Pédocriminalité dans l'Eglise : quelles sont les affaires qui ont marqué le Centre-Val de Loire ?

Le voile se lève lentement sur les abus sexuels commis par des ecclésiastiques sur des mineurs. Selon le rapport Sauvé, qui paraît ce 5 octobre, l'Église a abrité, et parfois protégé, plus de 3000 pédocriminels depuis les années 50. Certains n'ont été jugés que bien des années plus tard.

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Une crise silencieuse secoue l'Église catholique. Ses victimes ont souvent parlé, mais ont trop rarement été entendues. Confrontées à l'incrédulité des adultes et à la puissante solidarité des clercs, certaines victimes d'abus sexuels ont dû attendre de longues années avant d'être écoutées. C'était le cas d'Olivier Savignac, désormais cofondateur du collectif Parler et Revivre qui accompagne les victimes de pédocriminalité.

En 1993, âgé de 13 ans, Olivier Savignac croise la route de l'abbé Pierre de Castelet lors d'un camp de vacances catholique en Pyrénées-Atlantique. Ce dernier, curé de Lorris, dans le Loiret, s'en prend sexuellement au jeune garçon. Malgré les dénonciations multiples dont fait l'objet le clerc, cette affaire n'aboutira que 25 ans plus tard, en 2018, avec la condamnation de Pierre de Castelet à deux ans de prison ferme, mais aussi celle d'André Fort, alors évêque d'Orléans, à huit mois avec sursis pour non-dénonciation d'abus sexuels sur mineurs.

Pierre de Castelet, protégé jusqu'au bout par sa hiérarchie

Ce mardi 5 octobre, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) doit remettre un rapport de 2500 pages issu de deux ans et demi de travaux. Des travaux qui ont fait appel à plus de 6500 témoignages de victimes ou de proches et à 250 auditions longues ou entretiens de recherche, faisant de la parole des victimes "la matrice de son travail" selon le président de la Ciase, Jean-Marc Sauvé. Ces recherches ont aussi été approfondies par des plongées dans des archives ecclésiastiques, judiciaires et médiatiques.

En Centre-Val de Loire, on recense une demi-douzaine d'affaires semblables depuis 2000, notamment celle de l'abbé Eugène Charrieau, condamné à Chartres en 2003 à 20 ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles sur douze enfants de la Chapelle royale en Eure-et-Loir, et mort peu de temps après. Certains faits dataient de près de cinquante ans.

Selon Jean-Marc Sauvé, cité par l'AFP,  le nombre de prédateurs recensé depuis 1950 était de "2900 à 3200" hommes - prêtres ou religieux. Une "estimation minimale", précise le président de la Ciase. Dans la majorité des cas, les faits sont aujourd'hui prescrits, les auteurs décédés, rendant un recours à la justice improbable. Du côté de l'Église, les procédures en droit canon, quand elles sont engagées, sont très longues et peu transparentes.

L'affaire Castelet en est un exemple flagrant. Dès 1993, le diocèse d'Orléans et les évêques successifs reçoivent des signalements sur le comportement de Pierre de Castelet, qui est pourtant maintenu dans ses fonctions comme en témoigne Olivier Savignac lors de son audition par une Mission commune d'information du Sénat. "Mgr Fort s'est montré très rassurant lorsqu'il m'a reçu" déclare alors l'ancienne victime, qui s'est constitué partie civile avec deux autres anciens camarades, "mais j'ai découvert un an plus tard que l'abbé de Castelet était toujours en fonction auprès d'enfants, notamment auprès de Scouts d'Europe, et qu'il avait été nommé expert sur les questions de pédophilie en droit canon !"

La condamnation d'André Fort pour non-dénonciation d'abus sexuels en 2018 est d'ailleurs hautement symbolique, puisqu'il s'agit de la plus haute condamnation en date qu'ai reçue un évêque pour non-dénonciation d'actes pédocriminels. Les deux autres cas notables sont celui de Pierre Pican, évêque émérite de Bayeux, condamné en 2001 à trois mois de prison avec sursis, et l'archevêque de Lyon Philippe Barbarin condamné en première instance à trois mois de prison avec sursis en 2019 et finalement acquitté en appel.

