La République du Centre dévoilait hier l'enquête ouverte par le procureur d'Orléans concernant le recteur de la basilique de Cléry-Saint-André. L'Evêque du diocèse d'Orléans, Mgr Blaquart, a tenu ce matin une conférence de presse.
"J'invite toutes les personnes qui ont été victimes à se manifester. Sortir du silence, c'est très difficile, c'est très important." Le moment est solennel pour Monseigneur Jacques Blaquart, l'évêque d'Orléans. Eprouvant, aussi.Regard baissé sur ses notes, mots précis et prudents, il retrace la chronologie des faits. La semaine dernière, deux hommes contactent les responsables religieux du diocèse d'Orléans. L'un directement, l'autre passe par la cellule d'écoute des victimes mise en place par le diocèse en 2016.
Le prêtre immédiatement écarté
Tout deux disent avoir été victime du même homme : un prêtre âgé de 58 ans, recteur de la basilique de Cléry-Saint-André.
L'un parle d'attouchements, dans les années 80 en camp de jeunes, alors que le prêtre est encore séminariste. L'autre évoque une agression sexuelle et un viol dans le même contexte, au milieu des années 90. Ils ont alors une dizaine d'années. Deux victimes qui ne se connaissent pas, qui n'ont pas été concernées ni à la même époque, ni au même endroit, mais qui accusent la même personne.
Déjà, en 2017, un signalement avait été fait à Mgr Blaquart pour des faits de la même nature à propos de ce même prêtre. L'évêque contacte alors la procureure de la République d'Orléans d'alors, Yolande Renzi. La victime ne souhaite pas porter plainte. Selon lui, la procureure lui affirme que ce sera difficile, "parole contre parole".
Contactée, Yolande Renzi se souvient s'être entretenue à ce sujet avec Mgr Blaquart, et lui avoir effectivement expliqué que sans témoins, et sans plainte, l'enquête risquait de ne pas aller bien loin. Elle a pourtant été ouverte, mais n'aurait pas abouti.
Pourquoi n'a-t-il pas démis alors le prêtre de ses fonctions ? "J'aurais pu..." confie-t-il. Mais celui-ci dément catégoriquement.
Cette fois, il n'aura pas hésité. Quelques jours après avoir reçu les victimes, Mgr Blaquart rencontre le prêtre et le démet immédiatement de toutes ses fonctions. Il est maintenant "retiré", en attendant que la Justice fasse son travail. Mais même s'il bénéficie d'un non-lieu, ou si la prescription entre en jeu, il ne sera pas ré-intégré. La conviction personnelle de Mgr Blaquart est faite. Le prêtre, quant à lui, "reconnaît des faits".
"Pour être en contact depuis plusieurs années avec des victimes, je mesure le poids de la souffrance accumulée pendant des décennies. Ce sont des vies brisées, en morceaux. Les conséquences sont graves, je suis déterminé à ce que la vérité éclate." Et Mgr Blaquart joue la transparence jusqu'au bout. Il nous apprend qu'il a déjà eu connaissance dans son diocèse des agissements de cinq prêtres. Deux font face à la justice. Les trois autres ont soit bénéficié d'une prescription, soit étaient déjà décédés au moment des confessions de leurs victimes.
L'Eglise fait face à ses démons
"Il n'y a rien de pire que le silence, c'est une chappe de plomb... Pendant des années, on défendait l'institution, mais ce sont les victimes qui doivent être premières dans notre conscience ! Si nous allons au fond de la vérité, ce sera un mauvais moment à passer, mais on en sortira par le haut..."
Car pour Mgt Blaquart, le salut de l'Eglise passe par cette phrase prononcée par Jésus-Christ selon l'Evangile : "La vérité vous rendra libre." Le diocèse d'Orléans, malgré cette récente affaire, est pionnier dans cette volonté de faire éclater la vérité, qui longtemps n'a pas existé au sein de l'Eglise.
En 2016 est créée une cellule intitulée "Ecoute des blessures" destinée aux victimes d'agressions au sein de l'Eglise. Coïncidence macabre : en même temps que les victimes se confiaient, de nouvelles affichettes pour promouvoir cette cellule étaient distribuées dans le diocèse.
Depuis sa création, elle s'est élargie avec l'arrivé d'un médecin, d'un psychanalyste, d'un magistrat... Le diocèse compte également une déléguée épiscopale pour la protection des mineurs et des personnes vulnérables, et une déléguée à la formation affective, relationnelle et sexuelle.
On n'excuse pas, on explique
Pour Mgr Blaquart, le nerf de la guerre est là. Cette éducation affective. "Je crois beaucoup en l'éducation à la juste attitude, à la juste distance. Ce n'est pas quelque chose qui vient tout seul. Vous savez quand j'entends un vieux prêtre, coupable d'abus, me dire : "on ne nous a jamais parlé de ces choses-là"... Je suis convaincu que c'est ce qui est en panne dans notre société" regrette Jacques Blaquart, le col blanc droit mais les épaules un peu voûtées.
Un guide de bonne conduite est distribué aux prêtres qui doivent intervenir auprès de la jeunesse, pour prêcher cette juste distance. Prévenir des dérapages qui seraient, en fait, immédiatement des drames. "Les prêtres le signent, avant de partir en camp."
Est-il devenu suspicieux, Mgr Blaquart, envers les 70 prêtres de son diocèse ? Oui et non. "Je suis un peu comme une mère de famille. Quand l'un de ses enfants est malade, elle se demandent si les autres ne le sont pas aussi... Mais j'ai confiance en la majorité. Je navigue un peu entre les deux."
Il navigue, vers un but : que la "maison Eglise redevienne une maison sûre."
L'une des victimes se confie grâce à un documentaire France 3
L'une des victimes qui a révélé cette semaine le calvaire vécu auprès du prêtre de Cléry a témoigné auprès de nos confrères de la République du Centre : "J'ai vu des hommes témoigner à visage découvert. Leur courage m'a incité à dire aussi ce qu'il s'est passé."Il fait référence à un documentaire diffusé sur France 3 mercredi 21 mars, intitulé : "Pédophilie, un silence de cathédrale".
Des extraits sont disponibles ici.