Ce vendredi 15 octobre, de nombreux établissements scolaires organisaient des échanges entre élèves et professeurs, un an après l'assassinat de Samuel Paty. L'occasion de parler des notions d'hommage, de laïcité, et de liberté d'expression.
Que reste-t-il à dire et à demander aux élèves français, un an après l'assassinat de Samuel Paty ? C'est ce que se sont demandé de nombreux établissements scolaires français ce vendredi 15 octobre, alors qu'étaient imposée partout une minute de silence. Mais pas que : dans certains établissements, des professeurs ont pu dédier une heure de cours à échanger, débattre et revoir avec les élèves ce qu'il reste aujourd'hui du drame d'octobre 2021.
Au lycée Charles-Péguy d'Orléans, Mme Briffault, professeure d'histoire-géographie, a passé une heure avec une trentaine d'adolescents de seconde. Avec l'objectif de réfléchir à des notions souvent entendues, mais pas forcément comprises. "Je vais leur demander ce qu'est pour eux un hommage", annonce-t-elle juste avant le début de son cours. Avant de s'attarder sur les trois gros dossiers qui entourent la mort de Samuel Paty : "la laïcité, la liberté d'expression et les réseaux sociaux". Et aussi "demander pourquoi on le refait encore une fois".
Pourquoi commémorer ?
Car, un an après la décapitation du professeur, que son assassin accusait d'avoir offensé la religion musulmane en ayant montré en classe des caricatures du prophète, tous les lycéens de Charles-Péguy connaissent l'histoire. Ses répercutions, ses enjeux ont été répétés et analysés, déjà au moment du drame puis en cours d'enseignement moral et civique.
Autant dire que, lorsque la professeure demande à son assistance ce qui "s'est produit" ce jour-là, les mains se lèvent rapidement. "Une fille dans la classe a expliqué à son père que le professeur avait montré des caricatures. Le père a fait une vidéo qui a tourné et ensuite..." La jeune fille ne terminera pas sa phrase, mais aura prouvé que l'évènement est encore dans toutes les têtes.
Alors pourquoi rendre "hommage", et comment ? "Pour montrer qu'on garde en mémoire", résume une lycéenne, "commémorer", tente une autre. "On pourrait mettre un jour férié." La professeure préfère s'attarder sur les notions de "commémoration", étymologiquement "penser ensemble", et de "remémorer", soit se souvenir à nouveau. "Pour ne pas oublier", affirme un adolescent. Tel est le point central, un an après : le combat dont Samuel Paty est devenu, malgré lui, le symbole tragique n'est pas terminé. Comme si, avec le drame, la France avait réalisé que ses propres valeurs n'étaient jamais acquises.
Assurance du vivre-ensemble
Au premier rang desquelles la laïcité. Mme Briffault passe alors à ses élèves une vidéo animée, "La laïcité en 3 minutes", qui remet en contexte la "construction au cours de l'histoire" de ce concept, qui "n'est pas tombé d'un coup". On y parle de révolution française, de saisie des biens de l'Église, de division et de concordat, puis de la construction par la Troisième République de l'école obligatoire, gratuite et laïque. Avant de déboucher sur la loi de 1905, celle de séparation des Églises et de l'État, qui fait qu'"aucun prêtre, imam ou rabbin ne peut être salarié" par le pays.
Revenir sur cet historique permet à la professeure de conclure que la laïcité est devenue au fil des ans un moyen de réconcilier la société française, les athées et les chrétiens d'abord, avant de garantir le vivre-ensemble dans une société devenue multiculturelle et multiconfessionnelle. "Chacun a le droit de croire en ce qu'il veut, ou de ne pas croire, et il est à égalité devant la loi", résume Mme Briffault :
C'est la condition de l'harmonie dans la société.
Mme Briffault, professeure d'histoire-géographie
La notion semble acceptée des élèves. L'une rapporte pourtant la difficulté de faire comprendre "à [sa] correspondante étrangère que, ici, les lois de la République sont au-dessus de celles de Dieu". D'ailleurs, "est-ce que toutes les lois vous plaisent ? demande la professeure. Bien-sûr que non, mais on ne va pas les combattre avec des kalashnikovs ou des couteaux. On les combat avec les armes de la démocratie". Lesquelles ? "La parole", "des manifestations", listent deux élèves, liste complétée par "le vote". En somme : les moyens de la liberté d'expression, celle que pour laquelle Samuel Paty a été assassiné.
"Personne n'est obligé d'aimer Charlie Hebdo mais il s'inscrit dans le cadre de la loi, et la loi ignore le délit de blasphème." La classe semble d'accord : "Samuel Paty n'a pas insulté l'Islam, il a utilisé la caricature, il a grossi le trait", précise une lycéenne. Une caricature destinée à faire réfléchir, un outil pédagogique."On n'est pas obligé d'aimer la caricature", insiste Mme Briffault. "Ben non, moi j'aime pas ça", murmure une élève à sa voisine. Aucune importance en réalité, puisque les secondes de Charles-Péguy ont compris l'engrenage qui a mené à la mort du professeur.
Avec une dernière notion capitale : celle des réseaux sociaux, ceux qui ont servi de relais à la vidéo du père accusant Samuel Paty, ceux sur lesquels certains ont voulu instrumentaliser la vidéo en la partageant au plus de personnes possibles. Ceux sur lesquels la responsabilité de chacun est engagée.
Des bons usages des réseaux sociaux
Il s'agit de "responsabiliser, pas de culpabiliser" les élèves, expliquait Mme Briffault avant le cours. "Ceux qui ont partagé la vidéo, il y a des répercussions pour eux ?", demande une jeune fille, permettant à la professeure de dérouler la liste des conséquences judiciaires (en cours) pour les protagonistes de l'affaire. "Cette affaire horrible peut faire réfléchir à l'impact du regarder sans rien dire, sans réagir".
Une question de plus en plus fondamentale, alors qu'un jeune sur cinq dit avoir déjà été victime de cyberharcèlement, principalement sur les réseaux sociaux, terrain fertile à l'injure et à l'effet de meute. "Il y aurait eu encore beaucoup de choses à dire...", soutient la professeure à ses élèves. Mais la sonnerie vient de retentir.