"Bon courage à tous les juges" : quand les délinquants jouent le rôle du tribunal

Trouver un sens à la sanction. C'est dans ce but qu'a été créé le stage de citoyenneté. Il est souvent la dernière chance avant la poursuite pénale. A Bourges, les participants simulent un procès dans lequel ce sont eux qui jugent des faits.

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Les mines sont concentrées, et les questions fusent. La dizaine de participants est au troisième jour sur les quatre prévus. Pour eux, le stage de citoyenneté est souvent leur ultime chance avant un procès pénal. Parfois, il est même inclus dans leur sursis probatoire.

Thématique de la journée : la justice. Les stagiaires apprennent à comprendre une procédure pénale. Mais surtout, y participent en simulant un tribunal correctionnel. "Tout est régi par des codes, le code pénal, le code de l'environnement, le code de la santé", détaille Arnaud Mandard, conseiller pénitentiaire et animateur du stage.

"Et pour manger, il y a un code aussi ?", demande une jeune participante, sur le ton de la blague. "Il existe un code de la consommation", lui rétorque Arnaud Mandard. Inquiète, la jeune femme lâche "Comment ça ? On n'a pas le droit de trop manger ?" Question un brin crédule qui soulève une réalité : les lois, leur fonctionnement et les sanctions qui vont avec sont peu connus et compris des néophytes de la justice.

Comprendre le système judiciaire...

"En France, si on fait trois ou quatre vols à la suite, on ne risque pas d'être condamné à plus de trois ans de prison", explique Laura Dupouts. "Aux Etats-Unis par exemple, on cumule, ce qui fait parfois des peines de 150 ans de prison."

Après quelques explications autour de quiz, c'est avec un vrai dossier que la simulation d'audience se joue. Les deux conseillers insistent bien sur un principe fondamental : l'individualisation de la peine. 

Une personne qui vole de la nourriture parce qu'elle n'a pas de moyens versus une qui vole une console de jeux parce qu'elle a envie d'en avoir une, il y a de fortes chances pour qu'elles ne soient pas jugées de la même manière.

Laura Dupouts, conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation du Cher

... et ses contraintes

"Pour moi, je ne méritais pas d'être là", pose d'emblée Adèle*. Le stage de citoyenneté est obligatoire pour cette mère de famille condamnée pour outrage. "Police, justice, pour moi tout était pourri. Puis au fur et à mesure je me rends compte que ce n'est pas facile de juger."

Entre ses mains, le casier judiciaire de "Monsieur X", les condamnations d'une vraie personne, qui a réellement été jugée. Pour cette simulation d'audience, elle a choisi le rôle de juge. Avec deux autres personnes, elle devra prendre une décision et sanctionner "Monsieur X".

Pour cet exercice, les tables sont mises en forme de U. Les trois juges font face à Arnaud Mandard, qui se met dans la peau du mis en cause. À sa gauche, le procureur de la République, et à sa droite, son avocat.

"D'habitude je suis toujours du côté des prévenus", explique Bilal*. Cette fois, il a joué le rôle de procureur de la République. "On ne se met pas toujours à sa place", reconnaît-il. Sorti de détention au mois de mars 2023, le jeune homme de 21 ans est désormais sous un sursis probatoire. Ce stage de citoyenneté comptait parmi les obligations à remplir. 

Une affaire de détention d'armes 

Arnaud Mandard, sous le nom de "Monsieur X", est jugé pour la détention d'un bâton télescopique et d'une bombe lacrymogène dans sa voiture. Les forces de l'ordre découvrent ces engins, considérés comme des armes aux yeux de la loi, dans le coffre du véhicule, au détour d'un contrôle routier.

"Sans surprise, Monsieur le président, mes réquisitions seront de 12 mois de prison dont six avec sursis, avec l'interdiction de passer le permis de chasse et de port d'arme pendant 5 ans." Bilal a la posture, et même les remarques tranchantes qui sont l'apanage des représentants du ministère public.

Le casier judiciaire du prévenu ne joue pas en sa faveur, avec une dizaine de mentions : "Vous n'êtes pas récidiviste mais multirécidiviste, ce qui prouve que vous ne comprenez rien à rien", lance Bilal à ce fameux "Monsieur X". "Nous avons affaire une nouvelle fois à un innocent, bien sûr", affirme-t-il avant de se rasseoir.

"Je souhaite bon courage à tous les juges", lâche Jordan*, 19ans. Lui a pris la place de président d'audience. C'est le juge qui dirige les débats, et donne lecture de la procédure aux autres magistrats désignés comme assesseurs. "Un des moments les plus stressants c'est au moment de prendre la  décision finale", note Jordan juste après l'exercice. 

Des magistrats d'un jour sévères

"Huit mois de prison dont six avec sursis, et l'interdiction de port d'arme et de permis de chasse pendant cinq ans." Le jugement, rendu par les apprentis juges, est moins sévère que les réquisitions. "La partie ferme devra être faite sous bracelet électronique", précisent les magistrats d'un jour.

Le vrai jugement, rendu dans un tribunal correctionnel avait été plus clément : six mois de prison avec sursis probatoire pendant deux ans. Parmi les obligations, celle de travailler et d'effectuer un travail d'intérêt général. L'interdiction du port d'arme pendant cinq ans avait elle aussi été prononcée. 

"Souvent, les sanctions pendant cette simulation sont assez proches, voire un peu plus sévères que celles qui ont été données par des juges", note Arnaud Mandard. C'est une mise en situation qui fonctionne : "Pour comprendre pourquoi on en arrive là et pourquoi on prend cette décision."

Au cours des quatre jours de stage, plusieurs thématiques ont été abordées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Bourges. L'environnement notamment, mais aussi la venue d'un gendarme. "Ils se sont rendu compte que c'est une personne comme une autre, avec un uniforme", raconte Arnaud Mandard.

Stage obligatoire, mais gratuit 

Un cours de krav maga a aussi été organisé "pour comprendre que la meilleure réponse, ce n’est pas forcément la violence". Pour le dernier jour, tous ont pu passer leur PSC1 avec des pompiers. Le premier échelon secouriste qui atteste des compétences de base pour venir en aide à une personne. Et puis "le stage rappelle les valeurs républicaines", assure Arnaud Mandard.

Ici, il est totalement gratuit pour les participants. Une volonté assumée : "Si ça doit passer par la gratuité pour faire réfléchir, pourquoi pas ?" Une manière de faire aussi venir les plus précaires, et de ne pas faire de la réinsertion un privilège.

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