L'affaire aurait pu rester dans les couloirs de la police municipale d'Orléans. Un agent "stagiaire" qui arborait un "soleil noir" tatoué sur le bras a été prié de le faire effacer, en raison de sa signification nazie. Pour "prouver sa bonne foi" il modifie le tatouage et tente de lui donner une autre signification.

Un "soleil noir" qui fait mauvais genre. Repéré sur le bras d'un policier municipal d'Orléans par des passants, ce symbole était utilisé par certains SS et repris par la mouvance néonazie. Sur l'une des photos prises, il est en uniforme, sur l'autre, en civil. Dans les deux cas, sur des manifestations culturelles et publiques dans l'été 2023.

La ville en est informée, convoque l'agent à l'automne et lui somme de retirer le tatouage. Chose faite. L'affaire aurait pu ne jamais s'ébruiter. Mais voilà, arborer un symbole à signifcation nazie est illégal. 

C'est le site Au Poste qui alerte en premier sur l'affaire et le tatouage de ce policier "stagiaire et non assermenté" tient à préciser la ville. Une manière de rappeler que cet homme n'est autorisé : ni à interpeller, ni à dresser un procès-verbal. Il est en "détachement de l'armée". 

Lettre pleine de bons sentiments 

Quelques jours après la publication d'articles dans la presse, et sans doute, dans l'espoir de faire taire la polémique, nous avons pu consulter une note interne dans laquelle l'agent s'explique. Il se dit "profondément touché par les articles parus sur le sujet qui m'associent à une idéologie qui m'est pourtant étrangère et me révulse". 

Il détaille : "Ce tatouage fait référence au "soleil noir", allégorie de la mythologie nordique qui remonte à plus de 7000 ans et qui représente le passé et le futur, le fait d'oublier le passé et d'aller de l'avant". Il apporte ensuite une photographie de son bras.

On y voit la représentation du soleil noir, et plusieurs "runes". Des lettres appartenant au plus "ancien système d'écriture des langues germaniques orientales et septentrionales, auquel étaient attribuées certaines vertus magiques" tel que le définit le centre national de ressources textuelles et lexicales. 

Ces lettres porteraient des significations pour le moins nobles : "la joie, la lumière, la bonne santé, la prospérité, le bonheur, l'épanouissement général, les succès et l'accomplissement". L'homme se réserve également le droit d'attaquer en justice les informations qu'il dénonce comme fausses. "Le symbole du soleil noir publié sur les articles ne correspond pas au symbole qui apparaissait sur mon tatouage" assure-t-il alors.

Tatouage modifié 

Un témoignage crédible de prime abord, qui a bien failli asseoir la bonne foi de l'ancien militaire. C'était sans compter une incohérence. Sur les photographies publiées du policier en fonction ou en civil, aucune trace des dites "runes". Elles sont pourtant clairement existantes sur le cliché fourni par le policier "non assermenté" dans sa lettre. 

Trois hypothèses sont alors sur la table : le site Au Poste a modifié les photos, ce sont deux personnes différentes ou alors, les "runes" ont été ajoutées postérieurement sur le tatouage. 

La dernière fut la bonne, confirmée par Florent Montillot, adjoint à la sécurité de la mairie d'Orléans. Il est l'interlocuteur de la rédaction de France 3 Centre-Val de Loire dans cette affaire. Alertés par nos équipes de cette incohérence, les services compétents interrogent le "policier stagiaire". Il reconnaît avoir ajouté les lettres après son entretien, pour "montrer sa bonne foi". Il a depuis gardé uniquement ces fameuses runes. 

Un symbole de toute façon lié à la mouvance néonazie

Interrogé sur la signification de ce soleil noir, Stéphane François, historien explique : "Le soleil noir nazi, venant des mosaïques du château de Wewelsburg restauré par la SS, et celui composé de runes sowilo, sont identiques, car le soleil noir de la SS est composé des secondes. C'est la même chose".

