La métropole d'Orléans inaugure un rond-point "à la hollandaise", où piétons, cyclistes et automobilistes ont chacun leur voie dédiée. Une première dans l'agglomération, déjà expérimentée ailleurs, et qui promeut une nouvelle répartition de l'espace public.
La fin de l’enfer de Candolle ? C’est toute la promesse faite par la métropole d’Orléans, qui a financé les lourds travaux du rond-point (voire double rond-point) du carrefour Candolle, au-dessus de D2020 près du quartier Saint-Marceau.
La zone avait été identifiée comme “un point dur” pour la circulation des vélos, explique Christian Dumas, vice-président de la métropole, chargé de la politique cyclable et des circulations douces. “On a des flux importants, un carrefour de route structurant, beaucoup de vélos, du convoi exceptionnel, du bus, et un lycée proche avec des circulations piétonnes et cyclistes importantes”, liste-t-il. Autant dire que le partage de l'espace public relevait plus de la théorie du chaos que de la cohabitation raisonnée.
Pour remédier à la situation, la collectivité a investi 1,8 million d’euros pour repenser le site. Désormais, les deux ronds-points, se trouvant de chaque côté de la D2020, se retrouvent réunis en un seul rond-point “cacahuète”, avec suppression de tous les feux de circulation qui conditionnaient l’entrée des automobiles sur le carrefour.
Chacun sa voie, chacun son chemin
Mais c'est du côté des mobilités douces que le changement est le plus frappant. Une piste cyclable bidirectionnelle fait aujourd'hui le tour complet du carrefour, bien séparée de la chaussée. Piétons, vélos et voitures ont chacun leur voie dédiée. Mieux : les cyclistes ont priorité sur les voitures lorsque les flux se croisent.
C’est ce qu’on appelle un rond-point “à la hollandaise”. Une première dans la métropole. “On voit bien que la pratique de la bicyclette augmente, il nous faut pouvoir répondre à ces attentes en sécurisant les parcours et l’espace public”, plaide Christian Dumas. Ce qui passe par la priorisation du vélo sur la voiture. "S'il y a un accident, un cycliste ne fait pas le poids face à une voiture ou une camionnette, il faut partir de la protection du plus faible."
Côté usagers, les premiers retours sont positifs. "C'est vrai qu'on avait un rond-point assez calamiteux, maintenant le franchissement de grand carrefour est simplifié et sécurisé", juge Raphaëlle Guichard, membre du bureau de l'association Dammo (Droit Accessibilité Mobilité Métropole Orléans).
Elle salue ce choix de rendre le vélo prioritaire, ce qui va "forcer les automobilistes à être plus vigilants, et ça ne nous dispense pas, nous cyclistes, de continuer à l'être". Mais les voitures "sont obligées de ralentir".
Changement d'habitudes
Reste que, pour les automobilistes, la modification des habitudes risque de ne pas aller de soi. "La nature humaine a horreur du changement, moi le premier", reconnaît Christian Dumas. Qui ne se laisse pas abattre :
La première réaction, c'est de dire : "C'est un peu le bordel !" Et au bout de quelques jours, les gens prennent le pas, ils réalisent que ça marche même si ça casse un peu leurs habitudes. Quand on a introduit les ronds-points en France, au début c'était compliqué. Aujourd'hui, imaginons un stop, un feu ou une priorité à droite à la place de tous les ronds-points... On trouverait aussi que c'est compliqué.
Christian Dumas, vice-président Orléans Métropole chargé de la politique cyclable et des mobilités douces
À Tours, le rond-point Saint-Sauveur a reçu un lifting à la hollandaise en novembre 2022, un an après un accident ayant coûté la vie à une femme, fauchée par un chauffard. Un aménagement "proche de la perfection", salue François Sarrazin, vice-président de l'association Collectif Cycliste 37.
Selon lui, les automobilistes se sont vite acclimatés. "Les véhicules respectent la priorité des vélos, qui arrivent en perpendiculaire, donc il y a une co-visibilité et une signalisation très adaptées", détaille-t-il. D'autant que, lorsque la piste cyclable croise les voies d'entrée des voitures sur le carrefour, la piste garde sa couleur distincte (une sorte de beige). Elle est même surélevée, sur un dos-d'âne XXL. Bref, tout est fait pour que l'automobiliste comprenne que le vélo est le roi.
