À l’initiative de Citizens Carmes, l'association de ses spectateurs, le cinéma des Carmes à Orléans projettera "N’effacez pas nos traces", un documentaire de Pedro Fidalgo, samedi 14 janvier à 14h30. Rencontre avec deux militants, le cinéaste et la chanteuse Dominique Grange.
Dominique Grange chante comme d’autres brandissent des armes. L'autrice-compositrice-interprète ne compte plus le nombre de concerts de soutien qu’elle a donnés. Guitare sèche en bandoulière, longs cheveux blonds au vent, une voix puissante, emphatique parfois, Dominique est une chanteuse engagée, une militante comme on en voit peu.
"On ne peut rien changer tout seul dans son coin"
Pedro Fidalgo est un cinéaste portugais. À 38 ans, il signe son deuxième long-métrage, après Changer de vie, la vie du chanteur engagé portugais José Mario Branco, coréalisé avec avec Nelson Guerreiro. Leur point commun : la chanson engagée.
"On ne peut rien changer tout seul dans son coin mais une chanson révolutionnaire restera toujours. C'est une arme redoutable car elle passe les frontières, tout le monde peut s'en emparer," affirme Dominique Grange. "Il y a même une version chinoise des 'Nouveaux Partisans', on me l'a envoyée par WhatsApp."
"La première fois que j’ai entendu ses chansons," confie Pedro Fidalgo, "c’est dans Ghetto expérimental de Jean-Michel Carré, un film de 1975. Puis j'ai découvert la reprise des 'Nouveaux Partisans' de Dominique Grange, par José Mario Branco."
Quand il lui demande de participer à son documentaire, la chanteuse lui répond espiègle : "Je ne suis pas encore morte...Tu es si jeune, comment se fait-il que tu t’intéresses à des trucs de gens de notre âge ? Nous avons lutté, mais c’était il y a 50 ans !"
"Mais ensuite quand j'ai vu qu'il était musicien, qu'il connaissait la chanson engagée, j'ai tout de suite été emballée", reprend-elle. N’effacez pas nos traces, renvoie leurs regards un peu sur notre époque en chansons.
Durant 4 ans, armé d’une caméra, Pedro Fidalgo a suivi la militante dans la rue, le poing levé, en famille, engagée pour les enfants adoptés du Chili, plus récemment en préparation d’un album et d’un spectacle avec Jacques Tardi, son mari.
"La jonction dessins-chansons fonctionne très bien, des crobards accompagnés de chansons et vice-versa. Tardi a créé une dynamique de voix off qui me convient bien. Lui est plus observateur, elle militante", explique le réalisateur.
Dès le début du documentaire, le ton est donné : Nicolas Sarkozy affirme, lors de son discours de Bercy qu’il veut en finir avec l’héritage de mai 1968. Et c’est bien de cela qu’il est question. "Nous sommes dans une époque où tout passe à la trappe, La Révolution, la Commune, la dimension sociale de mai 68..." regrette Dominique Grange.
Dès qu’un mouvement populaire sort dans la rue, la seule réponse de l’État, c’est la répression, les Gilets jaunes, les kurdes, les étudiants et le CPE… Je serai toujours en colère face à l’oppression.
Dominique Grange, autrice-compositrice-interprète
Fruit d’un travail collectif, le documentaire est rythmé. La corrélation entre luttes d’hier et d’aujourd’hui y est parfaitement orchestrée. Entre mai 68 et les luttes actuelles, il n’y a pas d’interruption. Le fil conducteur est toujours la colère, la révolte, la répression. Et malgré cette dernière, les militants continuent.
Un film réalisé avec le cœur et les tripes
"J’avais peu d’argent pour payer les archives," raconte encore Pedro Fidalgo "alors j’ai utilisé des archives personnelles, filmées dans des ZAD, d'autres de manifestations de droits d'asile, de Nuit Debout. J'ai eu la chance de travailler avec Nadir Hadjérioua, un monteur qui n’a jamais compté son temps. On avait plus de cent heures de rushes. Dominique et Tardi ont fait beaucoup de propositions. Et puis je suis fier d’avoir eu le soutien de Jean-Luc Godard."
Dans une séquence du film, Dominique regarde des photos de voitures brûlées au sein une exposition en hommage à mai 68. Elle se tourne vers Pedro et lui dit alors :"Un mec qui a 20 ans, ça lui fait quoi ? C’est comme si on emprisonnait la mémoire ! Tout ce côté figé...."
N’effacez pas nos traces, c'est tout le contraire. Le film, réalisé avec le cœur et les tripes, est auto-produit. Très peu diffusé, il est programmé ce samedi 14 janvier aux cinémas des Carmes d’Orléans, en présence de Dominique Grange et de Pedro Fidalgo. Une projection est également prévue au forum des images à Paris en février 2023.