Face à la pénurie de logements d'urgence, à Tours et à Blois notamment, les associations demandent la réquisition des logements vacants. Un pouvoir dont disposent les préfets.
Des logements vacants depuis longtemps d'un côté, des enfants et leurs parents qui dorment à la rue de l'autre...
"On a une famille qui a dormi trois mois et demi dans un hall d'immeuble avec cinq enfants, une autre a dormi trente nuits dans une cage d'escalier", raconte Aurélie Ardouin, enseignante et membre du collectif "Pas d'enfant à la rue" de Tours.
À Tours comme à Blois, les collectifs "Pas d'enfant à la rue" constitués d'enseignants et de parents d'élèves demandent la réquisition de logements vacants ou de bâtiments vides pour mettre à l'abri des élèves et leurs familles qui se retrouvent sans solution d'hébergement.
À Tours, le 115, numéro d'urgence du Samu social, étant saturé. Jusqu'à 40 familles avec enfants ont dû dormir dehors. "C'est fluctuant et on ne les connaît pas toutes. C'est certainement plus", souffle Aurélie Ardouin, enseignante à l'école Michelet. "Au bout de l'école, on a une maison qui comporte au moins trois chambres. C'est la maison réservée aux principaux de collège. La principale est décédée depuis un an et demi. La maison est vide alors qu'on pourrait imaginer y loger temporairement des familles dont les enfants sont scolarisés dans l'un des deux établissements Michelet qui sont des familles qu'on connaît et en qui on a confiance."
Pour les membres du collectif "Pas d'enfant à la rue" de Tours, la réquisition n'est pas la meilleure solution. Mais "c'est mieux que la rue". Tours compte 1 768 logements privés vacants depuis plus de deux ans selon le fichier Lovac qui recense les logements vacants du parc privé.
Les logements vacants existent. C'est une décision politique.
Julien Colin, enseignant et membre du collectif "Pas d'enfant à la rue 41"France 3 Centre-Val de Loire
À Blois, selon le collectif "Pas d'enfants à la rue", 10 enfants et leurs familles ont été hébergés dans trois écoles depuis la création du collectif fin octobre 2023. Julien Colin, parent d'élève, enseignant à l'école Mirabeau constate : "Quand le Préfet dit qu'il n'a pas les moyens, c'est faux. Il a les moyens logistiques. Les logements vacants existent. C'est une décision politique."
Blois compte 453 logements privés vacants depuis plus de deux ans. "Quand elles ont une place d'hébergement d'urgence, ces familles sont placées dans des chambres d'hôtel. Elles vivent avec deux ou trois enfants dans 8 mètres carrés où il n'y a pas d'espace pour cuisiner à trois quarts d'heure du lieu de scolarité des enfants...Au moins, si des logements vacants étaient réquisitionnés, cela permettrait à ces familles d'avoir un logement pérenne et adapté."
Des réquisitions de logements vides "inenvisageables"pour le préfet d'Indre-et-Loire
Lors d'une visite dans un des lieux d'hébergement du Samu social le 15 novembre 2023, le Préfet d'Indre-et- Loire, Patrice Latron avait déclaré à nos confrères de la Nouvelle République que le nombre d'appels au 115 avait augmenté de 48 % en deux ans et que le budget annuel alloué à l'hébergement d'urgence en Indre-et-Loire était passé de 7 millions d’euros en 2013 à 15 millions d'euros aujourd’hui.
C’est illégal et ce n’est pas la solution, il s’agit d’une fausse bonne idée.
Patrice Latron, Préfet d'Indre-et-LoireNouvelle République 37
En réponse aux demandes de réquisitions de logements vides formulés par les associations, le représentant de l'État avait estimé cette proposition inenvisageable. "C’est illégal et ce n’est pas la solution, il s’agit d’une fausse bonne idée", avait ainsi déclaré Patrice Latron, préfet d'Indre-et-Loire.
Pour Aurélie Ardouin, enseignante et membre du collectif Pas d'enfant à la rue de Tours réagit : "C'est sûr que c'est une fausse bonne idée. Mais la meilleure bonne idée serait que les 27% de personnes qui relèvent du logement social soient logées en logement social et non plus en hébergement d'urgence et que des places se libèrent au 115. Mais le fait est que c'est engorgé. Quant à l'illégalité des réquisitions c'est faux ! ", s'indigne-t-elle.
La réquisition est le dernier recours s'il n'y a pas assez de places d'urgence
Charles Fournier, député écologiste de ToursFrance 3 Centre-Val de Loire
"La réquisition des logements vacants c'est complexe mais c'est légal, c'est prévu dans le code de la construction", rappelle Charles Fournier, député écologiste de Tours qui a transformé sa permanence parlementaire en hébergement d'urgence pendant treize nuits au mois de novembre. "C'est un pouvoir du préfet après avis du maire."
