon qui arrosait le Montargois de 1 000 cartouches par semaine pendant cinq mois.
2020 a été l'année d'un record : 6 milliards de cigarettes de contrefaçon ont été fumées en France l'année passée. C'est 600% de plus que l'année précédente, et 12% de la consommation totale de cigarettes dans le pays. Les responsables : le confinement et la hausse des prix. "Les paquets sont passés de 7 à 10 euros, et les consommateurs ont changé leurs habitudes pendant le confinement", affirme Daniel Bruquel, responsable de la prévention du trafic illicite chez Philip Morris France
Ce changement d'habitude est simple : sans possibilité d'aller acheter des cigarettes à bas coût à l'étranger, de nombreux fumeurs se sont tournés vers le trafic illicite local. "Ils ont réalisé qu'ils faisaient une bonne affaire, ils pouvaient acheter des paquets à 3-4 euros, en se faisant livrer et sans prendre le risque et le temps d'aller à l'étranger, simplement en passant par les réseaux sociaux ou des bars à chicha", complète Daniel Bruquel.
Une évolution qui concerne "tous les territoires" en France, note-t-il, y compris en Centre-Val de Loire : les cigarettes contrefaites représentent 19% de la consommation à Orléans, 14% à Bourges. Mais c'est à Montargis que ce trafic est devenu le plus visible, avec trois affaires de démantèlement pour la seule année 2020. Douze prévenus, arrêtés lors de la troisième affaire, comparaissent ces mercredi 6 et jeudi 7 octobre au tribunal judiciaire de Montargis.
Une criminalité "organisée, structurée, robuste"
En réalité, les interpellations se sont étalées entre octobre 2020 et février 2021, après des investigations portant sur des livraisons entre mai et septembre 2020, selon les informations du parquet de Montargis. Les prévenus sont du Montargois, des alentours d'Amiens, mais aussi arméniens, polonais et biélorusses.
"Le trafic passait pas la Belgique, aboutissait à des échanges en région parisienne, avant une redescente et la revente locale à Montargis", explique le parquet. En amont de la Belgique, il est cependant compliqué de retracer l'origine précise des cigarettes contrefaites.
Un trafic très organisé, à en croire Daniel Bruquel : "On n'est pas sur des petits gars qui ne savaient pas quoi faire. C'est la criminalité déjà organisée, structurée et robuste qui a répondu à la demande. Et le fonctionnement est le même que pour les stups : des approvisionnements avec des véhicules chargés et des ouvreurs pour éviter les contrôle routiers, des usines clandestines avec des ouvriers qui travaillent en 24/24, des règlements de compte... Mais pas encore trop de concurrence."
De la pub sur Snapchat
Si bien que, selon lui, le trafic de cigarette est à l'heure actuelle "moins dangereux et aussi lucratif que les stups". D'après le parquet de Montargis, le principal vendeur du réseau écoulait chaque semaine entre 10 et 20 cartons, contenant 50 cartouches, chaque semaine grâce à Snapchat notamment. Soit entre 100 et 200 000 cigarettes hebdomadaires, un joli pactole.
Mais en réalité selon le chargé de la prévention du trafic illicite, rien de particulier à de telles quantités écoulées dans le Montargois. "C'est une ville moyenne avec sa dose de trafic", estime-t-il, avec un "schéma similaire à ce qu'on retrouve dans les grandes métropoles". Si ces affaires sont plus visibles à Montargis, c'est, outre sa proximité avec la région parisienne, grâce à "la pugnacité des enquêteurs qui se sont attaqués à des réseaux de distribution locaux et ont continué à creuser et à remonter plus haut dans la filière". Une question de "moyens" accordés aux services de sécurité et à la justice, considère-t-il.
Daniel Bruquel espère également que les amendes et peines prononcées seront suffisantes pour dissuader. Car, après un premier réseau en mars 2020, les enquêteurs avaient démantelé un deuxième trafic "qui passait par extactement le même canal, le vide laissé a été repris par un autre derrière". Une erreur en partie évitée avec cette troisième affaire, puisque l'enquête a permis "une destabilisation bien plus profonde" en remontant plus haut dans l'organisation.
500 millions d'euros de perte pour la filière tabac
Désormais, la justice doit frapper assez fort pour à la fois "empêcher le réseau démantelé de se reconstituer", tout en "dissuadant d'autres protagonistes de prendre la place". D'après Daniel Bruquel, la contrefaçon de cigarettes représente un manque à gagner de 500 millions d'euros pour la filière tabac, de la manufacture au buraliste, et d'autres centaines de millions perdues en impôts par l'Etat. Et "si on ne se saisit pas du problème maintenant, on sera dans 5 ans dans la même configuration que les stups aujourd'hui", prophétise-t-il.
Il assure également que la contrefaçon représente un enjeu de santé publique très important. Les hausses de la fiscalité ayant un objectif dissuasif assumé par l'Etat, "les bas prix de la contrefaçon font que les gens restent sur la même consommation de cigarettes". Et si "les cigarettes légales sont déjà dangereuses", les illicites "sont fabriquées sans aucune norme, avec du tabac posé par terre plein de poussière, chargé à la pelle, sans traitement", liste-t-il.
Bien qu'embauché par Philip Morris, il assure que l'objectif de la marque est "que les gens passent à la cigarette électronique ou au tabac à chauffer, en diminuant la cigarette". Le tabac à chauffer, une technologie développée par Philip Morris et présentée comme moins dangereuse que la combustion d'une cigarette classique, entraîne pourtant des effets aussi nocifs pour les poumons et le système immunitaire.
Pour les audiences de ces 6 et 7 octobre, les qualificatifs d'escroquerie en bande organisée et de blanchiment d'argent aggravé ont été retenus par le parquet, punis d'une peine maximale de 10 ans de prison ferme. A cela pourraient s'ajouter des amendes requises au vu des délits douaniers notamment.