Témoignage. Après 30 nuits dans une cage d'escalier, Narek et sa famille dorment à l'école Michelet à Tours

Publié le Écrit par Marine Rondonnier
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Alors qu'une tribune de plusieurs personnalités vient de paraître dans Le Monde pour demander 10 000 places d'hébergement d'urgence, une famille arménienne sans solution dort dans une école du Sanitas à Tours. De la gare à la cage d'escalier d'un immeuble, la maman de Narek, élève dans cette école, raconte le quotidien de sa famille depuis qu'elle a dû quitter la Russie pour fuir la guerre.

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Il est 19h30 ce jeudi soir. Dans la salle polyvalente de l'école élémentaire Michelet, Narek, 9 ans, joue au Uno avec son papa. Elena, sa grande sœur de 20 ans semble épuisée, les yeux de la vague. Sa maman, les traits tirés et le sourire chaleureux tient à nous raconter son histoire. Celle d'une famille arménienne qui a quitté la Russie pour fuir la guerre cet été. Et qui depuis cherche juste un endroit pour dormir au chaud. 

" Depuis que je suis ici, avec les enseignants à mes côtés, je suis plus sereine", nous confie Lusine Sakhyan. À 49 ans, elle a tout quitté avec ses enfants et son mari pour être en sécurité. "Je ne peux pas revenir dans mon pays parce qu'il est en guerre avec l'Ukraine. Mon mari est soldat et chaque minute nous recevions une convocation pour qu'il parte à la guerre. Pour nous la seule solution était de quitter la Russie."

Après un mois en Arménie, ils passent par Lyon puis arrivent à Tours en voiture par hasard.

 "On a dormi à la gare de Tours puis pendant quatre semaines dans une cage d'escalier dans le quartier des Fontaines", raconte Lusine, par l'intermédiaire de l'application de traduction sur le téléphone. "Il faisait plus chaud qu'à la gare mais nous étions à moitié assis, à moitié allongés. C'était pendant les vacances scolaires."

Puis à la rentrée, alors que Narek est absent à l'école, son enseignante appelle Lusine pour savoir ce qui se passe bien loin de se douter de la situation de la famille, très discrète jusque-là. "J'ai accidentellement dit au professeur de Narek où nous dormions. Elle m'a dit de venir tout de suite à l'école et qu'il nous donnerait un endroit pour passer la nuit."

En se remémorant cette nuit-là, Lusine est encore très émue. "Ils nous ont donné des sièges, préparé une table et même célébré l'anniversaire d'Eléna", sa grande fille de 20 ans. "Nous avons dormi au chaud ici la nuit et le matin les assistantes sociales attentionnées d'Emergence ont appelé le 115. "

 

Une semaine en hébergement d'urgence à l'hôtel en un mois et demi

Le lendemain, Lusine et sa famille ont eu une place d'hébergement d'urgence à l'hôtel. Cela a duré une semaine et puis plus rien. Alors Lusine a rappelé l'enseignante de Narek. "Ils nous ont encore ouvert leurs portes." 

Cela fait donc trois nuits que Narek et sa famille dorment dans une salle de classe à l'école Michelet. Et ils devraient rester jusqu'à mardi prochain, jour de rotation du 115 qui attribue les places d'hébergement d'urgence. 

"Nous les dérangeons. Ils quittent leurs familles pour venir passer leurs nuits avec nous", glisse Lusine à la fois reconnaissante et gênée par le dévouement dont font preuve les enseignants de l'école Michelet à leur égard. "Pour être honnête, je n'ai jamais vu une attitude comme celle-ci nulle part."

L'insupportable choix de tout quitter pour fuir la guerre

Chaque matin, ils plient les matelas et les couvertures et font place nette avant le début de la classe puis se rendent à l'association Emergence. "Elle accueille beaucoup de familles comme les nôtres". La maman qui semble épuisée et émotionnellement à bout tient à remercier les bénévoles de l'association Emergence mais aussi les enseignants de l'école Michelet où son fils Narek est scolarisé en CM1 depuis le mois de septembre. 

Lusine réfléchit à cette décision d'être partie et d'avoir tout quitté. "Parfois je m'en veux. Mais en fait non parce qu'ici il n'y a pas la guerre, au moins ici c'est calme". 

Elle nous confie espérer que son fils réussira à l'école et qu'il deviendra "quelqu'un de convenable pour ses parents". En nous accordant cet entretien qui la perturbe énormément, elle souhaite que de nombreuses mères comme elle, puissent juste "vivre en paix et avoir une petite maison pour sa famille. Je crois parler au nom de toutes les mères qui rêvent toute d'avoir leur petit coin chaleureux où leur famille et leurs enfants seront bien reçus."

Ce n'est pas notre rôle de dormir à l'école. Pas du tout. Mais quand on voit leur volonté d'apprendre malgré leurs conditions de vie extrêmement difficiles, ça donne envie de se battre pour eux.

