Rénovation urbaine à Orléans : l'Argonne, un quartier en suspens

Depuis 2015, la mairie d'Orléans a entamé un nouveau programme de réhabilitation du quartier de l'Argonne. Mixité sociale, emploi, concertation... Les résultats sont-ils à la hauteur des ambitions ? 

"Quand j'étais plus jeune, on nous disait de ne pas s'arrêter si on passait par l'Argonne. Moi, j'avais des amis ici, j'ai connu l'Argonne "à l'ancienne". Quand je suis revenue pour mes permanences, j'ai trouvé que ça avait changé. Maintenant, les mecs de l'Argonne, entre nous, on les appelle les minions" plaisante Sarah*

* Les interviewés ont souhaité conserver leur anonymat. Leur identité a été modifiée.

La jeune femme de 25 ans est chargée de mission une association qui intervient régulièrement à l'Argonne, sur les problématiques d'insertion professionnelle. Comme elle, tous ceux qui connaissent un peu le coin l'admettent sans mal : il y a eu un coup de polish. 
  

L'Argonne, 15 ans de promesses


Cela fait plus de 15 ans, maintenant, qu'on promet à l'Argonne une peau toute neuve. Les premiers projets de rénovation ont été menés dès 2004, dans ce quartier de près de 8000 habitants, où environ 64% de la population vit de bas revenus. Pour essayer d'amender une histoire malmenée qui démarre dès 1935, celle des banlieues françaises. "A l'époque, on a cloisonné des personnes dans des zones prioritaires, c'était une volonté. C'était un contexte de précarité sociale, avec ces grands immeubles" retrace Rahim*, responsable associatif qui a passé sa vie à l'Argonne. 


Dès 2014, l'Argonne est retenu pour un nouveau programme de renouvellement urbain. A cause des habituels slaloms et délais de ces dossiers massifs, c'est l'équipe d'Olivier Carré qui prend les commandes. Création d'emplois, mixité sociale, désenclavement, changement d'image... Le chantier est vaste. 410 logements, pour la plupart devenus insalubres, doivent être rayés de la carte. 250 doivent être reconstruits en laissant derrière les barres d'immeubles, il est question de petits pavillons, moins estampillés "cité". Sans compter les réhabilitations.
 

Un bouleversement tant pour les façades que pour les hommes et femmes qui y vivent. Le plan de rénovation, géré par l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), prévoyait d'ailleurs un important volet sur la concertation avec les habitants. Mais, et les avis semblent unanimes, c'est là que le bât blesse. 

"On a eu pas mal de réunions en 2018, un peu début 2019, mais là depuis, on n'a pas été ré-associés" constate Sophie*, qui dirige une association historique de l'Argonne, également spécialisée dans l'insertion sociale et professionnelle.

Malgré ces réunions, "on sentait que certaines choses étaient déjà décidées, comme par exemple la forme qu'allaient prendre les futures habitations. On nous demande notre avis, mais c'est déjà plus ou moins acté. Je sais bien que l'ANRU, c'est un plan à plusieurs millions d'euros, mais bon..."

Pour Sophie*, ces réunions n'étaient d'ailleurs pas accessibles à tous. "Sur l'Argonne, comme dit le conseil citoyen, ce sont toujours les mêmes personnes qui se mobilisent, et pas forcément le public-cible. Aller dans ce type de réunion, il faut pouvoir s'organiser, faire garder ses enfants, oser s'exprimer devant une assemblée, parler le français..."  La responsable fait le parallèle avec une assemblée tenue l'an dernier pour le lancement des nouvelles conventions "contrat de ville". "Nous avons pu venir, nous les associations, avec les habitants du quartier. Et là, c'est intéressant, parce qu'on a mis le doigt sur les problèmes de mobilité, de garde d'enfants pour toutes ces femmes qui ont des horaires atypiques, des problèmes vraiment quotidiens."
 

"On prend les gens pour quoi ?" : le problème des relogés


Avoir perdu de vue les habitants, un reproche qui affleure dans plusieurs discours. La question du relogement des familles concernées par les démolitions est particulièrement sensible. Yacine, 21 ans, habite le quartier depuis toujours. Désormais en service civique, il constate : "On met les gens dans des bâtiments qu'on va détruire, puis on les redéménage. On leur laisse pas le choix. J'en connais plein !"

"Ce que les habitants regrettent, ce n'est pas le changement, c'est qu'on ne leur explique pas. Quelqu'un qui a ses habitudes, même dans un logement insalubre, il n'aura pas envie de changer" abonde Rahim*, qui regrette le règne des "techniciens". Sophie* confirme. "Pour certaines personnes, ça a été assez fragilisant. On a perdu ceux qui ont été relogés à l'extérieur de l'Argonne, c'est quand même un point "négatif". Certains ont pu être relogés dans des conditions plus favorables. Comme ce couple à Semoy : ils ne sont pas ravis d'y être, mais la qualité de vie est meilleure. Mais on a des gens qui nous disent clairement qu'ils ne veulent pas partir."
 

Sarah*, elle, enjoint à "penser au bien-être des gens. C'est pas parce qu'ils habitent en quartier prioritaire qu'on leur passe au-dessus. On prend les gens pour quoi ? Ces personnes souvent n'ont pas le choix, pas les moyens. Est-ce qu'il y a eu assez de prévention ? Est-ce que ces personnes sont suivies ?s'interroge la jeune femme. 

