Connaissez-vous l’histoire de l’école supérieure d’art et de design d’Orléans ? Il s’agit de l’héritière directe d’une institution créée en 1787 : l’école gratuite de dessin. À sa tête à l’époque, un artiste, Jean Bardin, tombé, depuis, dans l’oubli. Le Musée des Beaux-Arts réhabilite son œuvre et sa carrière jusqu’au 30 avril 2023.
Peintre et dessinateur, Jean Bardin, originaire de Montbard, s’installe à Orléans en 1786 pour assurer ses nouvelles fonctions de professeur à l'école gratuite de dessin. L'institution est fondée par Aignan-Thomas Desfriches, à l’origine d’un dynamisme artistique sans pareil sur les bords de Loire. Le collectionneur orléanais passionné y accueille les artistes les plus renommés du XVIIIe siècle. Jean Bardin, prix de Rome en 1765, en fait évidemment parti.
À son arrivée dans la cité, l'esthète s’engage lui aussi à faire d’Orléans un lieu d’exception dans le domaines des arts. Il forme ses élèves afin qu’ils intègrent les manufactures locales et constitue, avec Desfriches, une banque d'œuvres (qui deviendra le premier musée de la ville) sur lesquelles s’exercent ses étudiants. Transmettre est fondamental pour le virtuose, dont les tableaux ont pourtant largement été oubliés, du moins du grand public.
Pendant longtemps, ils étaient invisibles, car exposés dans des églises de province, souvent dans de mauvais états. Après un travail d'enquête minutieux, basé notamment sur les recherches du docteur en histoire de l'art, Frédéric Jimeno, et la restauration de certaines œuvres, le Musée des Beaux Arts d'Orléans leur rend hommage dans une exposition de grande ampleur jusqu'au 30 avril 2023. Découvrez un échantillon de cinq œuvres à ne surtout pas rater.
Le prix de Rome, passage obligé de tout artiste ambitieux
L’exposition, comme la carrière de Jean Bardin, s’ouvre avec l’illustre Prix de Rome en 1765. Il s’agit d'un concours artistique organisé par l'Académie royale. Chaque année, une scène de la littérature d’antan est choisie et doit être représentée par les différents participants. Cette année-là, il s’agit de Tullie faisant passer son char sur le corps de son père : c’est l’histoire du dernier roi de Rome, Tarquin Le Superbe, et de son arrivée au pouvoir fomentée par son épouse.
Sur les murs bleutés du musée, trois tableaux différents illustrent ce moment, celui de Jean-Simon Barthélémy, de Jean Simon Ménageaot et de Jean Bardin. "Ce dernier présente la scène avec une grande simplicité, précise Mehdi Korchane, co-commissaire de l’exposition. Le sujet se comprend immédiatement alors qu'il y a une confusion dans la composition chez ses concurrents." L’artiste est repéré : "sa participation au concours est la preuve de son ambition."
Des dessins à la gouache pour conquérir les critiques
Après avoir remporté le concours de Rome, le peintre se rend dans la ville éternelle où il se forme durant quatre années. À son retour dans la capitale française, il expose ses œuvres au grand public. "Il réalise des dessins sophistiqués et ambitieux qui ont parfois le format de tableaux de peinture. Ils sont aussi teintés du baroque italien", explique Olivia Voisin, co-commissaire de l’exposition et directrice du Musée des Beaux-Arts. L’artiste varie les techniques et matériaux utilisés : de la pierre noire, de la craie blanche et de la gouache.
La critique s’arrache ses tableaux, jusqu’aux stars de l’époque, comme le prince Albert Casimir de Saxe-Teschens. "La renommée de Jean Bardin est européenne. Le prince avait des intermédiaires à Paris qui ont pu lui procurer des œuvres de l’artiste. Elles ont ensuite été utilisées lors de la création du musée Albertina à Vienne", détaille la co-commissaire. Trois dessins ont été prêtés à Orléans - après des mois de négociations - dont la Bacchante décorant la statue du dieu Pan. "Ils sont présentés à l’horizontale sous une vitrine climatisée, car la gouache est très fragile", ajoute Mehdi Korchane.
