"On a perdu de notre innocence" : un rassemblement d'hommage à Charlie Hebdo à Orléans le 10 janvier

Cinq ans après l'attaque de Charlie Hebdo, le Collectif du 11 janvier a appelé à un rassemblement national au nom de la laïcité. A Orléans, la manifestation aura lieu à 18h place de la République. Le président du Laboratoire Loiret de la laïcité, Giles Kounowski, a répondu aux questions de France 3.

  • Pourquoi manifester le 10 janvier ?
Le souvenir de ces événements doit constamment nous animer, parce qu'on a parfois le sentiment de perdre de vue ce qui a fait la mobilisation d'il y a cinq ans au nom des valeurs de la République, au nom du droit de se moquer, au nom de l'émancipation, de la la liberté de conscience. Et d'autres préoccupations prennent le pas alors que ce sont des fondamentaux de notre république

 
  • Cinq ans après l'attaque contre Charlie Hebdo, avez-vous l'impression que la France et le monde ont beaucoup changé ?
Effectivement, on a perdu de notre innocence, on a perdu de notre insouciance par rapport à ce qui nous semblait être un acquis, c'est-à-dire cette liberté à la fois d'expression, de se moquer, de caricaturer, de s'amuser de tout. Probablement aussi, nos libertés individuelles ont été davantage encadrées, ou ont reculé avec une espèce d'acceptation générale. On n'est plus dans le même monde.

 C'est une réalité objective et la récupération est une pratique constante des mouvements extrémistes. Mais il faut être très clair : la laïcité est un universalisme, c'est-à-dire le fait de reconnaître chacun dans ses différences et de s'assurer collectivement de notre capacité à vivre ensemble. C'est la possibilité pour les uns de ne pas croire, pour les autres de croire, mais avec le respect de toutes les croyances et de toutes les incroyances.

La laïcité, lorsqu'elle est manipulée, entre autres, par l'extrême-droite, c'est une laïcité d'exclusion, une laïcité qui condamne les uns au nom des valeurs des autres. C'est une supercherie, un abus de langage, mais effectivement la pratique est commode.

 
  • Entre le communautarisme et la montée de l'extrême-droite, quelles seraient les conditions d'une amélioration de ce climat ?
On peut penser que les choses vont revenir à l'équilibre. Ça prendra sans doute beaucoup de temps et probablement, parmi les conditions, il y a la capacité de mieux s'accepter les uns les autres. Il y a probablement aussi beaucoup à faire du côté de l'éducation, afin que chacun et chacune soit capable de raisonner par soi-même et non de se laisser enrégimenter par des idéologies, des dogmes mortifères. L'idée de revenir au statu quo ante est probablement une illusion. Cependant, avec le temps, tout s'oublie et tout recommence.

On n'oublie pas bien sûr nos êtres chers et les événements, c'est justement ça qu'on veut commémorer le 10 janvier. Sauf qu'il va effectivement falloir passer à autre chose et j'espère que les générations qui suivront seront capable de vivre aussi confortablement qu'on était capables de vivre dans nos jeunesses insouciantes, dans les années 70, 80 ou 90.

 
  • Il y a eu beaucoup de débats autour de la laïcité récemment, notamment après les propos de Julien Odoul, qui a humilié une femme voilée au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. La laïcité ne devrait-elle pas être la liberté de vivre sa religion ?
La question n'est pas simple, car la législation française elle-même n'est pas claire sur ce sujet-là, et elle laisse cours à des interprétations contraires et donc une confusion. La question des accompagnatrices scolaires c'est aussi le statut des sorties scolaires et des personnels qui encadrent les sorties scoalires. Normalement ils devraient être régis par la loi sur l'école en ce qui concerne en tout cas l'école publique. Si on considère qu'il s'agit d'activités extra-scolaires, il n'y a aucune raison pour que des personnes renient ou dissimulent leur appartenance religieuse, ce qui est parfaitement permis dans l'espace public. Il faut que la loi soit plus claire là-dessus, ça enlèverait pas mal de difficultés.

Concernant le droit des femmes musulmanes à revendiquer leur religion dans l'espace public c'est un autre sujet qui pose question à une société très sécularisée. En France il y a à peu près 60% de citoyens qui ne réclament d'aucune religion et qui ont une espèce de "photo-sensibilisation", de sensibilité exacerbée à l'expression religieuse dans l'espace public. Ça les agace parce qu'on n'a plus l'habitude de voire des soeurs en cornettes ou des moines en habit. Donc la religion musulmane, qui est pourtant présente depuis longtemps, s'exprime dans l'espace public par des modes de revendication qui irritent ceux qui n'avaient plus l'habitude de voir la religion s'exprimer ainsi. Cependant, dans l'espace public, les personnes ont le droit de se vêtir comme elles l'entendent.

 
  • Est-ce que l'islam est la seule religion qui pose problème de cette manière, du point de vue de la laïcité que vous défendez ? Est-ce qu'il n'y a pas derrière cette "irritation" une forme de racisme ?
Il ne faut pas confondre le racisme et la crainte des religions : c'est d'ailleurs tout l'objet du débat sur l'islamophobie. L'islam est parcouru par des courants politiques. Il y a un islamisme politique qui tire ses racines assez profondément dans l'histoire, puisque les théories des Frères musulmans par exemple ont été formulées dès les années 1930. C'est cet islamisme politique qui pose problème par ses revendications à occuper l'espace public.

Mais il ne faut pas s'y tromper : il n'y a pas que l'islam qui a ce côté très irritant pour ceux qui ont perdu l'habitude de l'omniprésence de la religion dans la société. Un certain nombre de mouvement protestants, notamment évangéliques, sont aussi à la manoeuvre, et ont des caractéristique assez proches de ceux d'autres religions, en refusant par exemple les théories de l'évolution ou un certain nombre d'acceptions sur le progrès scientifique. C'est vraiment le problème de ces religions qui exigent des croyances relativement rétrogrades à mes yeux.

Il existe aussi un mouvement catholique intégriste qui s'oppose à la PMA comme il s'était opposé au mariage pour tous. On est sur un sujet de société où les partisans de la laïcité, qui veulent que que chacun puisse disposer, dans le cadre légal, de son corps depuis sa naissance jusqu'à sa mort, vont se confronter à des personnes qui ont des positions religieuses et veulent imposer aux autres leur vision du monde, où seul leur Dieu décide de tout cela. Et là on aura pas forcément face à nous que les catholiques intégristes, on aura aussi d'autres religions.
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