Aurélie Ardouin, enseignante en CM2 àl'école élémentaire Michelet à Tours

Aurélie Ardouin, enseignante en CM2 à l'école Michelet est une des cofondatrices du collectif "Pas d'enfant à la rue" de Tours. Elle prend Lusine dans ses bras pour la réconforter après cette interview éprouvante. La barrière de la langue n'existe plus. Seuls les gestes comptent.  

Ce jeudi, avec son compagnon, elle reste avec Narek et sa famille. Ils se relaient avec les autres enseignants et les parents d'élèves. "Ce n'est pas notre rôle de dormir à l'école. Pas du tout. Et ce n'est pas leur place non plus. Ce sont des élèves qui ont une volonté d'apprendre incroyable malgré les conditions de vie extrêmement difficiles qu'ils ont. Ça donne du courage et ça donne envie de se battre pour eux". 

À l'école Michelet, au cœur du quartier du Sanitas à Tours, quatre familles sont la même situation que celle de Narek. "Sur une école de 100 enfants, c'est énorme. Dans d'autres écoles, des enfants dorment à la gare. Ils sont dans l'angoisse quotidienne de ne pas savoir où ils vont dormir. Ils vivent à deux heures de projection. Et quand il y a un endroit ça peut-être très loin. Quand Narek dormait à l'hôtel c'était à 45 minutes de bus." 

Cela fait 10 mois que le collectif "Pas d'enfant à la rue" est né à Tours. Depuis un autre a été créé à Blois et un peu partout en France. À Tours, 40 familles se retrouveraient régulièrement sans solution d'hébergement.

Après la mobilisation des enseignants et des parents d'élèves pendant ces longs mois, Aurélie Ardouin constate que rien ne change. "On attend que le gouvernement réagisse. Il est toujours compliqué d'entendre que ça coûte cher. Derrière ces chiffres, ce sont des gens, des visages, des histoires, des regards croisés. Des regards qu'on veut pouvoir soutenir le lendemain. Il faut faire davantage. De l'argent il y en a. Le Cac 40 se porte à merveille. Ce sont des choix politiques de répartition des richesses. Là on parle d'enfants avec des enfants bien plus petits, parfois ce sont des nourrissons".

Elle espère que la Tribune parue dans le journal Le Monde ce mercredi 13 décembre et la pétition qui recueille près de 8 500 signatures auront un effet. 

10 000 signatures pour 10 000 places d'hébergement d'urgence

Parmi les signataires de la tribune parue dans le journal Le Monde, figurent Charles Fournier, député EELV de Tours, Emmanuel Denis, maire EELV de Tours et Marc Gricourt, maire PS de Blois et vice-président de la région Centre-Val de Loire.

"Chaque nuit en France, parmi les 330 000 personnes sans domicile fixe, près de 3 000 enfants dorment à la rue, selon l’Unicef, privés de conditions de vie dignes et sécurisantes. Les associations sur le terrain dénombrent 700 enfants âgés de moins de 3 ans. Ce chiffre représente une augmentation de 41 % en seulement un an. Et pourtant, il ne reflète que la partie émergée de l’iceberg. Il ne rend compte que des situations des enfants dont les parents ont réussi à joindre le 115 (le numéro d’urgence pour les personnes sans abri), sans succès", commence le texte publié ce 13 décembre. 

La tribune est accompagnée d'une pétition " Aucun enfant à la rue" qui réunissait ce vendredi 15 décembre à midi 8 415 signatures sur les 10 000 attendues.

"Face à cette tragédie, il est temps que le gouvernement prenne des mesures adéquates. Le seul maintien des 203 000 places d'hébergement d'urgence actuel est une réponse insuffisante face à l'objectif déclaré de "zéro enfant à la rue". Ce statu quo néglige la vie de milliers d'enfants, ça ne peut plus durer. Alors que le budget dépensé en 2023 pour l’hébergement était de 3,1 milliards d’euros, le budget 2024 ne prévoit plus que 2,9 milliards."

Le collectif d’environ deux cents élus, de personnalités publiques et de représentants d’associations appelle à ouvrir dix mille places supplémentaires d’hébergement d’urgence. "Ces 10 000 places, votées en commission des finances à  l’Assemblée Nationale, ont ensuite été supprimées du budget final par le 49.3. Au Sénat, ce combat est également porté par des sénatrices et sénateurs de tous bords confondus."

Un goûter solidaire au profit des associations ce samedi 16 décembre à Tours

Une des personnalités politiques à l'origine de la tribune du Monde et de la pétition est Charles Fournier, député EELV de Tours. Il avait transformé sa permanence en centre d'hébergement d'urgence au mois de novembre.

Ce samedi 16 décembre, il organise dans cette même permanence un goûter solidaire ouvert à toutes et tous à 16h30. Une vente de gâteaux aura lieu au profit des associations et une cagnotte sera ouverte12 boulevard Heurteloup à Tours.

 “À Tours, nous ne restons pas indifférents au sort des plus précaires et nous ne tolérons pas de voir des enfants dormir dehors. C’est le moment d’exprimer notre solidarité envers les familles en difficulté et envers nos concitoyens qui leur viennent en aide tous les jours, depuis des semaines”, explique Charles Fournier.

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