Devenir peintre d'histoire avec un tableau mythologique
Devenir un peintre d’histoire, genre le plus élevé à l’époque, reste l’objectif de Jean Bardin. En 1779, il est agréé par l’Académie royale de peinture et de sculpture, mais doit encore passer une épreuve pour en devenir membre à part entière. Pour ce faire, il doit produire "un morceau de réception", une toile d’entrée. Il choisit Mars sortant des bras de Vénus pour aller à Troie, et en fait une esquisse, qui est validée par l'institution.
Pour Medhi Korchane, "c’est un tableau différent de ses précédentes œuvres, il est mythologique, érotique. Bardin démontre sa science du nu". L’esquisse et le tableau grand format sont présentés au sein du musée, ainsi qu’une troisième peinture identique, longtemps attribuée à Bardin, dont le trait est pourtant bien différent. "En fait, il s’agissait de l'œuvre d’un de ses élèves orléanais, Jacques Salmon." Différents musées (même les plus prestigieux, comme le Louvres) ont souvent attribué des œuvres à Bardin, à tort.
Les sept Sacrements, dix années de travail acharné
Depuis qu’il est agréé à l’Académie, Jean Bardin voit les commandes s’accumuler. Curieusement, il ne remettra jamais son morceau de réception, probablement parce qu’il avait déjà assez à faire ailleurs, comme son tableau sur la Résurrection du Christ, offerte en 1780 à l'église de Charmentay, en souvenir de la naissance de sa fille. Cette même année, il reçoit la commande de sa vie pour la chartreuse de Valbonne : un cycle monumental des sept Sacrements.
Il passe dix années de sa vie à peindre les toiles de cinq mètres de longueur, qui vivront une histoire rocambolesque. Avec la Révolution française, la chartreuse où sont exposées les peintures est emmurée. Les religieux ne récupèrent les tableaux qu’entre 1875 et 1888, avant d'être obligés de quitter la France avec la loi de 1901. Ils s’installent, avec les peintures, dans une bâtisse à Saragosse et sont remplacés des années plus tard par la Communauté du Chemin neuf. "C’est avec eux que nous avons négocié, indique la directrice du Musée des Beaux-Arts, nous avons dû démonter les portes pour faire passer les tableaux."
Des modèles nus ajoutés au fonds de l'école gratuite de dessin
En même temps qu’il peint ses tableaux monumentaux, Jean Barbin enseigne à l'école gratuite de dessin d’Orléans dont il est le directeur, désigné par Aignan-Thomas Desfriches. La salle de l’exposition dédiée à son engagement pédagogique regorge de documents d’époque actant le l’ouverture de l’école, ainsi que d'œuvres issues du fond de modèles constitués par Desfriches et Bardin. Au total, plus de 200 feuilles sont répertoriées, toutes marquées du sceau de l’école, comme on peut le voir sur ce dessin, montrant un Homme debout de dos, bras levés.
Avec l’évolution du goût, du style et l’usure du matériel, la collection disparaît, dispersée dans le courant du XVIIIe. "L'une des rares œuvres du fonds qui soit localisée aujourd’hui est un dessin de François Boucher, détaille Mehdi Korchan. Il a été donné à la National Gallery de Washington en 1981." Preuve que l’héritage de Bardin voyage, toujours bien vivace. Une partie de l’exposition est d'ailleurs dédiée à ses enfants qui ont perpétué un art inspiré de celui de leur père. À sa mort, en 1809, l’artiste laisse derrière lui une école aux bases solides, qui officie toujours aujourd’hui.
Exposition Jean Bardin, Le feu sacré
A voir au Musée des Beaux-Arts d'Orléans jusqu'au 30 avril 2023
Du mardi au samedi, de 10h à 18h
Jeudi, jusqu'à 20h
Dimanche, 13 à 18h
Tarifs : de 3 à 6 euros