La prison s'invite parfois dans les foyers. C'est le cas des personnes qui obtiennent une détention sous bracelet électronique. Une manière de garder un emploi et une vie sociale, mais qui se révèle particulièrement lourde, notamment pour les compagnes des condamnés.
"C'est toujours mieux que la prison !" Derrière ses lunettes, Jean-Claude accepte bien volontiers de porter son bracelet électronique à la cheville. "On n'est quand même pas là par hasard, il faut assumer."
Dans un petit bureau d'entretien du service pénitentiaire d'insertion et de probation du Loiret (SPIP 45), le père de famille se tient à côté d'Aude Moyon. Une personne qu'il connaît bien, puisque c'est elle qui le suit dans la réalisation de sa peine. "Nous avons des rendez-vous réguliers", explique la conseillère pénitentiaire.
Emploi du temps cadré
Pour tout changement d'emploi du temps, rendez-vous, ou demande de modification d'heures de sorties autorisées, c'est à elle que Jean-Claude doit s'adresser. Et tout doit être justifié : "Ça oblige à être organisé, à anticiper", détaille Aude Moyon.
Quand une personne est en prison, la famille apprend à s'organiser sans elle. Dans le cas du bracelet électronique, c'est tout le foyer qui le subit.
Aude Moyon, conseillère pénitentiaire
Quand un couple a des enfants, le parent qui reste libre doit souvent tout assumer. "Certains se séparent, explosent." Ce qui oblige les conseillers pénitentiaires à être particulièrement vigilants. "Ça peut devenir invivable d'être bloqué avec un compagnon ou une compagne avec qui ça ne se passe pas bien".
Cette peine, aux allures de faveurs aux yeux de certains, "ça reste la prison, mais à la maison", explique Odile Grapin. Elle est surveillante pénitentiaire. Son rôle : installer le bracelet à la cheville du détenu, et placer l'ensemble des équipements.
Accepter le regard des autres sur le bracelet
Le bracelet en lui-même pèse 70 grammes et est équipé, comme une montre, d'un quartz et de piles. Pour l'attacher au pied, une sangle est fixée. Lorsqu'il sort, Jean-Claude préfère le dissimuler. Il n'a pas pu le faire au travail, à cause de mesures sanitaires qui l'obligent à se changer. Mais lorsqu'il part faire ses courses, il ne quitte pas sa paire de chaussettes et son jean. "Ce qui fait peur au début, ce sont les regards ou les questions", explique-t-il. Ceux de ses collègues n'ont finalement pas tellement été un sujet.
Conçu pour résister à presque toutes les épreuves, le bracelet ne résistera en revanche pas à une IRM ou à un scanner. Toute baignade est aussi proscrite, rappelle Odile Grapin. "Je dis ça parce que je viens d'en avoir un qui avait passé une heure dans son jacuzzi", raconte-t-elle, la mine un peu dépitée.
La fibre circule à l'intérieur. Si le dispositif est sectionné, une alerte est envoyée à Odile et ses collègues, pour qu'il soit remplacé. "C'est quand même fait pour céder, pour des personnes qui travaillent dans le bâtiment par exemple, si la sangle reste accrochée, elle finit par lâcher pour éviter de se retrouver suspendu".
Difficile explication aux proches
Une fois le bracelet posé, il faut aller à domicile pour définir le périmètre et brancher une station. Sorte de combiné de téléphone fixe, avec justement de quoi passer des appels aux numéros des services pénitentiaires. "Pour prévenir que l'on part aux urgences par exemple."
Sur un petit écran tactile, Jean-Claude peut retrouver ses heures de sortie autorisées ou interdites. Parfois, lorsque Odile Grapindébarque chez les détenus, la situation devient presque cocasse. Certains ne souhaitent pas expliquer à leurs enfants leur sanction, par peur de leur réaction. À la question : "Tu fais quoi à mon papa ?", Odile doit alors improviser. "Je lui ai dit qu'il avait mal à la jambe, donc j'allais lui mettre une petite machine qui calcule les mouvements de ses muscles", se rappelle-t-elle, sourire aux lèvres. Mais tous ne se laissent pas berner.