Roger Vangheluwe et Robert Gomez, ces prédateurs "mis au vert" en Centre-Val de Loire

Car la parole des victimes se heurte bien souvent à l'inertie de l'institution. En février 2012, un autre Olivier, père de famille celui-ci, enrage contre les institutions ecclésiastiques après la condamnation du moine qui a abusé de son fils, Robert San Augustin Gomez, alias frère Luigi. Entre mars et septembre 2009, l'homme abuse sexuellement du jeune fils d'Olivier en marge d’un cours de catéchisme au collège Saint-Joseph de Cognac ou même dans la crypte de l’église locale, au détour des préparatifs de la messe du dimanche.

"Être chrétien, ce n’est pas aller à la messe le dimanche et multiplier les vacheries pendant la messe. Et je n’oublie pas qu’ils ont voulu faire passer mon fils pour un menteur", s'indignait alors Olivier. Mis à l'écart depuis 2009 dans un monastère de sa congrégation, la Confrérie de Saint-Jean, à Fley en Saône-et-Loire, "frère Luigi" récidive en 2011 avec un adolescent de 17 ans qu'il attire dans sa chambre d'hôtel après l'avoir fait boire. Le moine est à nouveau déplacé, cette fois à la Ferté-Imbault, dans l'Indre, tandis que la congrégation paie rubis sur l'ongle les intérêts civils et les frais de justice engagés dans les deux procès.

Condamné une première fois en  février 2012 pour l'agression du fils d'Olivier à dix-huit mois de prison avec sursis et cinq ans de suivi socio-judiciaire, le "frère Luigi" est à nouveau condamné au mois de novembre pour sa récidive à 25 mois de prison ferme.

Un jeu de la transparence pas toujours facile à mener

En 2010, l'évêque de Bruges Roger Vangheluwe admet publiquement des abus sexuels commis sur deux jeunes garçons de sa famille entre 1973 et 1986 "avant et peu après" qu’il ne devienne évêque, selon ses propres aveux. Les faits étant prescrits, une procédure disciplinaire interne le contraint à suivre des soins et lui interdit d'exercer publiquement son ministère, suite à quoi l'évêque fuit la Belgique et s'installe jusqu'en avril 2011 dans un monastère de la Ferté-Imbault, dans le Loir-et-Cher, sans que l'évêque de Blois en soit averti.

Outre-Quiévrain, l'affaire a néanmoins provoqué un électrochoc. Suite aux révélations sur Roger Vanggheluwe, l'archevêque de Malines-Bruxelles et primat de Belgique, Mgr André-Joseph Léonard a déclaré vouloir renforcer les enquêtes préalables aux nominations et a invité les victimes d'abus à se signaler auprès de la "Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale" qui se retrouve inondée de plus d'une centaine de témoignages, certaines victimes brisant le silence sur des faits parfois anciens.

En France, la reconstruction de la confiance entre l'institution religieuse catholique et les victimes d'abus se heurte encore à la protection dont jouissent les hommes d'église mis en cause dans ces affaires. En 2016, Jacques Blaquart, évêque d'Orléans, a annoncé la constitution d'une équipe dédiée à l'écoute des victimes d'agressions sexuelles commises par des responsables de l'Église. Mais cette initiative de transparence prend place dans un contexte où les victimes peinent à faire à nouveau confiance à une institution qui, jusque-là, ne tient pas ses promesses.

Annoncé ce mardi, le rapport Sauvé "va être une déflagration", a assuré à l'AFP un membre de la Ciase, sous couvert d'anonymat. "Cela va faire l'effet d'une bombe", renchérit pour sa part Olivier Savignac. Du côté de l'Église, le président de la Conférence des évêques de France (CEF) Eric de Moulins-Beaufort, a dit craindre que le rapport "ne rende des chiffres considérables, effrayants", lors d'une réunion avec des paroissiens de son diocèse. Sa publication "va être une épreuve de vérité et un moment rude et grave", peut-on aussi lire sur le message diffusé par l'épiscopat en direction des prêtres et des paroisses pour les messes du week-end. Un message qui appelle "à une attitude de vérité et de compassion".
 

 

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