Xavier Beulin, agriculteur loirétain et président de la FNSEA, décédait brutalement le 19 février 2017. Laissant derrière lui les bases d'un pôle de recherche et développement très ambitieux. Qui peine encore à prendre racine.
Le 18 novembre 2022, était inauguré l'Agreen Lab'O. La partie émergée du "Campus Xavier Beulin". Du nom de l'agriculteur loirétain, devenu géant de l'agroalimentaire et président de la FNSEA, jusqu'à son décès le 19 février 2017, il y a 7 ans jour pour jour. Ce nom est un hommage à l'homme, mais aussi à l'initiateur du projet.
Car c'est lui qui, en 2015, participait à la création et prenait la présidence d'AgreenTech Valley, association dédiée à l'innovation numérique dans le domaine agricole. Une idée devenue, à force de grandir, un projet de campus : un pôle d’expertises dédié au e-végétal, avec un écosystème complet d'entreprises innovantes dédiées à la recherche et développement, connectées les unes aux autres, et tout un tas de terrains d'expérimentations.
Une grande ambition... sur papier
Le site de 3,5 hectares devait voir arriver des "serres du futur" pour "tester la culture urbaine", mais aussi le Centre de vulgarisation et d'études techniques maraîchères de la région d'Orléans (le Cvetmo), ou encore le centre de recherche d'Antea group, écrivait La République du Centre en 2016. Le maire de l'époque, Olivier Carré, ne cachait pas une grande ambition, et de premiers travaux dès 2018.
De cette vision, reste un plan disponible sur internet, avec de nombreux bâtiments, des parkings, des rues nouvelles... Dans la réalité, seul l'Agreen Lab'O a vu le jour, bien solitaire au milieu d'espaces verts pollués de sacs plastique. L'Agreen Lab'O, labellisé Village by CA par le Crédit Agricole (et faisant donc partie d'un réseau national d'incubateurs), accueille quatre start-ups, pour une douzaine de places disponibles.
(À gauche, le concept pour le Campus Xavier Beulin, à droite le site en 2021.)
L'objectif à la fin de l'année 2024 : avoir sept start-ups accompagnées, selon Anthony Dumas, chargé de projet pour le compte du Crédit Agricole. Mais les candidats se font finalement assez rares. "On va faire deux appels à candidatures, un avec 15 Villages dans toute la France à partir du 15 mars, et juste après un appel au niveau de la région", annonce-t-il.
Il se dit "optimiste" : "On a un écosystème hyper complet, que ce soit dans le monde agricole, dans la recherche avec le CNRS, le BRGM, les animations qu'on prépare... Et puis tout le monde se connaît à Orléans, donc les dossiers vont vite." Pierre-Yves Robert est le dirigeant de Vastem, une startup dédiée à la valorisation des déchets. À l'Agreen Lab'O, où il s'est installé à l'été 2022, "l'écosystème [lui] plaît" : "On trouve un bureau, du personnel compétent, des mises en relation facilitées, vante-t-il. Et les animations organisées ici, ça prend du temps d'y participer, mais ça permet de rencontrer beaucoup de monde."
De plus, le bâtiment héberge l'association AgreenTech Valley, un cluster qui fédère plus d'une centaine d'adhérents à travers la France, sur le sujet des technologies numériques au service de l'agriculture. Et qui, petit à petit, s'est fait une place importante sur la scène régionale, et regarde désormais vers Paris, et l'international.
Avenir radieux ?
Autant d'atouts qui auraient pu promettre un avenir radieux au Campus Xavier Beulin dès son lancement. Que s'est-il donc passé, et que peut-on encore espérer ? Déjà, la crise Covid n'a pas aidé, et l'ouverture de l'incubateur a été repoussée plusieurs fois.
Et, au départ centré sur l'AgTech, autrement dit la technologie numérique appliquée à l'agriculture, son champ de compétences a été élargi à "l'agriculture innovante et la transition", explique Anthony Dumas. Car "il y a 130 entreprises AgTech en France, penser qu'on en récupérerait dix était ambitieux", estime-t-il.
Mais le projet reste ambitieux. "L'objectif, c'est de construire un pôle de l'agriculture innovante sur le Loiret", défend Anthony Dumas. Le Vice-président d'Orléans Métropole, chargé de l'attractivité économique et de l'économie numérique voit plus loin :
On doit devenir un vrai pôle de référence", et pas que départemental.
Pascal Tébibel, Vice-président d'Orléans Métropole, chargé de l'attractivité économique et de l'économie numérique
Plus de 4 000 000 d'euros d'argent public déjà investis
Mais un écosystème, ça ne se crée pas de toutes pièces. Ça s'arrose, et ça se développe petit à petit. Le lieu a "les conditions favorables", soutient l'élu. Reste à déclencher "l'étincelle", qui lui permettra de prendre toute sa mesure. Mais probablement pas si l'Agreen Lab'O a encore des bureaux vides. "On attend d'avoir des occupants", avant de pousser plus loin.
Il l'assure, la prospective a déjà débuté pour remplir les espaces autour de l'incubateur. Les terrains sont détenus par la Semdo, la société d'aménagement détenue à 70% par la métropole et par la ville d'Orléans. Pour trouver des candidats à l'installation de leurs bureaux sur le Campus, "il faut qu'on fasse plus de pub, qu'on ait une communication beaucoup plus agressive".
En attendant, la métropole ne semble plus aussi enjaillée à l'idée d'investir directement. La collectivité avait déjà déboursé 3,3 millions d'euros pour bâtir l'Agreen Lab'O, épaulé par un chèque de 800 000 euros de la région, et devrait contribuer au fonctionnement et aux investissements de l'incubateur à hauteur de 270 000 euros en 2024. Sauf que "les finances des collectivités sont contraintes... on attend des investisseurs privés." Restent que les "serres du futur", le Cvetmo et Antea group n'ont jamais posé une pierre au Campus Xavier Beulin.
La veuve du président de la FNSEA, Laurence Beulin, se dit "déçue que beaucoup de partenaires qui s'étaient engagés se soient désengagés". La faute à la disparition de son mari ? "Xavier arrivait à emmener les foules, ce n'est plus le cas aujourd'hui."
Le Campus Xavier Beulin était-il trop ambitieux ?
Désengagements et changements de réalités. Ne serait-ce que pour le taux de remplissage de l'Agreen Lab'O. "Depuis le Covid, les start-ups n'ont plus forcément de besoin d'un bureau, leurs attentes ont changé, explique Anthony Dumas. Mais elles ont toujours besoin d'accompagnement."
Et "il faut rester humble devant le rythme d'innovation des start-ups, ne pas avoir d'idées préconçues", complète Pascal Tébibel. "Il ne faut pas se figer dans des modèles." Autrement dit, il ne faut pas vouloir à tout prix accomplir une vision, si elle apparaît défaillante à mi-parcours.
Le Campus Xavier Beulin était-il trop ambitieux ? "Ça semblait atteignable, sinon ça n'aurait pas été fait", balaie de son côté Olivier Carré, maire d'Orléans de 2015 à 2020. "Je ne suis pas responsable de la gestion du projet après mon départ."
Quant à savoir si le Campus verra vraiment le jour, tous les acteurs rencontrés à l'Agreen Lab'O se disent optimistes. Et trône toujours, le long de l'avenue, un panneau annonciateur : "Orléans Métropole construit ici le Campus Xavieu Beulin". Même si voilà deux ans que le site n'a pas vu d'engin de chantier.