Jean-Claude quant à lui a décidé d'expliquer à ses enfants. Un moment difficile, mais finalement digéré. Le père de famille trouve même un certain avantage : "À la piscine, ils sautent partout, là au moins, je suis tranquille".
Les mêmes règles pour tous
Le périmètre est le même pour tous : l'habitation et tout jardin qui y serait directement attaché. Pas de balade sur le perron de chez soi en pleine nuit, ou de petit tour dans sa voiture garée en bas de l'immeuble par exemple. "Il n'y a pas longtemps, on a eu quelqu'un qui s'était mis dans sa voiture, la jambe sortie par la fenêtre, et qui avait tiré le fil de la télé jusque-là pour la regarder dedans", se souvient Aude Moyon.
Des situations parfois ubuesques, mais les conseillers et surveillants pénitentiaires ont conscience des difficultés qui peuvent apparaître :
On comprend la personne qui vit sous les combles dans un studio en pleine canicule et qui descend en bas de son immeuble à 23h. Mais c'est interdit.
Odile Grapin, surveillante pénitentiaire
Le contrôle permanent, devoir justifier le moindre changement d'emploi du temps peut être parfois particulièrement lourd. Il est arrivé à Aude d'être face à un homme qui demandait la prison, "comme ça, il purgeait sa peine et estimait qu'ensuite, il n'avait plus de comptes à rendre à personne".
Le bracelet partout, tout le temps
"Le dispositif a un côté très invasif", reconnaît Zora, directrice adjointe du SPIP 45. Le bracelet devient un réel compagnon de route pour ceux qui le portent, mais ne permet pas de localiser la personne. Le système fonctionne avec des alertes de présence, ou non, au domicile. "Si on a oublié quelque chose en faisant les courses, eh bien, c'est tant pis", relate Jean-Claude, avec le sourire.
En cas de non-concordance avec les heures autorisées de sorties, les services pénitentiaires sont prévenus. Chaque porteur de bracelet est relié à un centre de détention. Orléans-Saran ou Montargis. Au début de sa peine, il est considéré comme écroué.
Pour des hommes ou femmes en attente de jugement, ce type de détention peut être choisi et comptera au même titre qu'une détention provisoire.
À ceux qui pourraient perdre patience, ou se plaindre des conditions de ce dispositif, Odile rappelle : "Vous dormez dans votre lit, mangez chez vous." Le milieu carcéral, elle le connaît. Avant de prendre en charge les détentions sous surveillance électronique dans le Loiret, elle était surveillante de prison. Une petite vingtaine d'années pendant lesquelles elle a côtoyé la surpopulation et le confort parfois rudimentaire.
Miser sur la réinsertion
Ce bracelet "n'est pas un objet miracle, admet Aude Moyon, mais c'est un système qui fonctionne bien". Chaque peine a une fin, et le SPIP a deux missions principales : faire exécuter la peine, et prévenir la récidive. Pour cela, ne pas totalement retirer les personnes de leur quotidien, leur permettre de travailler et de garder des liens sociaux apparaît primordial.
Pour obtenir le dispositif, une adresse fixe est obligatoire, et les condamnés sont la plupart du temps travailleurs. Leurs heures de sorties sont donc calées en fonction du temps de trajet, et des heures d'emploi.
Rentable pour le contribuable
Le non-respect des règles établies peut mener à une révocation de cette mesure, et conduire directement derrière les barreaux. Aude le reconnaît, Jean-Claude fait partie des personnes qu'il est "facile" de suivre et qui sont réceptives aux conditions.
Pour ceux qui ne travaillent pas, pas question de rester 24h/24 à la maison. "En prison, ils ont deux heures de sortie, des activités, des cours, du sport", explique Odile Grapin.
La mesure est aussi un gain d'argent pour les services de l'État et les contribuables. Une journée sous bracelet coûte moins de 10 euros. Une journée de prison, quant à elle, s'élève à 90 euros.