Après avoir écrit sur l'extrême-droite orléanaise, un journaliste de Magcentre a eu la désagréable surprise de trouver une des personnes mises en cause sur le pas de sa porte pour "discuter". Une "tentative d'intimidation" qui s'inscrit dans un contexte extrêmement délétère.
Sur Internet, plus on essaie de cacher une information -- qu'elle soit vraie ou fausse -- plus cela accélère sa propagation : c'est l'effet Streisand. C'est de cette manière qu'en essayant de faire modifier un article de notre confrère de Magcentre Mourad Guichard, un directeur de pompes funèbres mis en cause pour son passé de militant nationaliste s'est retrouvé au téléphone avec un journaliste de France 3.
En effet, ce jeudi 25 novembre vers 11h, Yves A. reconnaît s'être rendu au domicile du journaliste de Magcentre, qui collabore également à plusieurs autres publications, pour demander la modification d'un article où il s'estimait lésé. "J'ai entendu tambouriner à ma porte", affirme Mourad Guichard, surpris et inquiet de cette visite qu'il décrit comme un coup de pression. "S'il était venu une heure plus tard, il tombait sur mes gamins !"
L'homme, toujours selon le journaliste, a ignoré la sonnette et pénétré dans le jardin de la maison avant de frapper avec insistance à la porte. "Je voulais simplement m'expliquer, pas lui casser la figure !" se défend pour sa part Yves A, qui affirme avoir aussi essayé de le joindre par téléphone ainsi que via Magcentre et Radio Campus, où le journaliste était intervenu le mardi précédent dans l'émission "À bâtons rompus". "Surpris", Mourad Guichard lui ouvre. S'ensuit une discussion où le journaliste invite le jeune cadre à quitter les lieux, et où ce dernier lui laisse sa carte de visite.
Une "insupportable tentative d'intimidation"
Malgré ce ton apparemment courtois, cette visite au domicile d'un journaliste, dont il a bien fallu dénicher l'adresse personnelle, pour lui demander de retirer un article ne passe pas. "J'ai fait sciemment le choix de ne pas le citer nommément dans l'article, ni son entreprise" pour ne pas le mettre en cause, explique Mourad Guichard, qui a reçu le soutien d'un certain nombre de confrères et de consœurs face à une "tentative d'intimidation". Le média Magcentre a dénoncé dans un nouvel article un "acte grave", appelé "au respect intangible de la liberté de la presse face à des pratiques d’un autre temps" et se réserve l'ouverture d'une action en justice contre ce type d'agissement. Le journaliste, quant à lui, ne prévoit pas de suites judiciaires pour le moment : "pour moi, tout ce qui compte, c'est le respect de ma vie privée, c'est tout, ça s'arrête là."
La cause de ce conflit est un passage de cet article de Magcentre sur le collectif antifasciste d'Orléans. Le groupe, explique l'article, s'est formé pour contester la rue et les réseaux sociaux aux groupes d'extrême-droite qui se sentent pousser des ailes depuis quelques mois. Le média en ligne rappelle notamment l'attaque du théâtre d'Orléans au mois de mai et le passage à tabac des intermittents qui l'occupaient, un assaut dans lequel au moins un membre du groupe d'extrême-droite angevin l'Alvarium (récemment dissous) a été mis en examen. Et de citer comment le site "La Horde", proche des antifas, avait de son côté mentionné dans un article "un magasin de pompes funèbres fondé par une figure identitaire locale", et son "étonnante" participation à la panthéonisation en 2015 de Jean Zay, ancien ministre du Front Populaire assassiné par la Milice en 1944.
Quand Goldofaf donnait la "chasse aux gauches"
C'est cette phrase en particulier qui a fait réagir le jeune cadre, qui conteste l'appellation "d'identitaire". "J'ai été maladroit, j'ai voulu, un peu naïvement, prendre contact avec ce journaliste, car ceux qu'il décrit comme identitaires, c'est moi et mes salariés" affirme celui qui s'estime ciblé personnellement par "l'extrême-gauche", en particulier antifasciste, pour ses engagements politiques passés et pour sa "réussite professionnelle". "Cela fait six ans que j'ai entamé une procédure de diffamation à l'encontre de la Horde", poursuit-il, inquiet des conséquences de ces "attaques" sur son commerce et le moral de ses salariés. "Ça m'a fait mal au cœur."
Pourtant, en effet, "à vingt ans, j'ai fait quelques conneries" reconnaît le trentenaire. Certains, sous ce terme, feraient référence à des rodéos en mobylette ou à une première gueule de bois. Lui a été un pionnier du rap nationaliste en tant que Goldofaf, pseudonyme sous lequel il conspuait "les crouilles [une insulte visant les personnes d'origine maghrébine] et les gauchos", exaltait une version intégriste du catholicisme et scandait le slogan pétainiste "Travail, Famille, Patrie". Un passé fait de "violence, de recherche d'identité et de repères", admet-il, et il y conserve des amitiés et "fait toujours partie de ce milieu". Mais aujourd'hui "je ne fais partie d'aucune organisation politique, je n'ai rien de raciste ni de haineux en moi" insiste ce père de famille. La preuve de sa bonne foi : "je travaille avec un confrère des pompes funèbres musulmanes, on s'entend très bien."
Pourtant l'affaire, qui en est restée là pour le moment, n'est pas anodine. Depuis plusieurs mois, l'ambiance politique s'est considérablement tendue, culminant le 18 novembre avec la publication d'une tribune collective de 39 rédactions, dont le service public, contre "les menaces d'extrême-droite visant les journalistes". Une journaliste de Mediapart couvrant l'extrême-droite est la cible depuis des mois d'appels au meurtre et au viol. Après une enquête sur un groupuscule qui se dotait d'armes et s'entraînait au tir sur des caricatures racistes, le rédacteur-en-chef de Streetpress Mathieu Molard a été la cible de menaces de mort explicites. Et des menaces ont également visé, au mois de mai 2021, le directeur régional de France 3 Centre-Val de Loire après la polémique autour d'un documentaire sur Jeanne d'Arc.