"Elle est où l'humanité ? Je suis révoltée" Le cri de désespoir d'un médecin et de patients "abandonnés" à Emmanuel Macron

Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, plusieurs patients d'Orléans, sans médecins, appellent à l'aide le président sortant. Une médecin orléanaise, interpelle également les institutions et décrit une situation dramatique.

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"C'est pas normal qu'on ait des papis et des mamies complétement isolés chez eux, sans possibilités d'accès au soin. Ça me révolte. Ça me révolte et ça me révulse." La voix tremblante, le docteur Naïma Bouraki esquisse un geste d'impuissance, s'interrompt. "Je me dis pourquoi, pourquoi personne ne... les bras m'en tombent."

L'accès au soin toujours plus lourd à porter pour les médecins généralistes

Médecin généraliste, Naïma Bouraki travaille depuis plus de vingt ans à la maison de santé pluridisciplinaire (MSP) Liliane Coupez, dans le quartier populaire de l'Argonne, à Orléans, où elle a déjà 2500 patients. Mais, sur son unique journée de repos hebdomadaire, elle file aussi donner du renfort à la MSP de Madeleine-Brès, dans le centre-ville, dont l'un des médecins référents vient de partir à la retraite.

Un grand écart qui risque de nuire à sa propre santé sur le long terme, mais elle assume : "Au moins, quand je serai morte, j'aurai rien à me reprocher ! J'aurais aidé un peu."

C'est la société qui veut qu'aujourd'hui ce soit le grand écart. J'ai envie que nos politiques puissent l'entendre. Il y a des médecins qui travaillent jusqu'à 70, 75 ans. C'est pas un grand écart ça aussi ? Est-ce qu'on a vocation à travailler jusqu'à 75, 80 ans ?

Naïma Bouraki, médecin généraliste à Orléans

Lettre ouverte au président de la République sortant, Emmanuel Macron

Le 13 avril, la coordinatrice de la MSP Madeleine-Brès, Éléonore Vidal, a transcrit quelques-uns des nombreux messages de détresse reçus par des patients dont l'accès au soin devient de plus en plus précaire, dans une lettre envoyée au président de la République sortant Emmanuel Macron. Dans cette lettre, huit témoignages, comme celui-ci : 

J’ai peur. Mes aides à domicile n’ont pas le temps de s’occuper de moi, je reste parfois toute la journée en pyjama et je ne suis pas lavée. Je n’ai plus goût à la vie. On ne me voit plus, on ne m’entend plus, je suis seule.

Une patiente sans médecin

Vivre, soigner, ne pas se résigner

"Notre système de soin arrive au bout de ses limites", diagnostique Naïma Boukari. Dans le centre hospitalier régional, à quelques kilomètres de là, un soignant témoignait au micro de France 3 qu'un patient pouvait "rester 4 jours sur un brancard sans voir la lumière du jour", et le délitement des services a poussé les équipes à entrer en grève. Mais, malgré le désespoir, hors de question pour elle de baisser les bras. "Là, pendant dix ans, il n'y a plus de docteur. Y en a plus. Oubliez. Il faut faire avec ce qui existe."

Ce qui existe, ce sont notamment certaines autres professions de santé et les compétences qui vont avec, comme celles des infirmiers, kinés, ou encore pharmaciens. De quoi prendre "un peu plus de patients par médecin, mais pas dans les conditions actuelles", précise la praticienne. "Aujourd'hui on ne peut plus parler de médecin traitant, mais il peut y avoir une notion d'équipe traitante."

Or, "tout ça nécessite un peu de coordination et de financement". A titre d'exemple, l'arrivée d'infirmiers de pratique avancée (IPA), capables de soulager les médecins généralistes de certains cas, comme le suivi des maladies chroniques, a été applaudi, mais leur métier reste "précaire". "Vous avez vu leur rémunération ? Ce n'est pas viable. Il faut les salarier, et le faire de façon pérenne. Or aujourd'hui, dans le système conventionnel qu'on a actuellement, c'est pas à la hauteur de ce qu'on attend."

Par contre, il faut se mettre autour de la table : qui fait quoi, qui finance-t-on comment ? On peut pas travailler sur cette réorganisation du système de santé sans les institutions. On ne peut pas tout demander aux médecins comme on le fait actuellement. C'est pas possible. Aidez-nous d'un point de vue financier, aidez-nous à structurer tout ça, parce qu'on va au devant d'une catastrophe.

Naïma Bouraki, médecin généraliste à Orléans

Le résultat, en attendant, c'est un accès aux services de soin dégradé, et une profession au bord de l'épuisement. "On va droit au mur", déplore la médecin. "Si les politiques ne prennent pas à bras le corps ce problème de la santé, ça va nous exploser à la figure. Nous on est épuisés. Si on continue il n'y aura plus personne pour soigner personne."

En plus de ces conditions de travail toujours plus difficiles, sans aucun signe d'amélioration en vue, deux ans de crise sanitaire et de méfiance face à la science ont fait des ravages. Le 22 novembre dernier, après une discussion vive entre le docteur Bouraki et une de ses patientes, trois hommes viennent tambouriner, cogner à sa porte et dans les murs du bureau pendant 45 minutes, tétanisant au passage les secrétaires et les patients de la salle d'attente. Un signe parmi d'autres de la distance qui s'installe entre la population et son droit à la santé.

 Je suis en colère, triste. Réveillons-nous c'est nos parents, c'est nos oncles, c'est nos tantes. Au secours quoi. Vraiment. Au secours.  

Naïma Bouraki, médecin généraliste à Orléans

Quant aux patients eux-mêmes, ils paient aussi le prix fort du recul de la santé. "J'ai vu hier un papi, qui est né en 1932", raconte, à titre d'exemple, Naïma Bakouri. À mesure que la scène lui revient en tête, sa voix tremble. "Il me racontait dans quelle misère il vivait, seul. Il était sale. Il était désolé de se déshabiller devant moi, comme ça." Une pause. "Elle est où, la dignité humaine ? On en arrive où, là ?" Sa voix ne tremble plus. On n'y entend plus la tristesse. Seulement la colère.

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