Le président de la République Emmanuel Macron et le gouvernement avaient promis "un enseignant devant chaque classe" à la rentrée 2023. Un mois plus tard, la situation est encore loin d'être brillante.
À Château-la-Vallières en Indre-et-Loire, trois classes de 6e, 4e et 3e n'ont pas eu de professeur de français depuis la rentrée, soit 75 élèves, comme le raconte France Bleu. Au lycée Durzy de Villemandeur dans le Loiret, ce sont deux classes de seconde qui se retrouvent dans la même situation. Partout dans l'académie d'Orléans-Tours, des enseignants manquent à l'appel.
Un modèle éducatif en danger
"Ce sera bientôt un quart du programme qui ne pourra être dispensé à ces élèves dont le parcours scolaire a déjà été fragilisé par le passage de la covid", s'inquiète le représentant d'un groupe de parents tirant la sonnette d'alarme dans un mail à France 3. Il signale que l'établissement manque aussi d'un enseignant en sciences économiques et sociales.
La question se pose donc de savoir si ces cas sont isolés ou dévoilent une tendance. Pour les associations de parents d'élèves et les syndicats enseignants, pas de doute : le modèle éducatif est en danger.
"Cette rentrée est très, très, très tendue", se désole Christophe Pallier, président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) du Loiret. Pour lui, l'année 2023 n'est pas exceptionnelle du point de vue des profs absent, on assiste au contraire à "une lente dégradation" de ce service public.
À force de surcharger les classes, on augmente aussi la tension entre les élèves. À un moment donné on ne peut plus les entasser dans des classes sans nuire à la qualité de l'enseignement ni aux conditions de travail des profs
Christophe Pallier, président de la FCPE du Loiret
Du côté du Loir-et-Cher voisin, on estime qu'il manque au moins un enseignant "dans un établissement sur deux", indique pour sa part Emmanuel Mercier, co-secrétaire du SNES-FSU. Dans le premier degré, il manquerait également "30 professeurs des écoles" dans le département.
Des leviers qui s'usent pour pallier le manque de profs
Contacté par France 3, le rectorat de l'académie Orléans-Tours constate des difficultés, mais observe qu'elles ont tendance à se résorber. Sur 357 demandes de remplacement non pourvues à l'échelle de l'académie au 5 septembre, il n'en restait ainsi que 113 au 27 septembre, dont près de la moitié dans le seul Loiret.
Pour assurer les remplacements plus ou moins long, le rectorat a plusieurs leviers. Il peut faire appeler à des professeurs spécifiquement chargés de pallier les absences sur une zone donnée, les TZR (pour "titulaire sur zone de remplacement"). Mais comme il n'y a déjà pas assez d'enseignant, le vivier de TZR est déjà en train de s'assécher à toute vitesse.
Deuxième solution, depuis la réforme de Pap Ndiaye, les enseignants peuvent signer le "pacte" et effectuer des heures de services supplémentaires pour remplacer au pied levé leurs collègues afin d'être payé davantage. Mais ils n'enseigneront que leur propre matière, ce qui ne règle absolument pas le problème du manque d'enseignants dans des disciplines spécifiques.
En outre, seule une minorité de profs semble pour l'instant avoir été séduite par ce pacte. Et ceux qui collaborent avec la politique ministérielle ne sont pas toujours très bien vus, comme s'en amuse sur Twitter le dessinateur d'Une année au lycée, Fabrice Erre.
Enfin, le rectorat peut faire appel à des contractuels, c'est-à-dire des personnes disposant d'un diplôme dans la discipline à enseigner, et recrutés par exemple via Pôle Emploi. Mais ces services en temps partiels, mal rémunérés et parfois situés loin du lieu de résidence ont du mal à attirer, surtout en zone rurale.
"La crise est là depuis longtemps"
"Plus on avance, plus on fait de la dentelle" pour pourvoir chaque service et adapter les emplois du temps malgré les difficultés, indique Yannick Blin-Le Floch, responsable de la communication au rectorat. "La situation n'est pas normale, mais elle n'est pas catastrophique, on a vu pire." Il se murmure d'ailleurs que, sans les rodomontades du gouvernement, elle aurait presque pu passer inaperçue. "Le gouvernement s'est fait prendre à son propre jeu", lance Emmanuel Mercier, "on les attendait au tournant".
"Tous les ans on a un gros manque de titulaires", s'agace d'ailleurs le syndicaliste. "La crise est là depuis longtemps, elle est juste de plus en plus visible." Au début des années 2000, explique-t-il, on recrutait 17 000 enseignants par an dans le second degré. Aujourd'hui, notamment après les années Sarkozy, "on est tombés à 8000".
En cause, des conditions de travail de plus en plus dégradées et des salaires, avec de plus en plus de tâches assignées aux profs en plus de l'enseignement, et un salaire qui, lui, n'a pas beaucoup évolué.
Même si à long terme les tensions demeurent, une majorité de ces absences aurait donc vocation à être résolues prochainement. Mais il peut arriver, comme à Château-la-Vallières, qu'un contractuel appelé en remplacement d'un titulaire se retrouve lui-même en arrêt maladie. Or, qui remplacera les remplaçants ?