Celui qui documente les droites radicales et les sous-cultures poursuit : "Si elles (les runes) ont été tatouées après (ce qui est le cas, information confirmée après l'entretien, NDLR) il s'agit peut-être une volonté de sa part de masquer le symbole initial et d'en modifier son sens, en le transformant en signe païen. En outre, il ne faut pas oublier les deux - le symbole néonazi et le symbole païen - sont tout à fait compatibles, certains néonazis étant, souvent, des néopaïens odinistes."

Des membres de sa famille déportés comme faire valoir ? 

Dans sa lettre, le policier de convoquer également des membres de sa famille déportés pendant la seconde Guerre Mondiale, numéro de matricule à l'appui. Il fait référence à Alida et Robert Delasalle, déportée pour l'une, fusillé sur le Mont Valérian en 1942 pour l'autre. Tous les deux étaient résistants communistes. 

Le couple vivait à Fécamp en Normandie, lieu de naissance du policier mis en cause. Après recherches, "nous avons eu confirmation par le service d'État de la commune de la filiation du policier municipal avec les deux résistants". 

D'autres symboles qui posent question sur internet

Sur le compte Instagram du policier, désormais privé, on peut lire cette description "les armes font partie de ma religion. C'est la voie". Il explique être licencié dans deux clubs de tirs. Sur plusieurs captures qui ont pu être prises par des militants antifascistes, de nombreuses armes sont exposées.

D'autres symboles, comme un "valknut" apparaissent sur une autre publication. Trois triangles entrelacés. Ils avaient déjà fait polémique en juin 2023, après avoir été repérés sur le bras de policiers à Lille pendant l'une des manifestations contre la réforme des retraites.

"Le Valknut représente le "nœud des occis" ou des morts. Il est associé à Odin, roi des dieux de la mythologie scandinave, qui venait recueillir les morts au combat pour les emmener sur l'île de Valhalla où vivaient les valeureux guerriers" explique alors France 3 Hauts-de-France dans un article publié au moment de la polémique.

Si l'origine du symbole est là aussi nordique, il a ensuite été largement récupéré par des mouvances identitaires, suprémaciste blanche et néonazie. L'IGPN avait été saisie. Lors de l'assaut du Capitole aux Etats-Unis le 6 janvier 2021, l'un des militants d'extrême droite arborait par exemple ce tatouage. 

Un insigne avec une ligne bleue, appelée "Thin Blue Line" est aussi repérée. Sur le site internet de vente d'objets floqués de cette ligne, la signification est la suivante : "C’est un symbole utilisé par les forces de l’ordre, originaire du Royaume-Uni, mais maintenant majoritairement répandu aux États-Unis et au Canada pour symboliser la relation des forces de l’ordre dans la population comme étant les protecteurs du citoyen contre le crime ainsi que pour commémorer les policiers blessés ou tués dans l’exercice de leurs fonctions."

En pratique, cette ligne est là aussi associée à des mouvements d'extrême droite. L'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) s’était d’ailleurs saisie de la question après un article paru chez nos confrères de Libération. Le général Alain Pidoux, à la tête de l'organisation avait demandé aux forces de l'ordre de ne pas arborer ce signe qui fait office d'emblème chez les extrémistes américains.

 La justice saisie et la mairie d'Orléans en pleine enquête 

Emmanuel Duplessy, du groupe d'opposition Rassemblement Citoyen de la Gauche et des Ecologistes à la ville d'Orléans, affirme de son côté avoir signalé la situation au parquet compétent. "Même s'il est effacé, ce tatouage a été arboré, et reste une infraction à mon sens. Ce sera à la justice de trancher". À ses yeux, le mal est fait : "Ce n’est pas parce qu'on cambriole des maisons puis que l'on arrête qu'on ne doit pas répondre des actes précédents. Là, c'est pareil". Un courrier est également en cours d'écriture à destination de la ministre Prisca Thevenot. 

La mairie de son côté affirme vouloir faire toute la lumière sur cette affaire "c'est pris très au sérieux" insiste Florent Montillot "dès que les vérifications en cours seront faites, nous prendrons les décisions qui s'imposent". Sans vouloir s'avancer sur ces dernières, il annonce un dénouement "d'ici la fin de semaine".

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