Pour le député qui s'est mobilisé aux côtés du collectif et qui a posé une question au Gouvernement sur le sujet le 21 novembre 2023, " Il faut d'abord créer des places d'urgence. La réquisition, c'est le dernier recours, s’il n'y a pas assez de places. En situation exceptionnelle, comme en ce moment quand plus de 2 000 enfants en France dorment dans la rue, la réquisition peut être un des outils nécessaires. Si l'Etat débloquait des crédits, on pourrait utiliser des bâtiments publics, des hôtels vides pour toute la période hivernale, des logements de fonction."
Le cadre légal de la réquisition
La réquisition est l’acte par lequel l’autorité administrative impose, dans un but d’intérêt général, à une personne privée, le transfert de propriété ou d’usage de son bien immobilier moyennant indemnité. "Le préfet peut réquisitionner des locaux appartenant à des personnes morales, qui sont vacants depuis plus de 12 mois, dans les communes où existent d’importants déséquilibres entre l’offre et la demande de logements au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées", peut-on lire sur le site de l'ANIL, agence nationale pour l'information sur le logement.
Il existe trois procédures de réquisition :
- La réquisition issue de l’ordonnance de 1945 conçue pour des circonstances exceptionnelles
- La réquisition au titre de la police administrative, qui peut intervenir lorsque le défaut de logement est de nature à apporter un trouble à l’ordre public
- La réquisition avec attributaire, issue d'une loi de 1998 modifiée en 2018, relative à la lutte contre les exclusions, limité aux propriétaires institutionnels et en rendant possible l’hébergement d’urgence de personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale.
La loi ELAN (Evolution du logement, de l'aménagement et du numérique) du 23 novembre 2018 ajuste la procédure pour permettre la réquisition des logements à des fins d’hébergement d’urgence de personnes sans abri.
"On est dans un pays où on ne touche pas à la propriété privée"
Si la réquisition est légale, le député de Tours, Charles Fournier, constate qu'elle n'est jamais pratiquée : "Il y a quelque chose qui à voir avec la culture de la propriété privée quand il s'agit de réquisitionner des lieux privés. On est dans un pays où on ne touche pas à la propriété privée".
Il revient sur la complexité du système : "Les moyens d'y échapper sont nombreux. Il suffit par exemple que vous produisiez un devis de travaux à venir pour que finalement on ne puisse pas réquisitionner tel bâtiment ou tel logement. Le chemin pour y arriver est très compliqué. Toutes les tentatives qui ont existé n'ont pas fonctionné. On sent bien qu'il y a une réticence absolue sur ce terrain-là. " Selon lui, il faudrait "réformer ce système et donner ce pouvoir aux maires qui connaissent bien leur territoire."
10 000 places d'hébergement d'urgence demandées
En attendant, avec d'autres parlementaires et plusieurs maires, Charles Fournier se bat pour que 10 000 places d'urgence soient créées. "C'est à peu près 160 millions d'euros dans le budget de l'Etat. Aujourd'hui l'Etat annonce un budget de 2,9 milliards d'euros alors qu'en 2023 il a dépensé 1,3 milliard d'euros. Vous voyez l'écart entre les deux, ce sont les 160 millions donc c'est tout à fait jouable. On n'est pas dans une situation d'incapacité budgétaire. C'est un choix politique".
En 2017, lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron s'était engagé à ce que plus personne ne dorme dans la rue. Mais pratiquement 7 ans plus tard, le constat est tout autre. Ainsi, à titre d'exemple, le lundi 27 novembre, le 115, numéro d'urgence du Samu social, a recensé dans toute la France 7 572 personnes dont les demandes d'hébergement d'urgence n'ont pu être pourvues. Une sur trois a moins de 18 ans, soit 2 373 enfants à la rue.
Des collectifs "Pas d'enfant à la rue" naissent un peu partout en France : Paris, Le Havre, Le Mans, Toulouse, Strasbourg, Rennes, Grenoble, Nantes. Celui de Tours a lancé une pétition pour qu'Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, vienne à la rencontre des membres du collectif et des familles. Ce mardi 5 décembre, 722 personnes avaient signé la pétition sur Change.org.
Tours : 1 768 logements vacants depuis plus de deux ans
Dans le cadre du Plan de lutte contre les logements vacants mis en place en 2020, le fichier Lovac recense le nombre de logements vacants par commune, notamment les logements vides depuis plus de deux ans.
En Centre-Val de Loire, c'est Bourges qui affiche la plus forte proportion de logements vides de longue durée avec 5,3 % soit 1 791 logements au 30 mars 2023.
Chartres en compte 483, Orléans 1 550 quand Châteauroux en recense 944.
452 logements sont vacants à Blois depuis plus de deux ans, soit 2,3% du parc privé.
À Tours, sur les 64 927 logements, 1 768 logements sont vacants depuis plus de deux ans. Ce qui représente 2, 7% du parc privé. C'est autant que la moyenne nationale. Pour atteindre les plus de 8 000 logements vides annoncés par les associations d'aide aux sans-abri, il faut ajouter les 6 657 logements vacants depuis moins de deux ans.
Sollicitées sur le sujet des réquisitions, les préfectures d'Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher n'ont pas donné suite ce mardi 5 décembre.