"La concertation, l'association des conseils citoyens est à juste titre souligné dans le protocole de préfiguration de l'ANRU. C'est un texte de loi. On pourrait dire qu'à ce niveau-là, on est dans un contexte presque délictuel", estime Rahim.* 
 

Le tram, unanime réussite


Selon les associations, le quartier se satisfait d'une chose : qu'on s'en préoccupe. Les rénovations, si elles ne sont pas pleinement pereptibles, ont le mérite d'exister.

Autre accomplissement, très mis en avant : l'Argonaute, un vaste complexe sportif et culturel de 4000m², inauguré en 2017. Un gymnase, une salle de boxe, une salle de danse, des salles de musique... Pourtant quand on l'évoque, Sophie* fait la moue. "L'Argonaute, malheureusement, il faut nuancer. Ce qui n'est pas normal, c'est que les tarifs pratiqués sont assez chers. On se retrouve avec une école de musique qui facture 600 euros l'année !" 
 

Yacine, le jeune service civique, fait le même constat. L'Argonaute, il ne sait pas qui y va. "Ils installent des trucs, mais c'est pas la classe sociale qui est dans le quartier qui les utilisent. Ça sert à quoi de les installer ici alors ?" 

Le changement qu'on salue unaniment ici, c'est le tramway. La ligne B a ouvert en 2012, sous le mandat de Serge Grouard. "Les habitants qu'on accompagne depuis longtemps trouvent ça super ! Ça a créé une zone de mobilité plus grande. ça a décloisonné le quartier, ne serait-ce que pour avoir accès à des services qui étaient au centre-ville" s'enthousiasme Sophie. 

Yacine confirme. "Le tram a changé les choses pour ceux qui étudient, pour les mamans ! Ça fait rentrer des gens de l'extérieur aussi."
 
 

"Les bâtiments changent, mais l'Argonne, ça reste l'Argonne"


Mais ce ne sont que de petits allers et retours bien prudents. "Il y a toujours cet a priori, ressent le jeune homme. Il y a un arrêt juste devant l'Argonaute, pile devant, ils viennent et ils repartent. Je ne pense pas que les gens auront envie de venir vivre ici. Les bâtiments changent, mais pour eux, l'Argonne, ça reste l'Argonne. Comment donner une bonne image, en parlant que des faits divers ? C'est normal qu'autour, ils aient peur" poursuit le jeune homme.

Pourtant son quartier, lui, il l'aime. Il est cool, les gens sont sociables. Avec sa boulangerie, son café et sa maison de santé, la place est plus animée et plus propre qu'avant. L'insécurité semble être une lointaine préoccupation, qu'on évoque plus qu'à la marge. Le maillage associatif est solide, le comité des fêtes est actif. 
 

Malgré tout, l'enjeu d'image, discuté dès les prémices du plan de réhabilitation, semble encore en chantier. "Si on va sur des zones pavillonnaires, on va peut-être brasser d'autres catégories sociales, mais ce n'est pas encore palpable. C'est certainement normal, il faut du temps" admet de bonne grâce Sophie*.

Sarah*, elle, attend de voir. "Ça reste un quartier prioritaire, on sait quel type de personne on y envoie... Il y a des coups de peinture, ils font des résidences, mais je peux vous dire que sur le Bon Coin, les maisons en vente à l'Argonne restent longtemps. Même neuves, propres, rénovées. Pourquoi ? s'inquiète la chargée de mission.

Selon Rahim, le manque de clarté sur les projets du quartier a même un effet pervers. "A l'extérieur, ils ont l'impression qu'on met des millions pour les quartiers, plus qu'ailleurs. Il faut faire de la pédagogie sur ça aussi. Sinon, ça crée de l'animosité. Une personne me l'a dit : "C'est toujours pour les mêmes, on paye pour eux !" Alors même que les marchés publics sont pris par des entreprises extérieures au quartier..."
 

Quartier plein de potentiel recherche entreprises


Car de l'emploi à l'Argonne, de l'avis général, "il n'y en a pas". Toujours pas. Chargés en particulier de l'insertion professionnelle, Initiatives et Développement déplore des projets suspendus. "On avait même envisagé un seul lieu pour nous, Pass Emploi Service, la mission locale. Ce tiers-lieu aurait pu servir à des commerçants, des activités plus éphémères... Mais on n'a pas d'infos, pas de retour. J'imagine bien que ça ne se met pas en place du jour au lendemain, mais ça aurait permis aux gens de l'Argonne de se dire : une nouvelle structure se crée, de nouvelles entreprises, on peut peut-être se positionner dessus."

Seule perspective claire : le lancement, en janvier 2020, des "emplois francs". Des postes qui garantissent aux entreprises des aides de plusieurs milliers d'euros par an, pour peu qu'on y embauche une personne issue d'un quartier "prioritaire". "On nous en a parlé il y a un mois ou deux, à peine. Ça peut être intéressant, l'Agence Sud d'Orléans a pu faire embaucher une dizaine de personnes, déjà. En un mois, c'est pas mal ! Mais il faudrait des entreprises sur le terrain..." s'intéresse Sophie.
 
L'Argonne est pourtant, depuis 2006, une Zone Franche Urbaine. Toute entreprise dans la limite de 50 salariés qui s'y installe est donc exonérée de charges, à 100%, pour une durée de 5 ans. Un dispositif alléchant, qui comme les autres embellissements du quartier n'aura pas suffi.

A mi-parcours de son plan de réhabilitation, l'Argonne est donc un quartier en suspend. Et ses habitants veulent bien attendre. A condition de savoir ce qu'ils attendent. 
Note au lecteur
Contactée, la mairie d’Orléans a dû décliner la proposition de France 3 de s’exprimer sur le sujet, ne souhaitant pas nourrir de polémiques en période de campagne électorale.
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