Quelques points à revoir ?
À Orléans, ces préceptes ont été mis en place sur la piste cyclable qui tourne autour des trois quarts du carrefour du Pont-Bordeau réhabilité (aussi après un accident) à Saint-Jean-de-Braye.
En revanche, au nouveau rond-point Candolle, ce n'est pas le cas. Lorsqu'elle est séparée de la chaussée, la piste cyclable est d'une couleur beige orangé, mais retrouve la couleur du goudron en traversant la route. Pas de surélévation de la route non plus à ces croisements. "Ça crée une rupture, et c'est un indice visible en moins pour les automobilistes", regrette Raphaëlle Guichard, de l'association Dammo. À certains endroits, la piste a même trois couleurs différentes : orange pour la piste autour du carrefour, couleur noire bitume en traversant la route, et bitume éclairci sur les voies d'entrée sur le carrefour.
Malgré tout, Raphaëlle Guichard espère voir fleurir des aménagements similaires ailleurs dans la métropole, sur d'autres carrefours compliqués. À Tours, un rond-point à la hollandaise est prévu au croisement de la route de Savonnières, au sud du rond-point Saint-Sauveur. De manière générale, ces aménagements s'inscrivent dans un réseau cyclable ambitieux, salué par François Sarrazin. "La ville est en train d'être totalement transformée", se réjouit-il.
À Orléans, les associations sont moins emballées, et critiquent régulièrement une application jugée trop lente du plan vélo métropolitain, voté en 2019. Alors, ce nouveau rond-point, "c'est bien, mais il faut une réflexion plus large", estime Raphaëlle Guichard :
Quand on sort du rond-point Candolle vers la rue du Jardin des Plantes, on se retrouve avec une bande cyclable sur la chaussée. Ma fille commence à faire du vélo, je ne l'emmènerai pas là.
Raphaëlle Guichard, membre du bureau de l'association Dammo
En gros, des projets ponctuels constituent un bon début. Maintenant, "il faut que les liaisons soient bien aussi".
"Je conçois que les associations considèrent que ça ne va pas assez vite, je suis le premier à partager ce sentiment", répond Christian Dumas. Pour autant, il ne suffit pas de claquer des doigts." Il défend la nécessité de "prendre le temps" de réaliser "des études sérieuses" pour les plus gros projets. "Le pont de Candolle, entre l'étude et la livraison, on aura mis presque 3 ans. C'est long, mais ça nécessite du sérieux." "Je ne dis pas qu'on est les rois du monde, mais je ne crois pas à l'idée de dire que rien n'est fait non plus", conclut-il.
Introduire de la cohérence
Reste peut-être à harmoniser les règles, pour que l'exceptionnel de la nouveauté devienne la norme. Car, au sein d'une même métropole, des équipements qui se ressemblent peuvent avoir des fonctionnements différents. À Joué-lès-Tours, "il y a un aménagement qui est fait avec les mêmes normes, à un point près : la priorité n'est pas aux cyclistes", regrette François Sarrazin, de l'association Collectif Cycliste 37. Un carrefour qu'il considère comme "un piège à cyclistes", et qui "donne de mauvaises habitudes aux automobilistes".
Dans la métropole orléanaise, même problème avec le rond-point au nord de l'avenue de la Recherche scientifique, à La Source. "Un automobiliste qui a l'habitude de ça, quand il va arriver au carrefour Candolle..."
Pour l'instant, la métropole n'a pas de plan précis pour un nouvel aménagement similaire. Mais "on peut imaginer" que d'autres ronds-points à la hollandaise fleurissent sur le territoire, assure Christian Dumas. La collectivité se laisse le temps de "voir comment vit le carrefour" avant de se lancer dans d'autres travaux d'ampleur.
En 2023, 10 personnes sont mortes sur les routes de la métropole orléanaise. Ce qui en fait une des métropoles les plus dangereuses de France, proportionnellement à sa population. Selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, entre 2019 et 2023, 27% des morts sur la route à Orléans étaient des piétons, et 19% des cyclistes.