Loi immigration : ce projet "cynique" est "une faute morale", alertent les associations de défense des droits humains

La loi sur l'immigration, votée à l'Assemblée nationale ce 19 décembre, menace d'entériner le principe de préférence nationale pour les aides sociales. Une épée de Damoclès pour l'ensemble des personnes étrangères, selon les associations.

Élisabeth Borne a-t-elle entériné les promesses de Jean-Marie Le Pen ? Le "projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration", voté ce 19 décembre, reprend en effet des mesures qui n'auraient pas détonné dans le programme du Front national des années 80. La "préférence nationale" en matière de prestations sociales, par exemple, est défendue par le patriarche d'extrême droite dès 1988, lors de sa deuxième candidature à l'élection présidentielle. De la même façon, la fin du caractère automatique du "droit du sol" figurait déjà dans le programme du Front national en 2002.

En effet, outre la régularisation facilitée des travailleurs étrangers dans les métiers "en tension", le texte porte surtout des mesures votées en commission mixte paritaire pour obtenir le blanc-seing des 88 députés du RN, sans lesquels la loi était enterrée.

Délai de 5 ans pour toucher les APL pour les personnes étrangères sans emploi (ramené à trois mois pour celles qui travaillent), durcissement du regroupement familial, rétablissement du délit de séjour irrégulier : la Commission mixte paritaire aura repris ou durci la majeure partie des mesures les plus dures du Sénat. Au grand dam des associations qui, tant bien que mal, continuent à assister juridiquement et matériellement les personnes étrangères sur le territoire français.

La loi "la plus dure depuis très longtemps"

"C'est un projet cynique, qui aboutit à une faute morale", assène par exemple Guillaume Marsallon, délégué de la région Centre-Ouest de la Cimade, l'une des nombreuses organisations qui se donnent pour but de défendre les droits des personnes "réfugiées et migrantes". "Il s'agit de la loi la plus dure depuis très longtemps sur l'immigration", qui risque d'entretenir "la précarisation croissante des personnes étrangères".

Le conditionnement des aides sociales, mesure phare de la loi, est "particulièrement dégueulasse", martèle le représentant associatif. "Des personnes vont cotiser, puisqu'elles possèdent un titre de séjour et un travail, et n'auront pas droit au fruit de ces cotisations !"

Invitée sur France Inter par Nicolas Demorand et Léa Salamé, la Première ministre Élisabeth Borne a préféré éviter de répondre sur ce point précis. "Une mère célibataire avec enfants ne pourra pas toucher les allocations sociales avant deux ans et demi ?", demande l'intervieweur. "Je ne vais pas rentrer dans le détail", balaie la cheffe du gouvernement, accusant la gauche et le RN d'avoir empêché un débat dans l'hémicycle en votant une motion de rejet de la loi le 11 décembre.

Cette loi "va mettre plusieurs milliers de personnes à la rue", appuie le fondateur d'Utopia 56, Yann Manzi, au micro de France 3 Île-de-France. "Le conditionnement des aides sociales pourrait rendre précaire la situation de familles toutes entières. Cela va les amener vers encore plus de misère et de pauvreté."

Les étudiants dans le collimateur

Déjà affaiblie par le départ de ses doctorants hors du pays, la France va aussi pénaliser les étudiants étrangers de ses propres universités. Désormais, une "caution retour" sera demandée aux personnes étrangères venues étudier en France, et leurs frais d'inscriptions vont augmenter.

Là encore, l'annonce a donné lieu à une levée de boucliers non seulement, comme cela était attendu, parmi les syndicats étudiants, mais aussi de la part des universités elles-mêmes. "25 000 doctorants sur 70 000 sont étrangers" alerte ainsi sur France Info le président de l'université de Bordeaux, Dean Lewis. "C'est important pour le développement scientifique de notre pays."

"On ne va pas s'arrêter demain"

À ces mesures s'ajoutent donc le délit de séjour irrégulier, et la fin de l'hébergement d'urgence pour les personnes en situation irrégulière. Une personne dans cette situation ne pourra donc "être hébergée au sein du dispositif d'hébergement d'urgence que dans l'attente de son éloignement", selon le texte de loi. C'est donc la fin des "mises à l'abri", certes temporaires et spartiates, dont bénéficiaient encore les migrants, notamment à Calais.

"On vient de vivre un grand moment de populisme" regrette Guillaume Marsalon, la faute à un gouvernement qui "s'offusque du FN dans les mots, mais leur donne raison dans les faits". L'extrême droite, selon lui, ne s'y trompe d'ailleurs pas, en claironnant sa "victoire idéologique".

Pour autant, la Cimade ne va pas dévier du "cap fixé en 1939" à sa fondation. "On ne va pas s'arrêter demain ! L'aspect juridique se casse la figure depuis des années, mais on va continuer à lancer des alertes, à lutter contre le racisme, y compris administratif, à faire de nos actions de sensibilisations et de plaidoyer", énumère le délégué.

Il reste encore un petit sursis pour les associations des droits humains et leurs bénéficiaires. Le gouvernement, comme l'ont assumé Gérald Darmanin et Élisabeth Borne, prévoit que plusieurs dispositions de la loi immigration soient censurées par le Conseil constitutionnel. Ce dernier a jusqu'à fin janvier 2024 pour se prononcer, mais quelle que soit sa décision, la brèche est désormais ouverte.

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