A 25 ans, Noémie Lalande est l'artiste qu'on retrouve dans tous les événements Esport et jeu vidéo dignes de ce nom. Passée chez Blizzard, elle vit désormais de ses créations.
"Mon premier souvenir de jeu vidéo, c'était de me faire défoncer par mon oncle sur Dead or Alive 2 sur PS2. J'ai passé des heures à m'entraîner pour pouvoir le battre." Maintenant, Noémie "Pikanoa" Lalande y arrive haut la main. Elle avait aussi une Game Boy, et un Pikachu en peluche. Pika-chu. Pika-noa. Vous l'avez ?La jeune femme a tout de la pile électrique, avec son sourire plein d'énergie et sa voix qui s'éraille. En 2014, à 20 ans à peine, elle devient directrice artistique d'une petite start up, Infinite Square. "J'ai aimé cet univers, tu as du poids dans ce que tu peux faire. Je faisais aussi tous les graphismes, donc si j'avais une idée, je devais la faire, et si j'avais un problème, je devais le régler. Et comme j'aime bien le challenge, j'ai beaucoup aimé tout endosser et voir le truc se créer."
La cour des grands
Un an plus tard s'ouvrent pour elle les portes d'un des sésames des gamers : Blizzard, l'éditeur des jeux star World of Warcraft, Hearthstone et Overwatch. "Noa" y devient graphiste. "On s'occupait de la communication européenne : la Russie, l'Espagne, l'Allemagne. On faisait la traduction, c'était hyper compliqué ! Les phrases en russe, où est-ce qu'on met le retour à la ligne ?! (rires)"
Mobilize alongside the combat medic who made the shrewd decision to make the world a better place, one bandage... or bullet at a time: Baptiste pic.twitter.com/qmAO8EqxLM
— Overwatch (@PlayOverwatch) 26 février 2019
Travailler chez Blizzard, à 21 ans, pour le milieu, c'est quelque part entre le mirage et l'exploit. Pour elle, c'est de la détermination. "Ce qui me dérange un peu, c'est que parmi les gens qui vont me dire "Tu l'as fait tôt, j'aimerais bien", certains n'ont pas essayé. Ils attendent que ça leur tombe du ciel, je n'ai pas eu ce poste par hasard. Je les ai littéralement harcelés", clarifie Pikanoa entre le sourire et la grimace.
Même pas peur
Là-bas, au milieu de ses collègues curieux, elle travaille son autre passion : l'art. "J'ai fait de la musique, du théâtre, plein de trucs. Et ce qui ne m'a jamais lassée, c'est le dessin. Au contraire, j'avais toujours un nouveau défi : apprendre la peinture, puis l'aquarelle, peindre sur toile..."
L'univers des jeux vidéos, des comics et des mangas devient son terrain de jeu, les personnages de cet univers ses sujets d'expérience. Son style, elle le définit comme "coloré", et c'est tout. Passé ce mot, Noémie Lalande ne veut rentrer dans aucune case. Pour créer, elle est aussi à l'aise avec un ordinateur, un pinceau, un rouge à lèvre et un liner...
"J'ai commencé à peindre avec les mains, parce qu'un jour pour un événement, j'avais oublié mes pinceaux. Je pouvais pas retourner à Paris les prendre ! Des cosplayeuses trop sympa m'ont passé leurs pinceaux de maquillage pour les finitions. Et la toile m'a été achetée. Le seul outil dont j'ai vraiment besoin, c'est mes mains. Le reste, c'est du plus."
On n'a aucun mal à l'imaginer. Quelques minutes avant, elle nous parlait de son idée de peindre avec du vin pendant des salons de dégustations avec les vignerons.
En 2016, alors que les commandes s'amoncellent, elle finit par quitter Blizzard pour vivre de ses toiles. Partie sans peur sur le radeau de l'incertitude. "Pour moi, la peur, c'est un trauma. On a vécu quelque chose qu'on a peur de revivre. Je peux pas avoir peur d'une situation que j'ai pas vécue. Les gens en font de la peur, moi, je vois ça comme une excitation."
"Alors c'est un art"
Expositions, commandes, création d'émoticones pour la plateforme Twitch, création d'affiches, de logo... Pikanoa en fait beaucoup, mais l'essentiel de ses revenus vient de ses premières amours : les événements autour du jeu vidéo. "J'essaie d'amener les gamers à s'intéresser à d'autres types de supports, de faire sortir le jeu vidéo des écrans. Et en même temps de sensibiliser le grand public au fait que les personnages de jeu vidéo sont des images avec un design, un charisme, qui les rend beaux."
En février 2019, comme promis, le ministre de la Culture Frank Riester intègre une offre jeu vidéo au fameux Pass Culture. Une annonce qui suscite les commentaires plus ou moins éclairés de ceux qui n'y connaissent rien (ci-dessous : un exemple de commentaire éclairé).
J'étais dans l'erreur alors. Je pensais que les gens qui passaient toutes leur journées à jouer aux jeux vidéo sur leur canapé n'étaient que de grosses feignasses. Mais en fait ils pratiquaient leur art!
— Minimoi (@sayonara982) 2 février 2019
"Je trouve qu'il n'y a rien de différent entre un jeu vidéo et un film. Tu as un scénario, un univers. Utiliser les outils que tu as pour créer quelque chose, et faire voyager les gens à travers, c'est ce que font la musique, la danse, le dessin. Et si c'est ce que fait le jeu vidéo, alors c'est un art", tranche Noémie Lalande. Et elle, elle s'y connaît dans les deux.
Les fruits de la réflexion
Et les gamers ne s'y trompent pas. "Noa" a autant de succès qu'elle a d'inspiration. Est-ce qu'elle s'y attendait ? "Pas... pas... pas... Je... Ça, ça me rend très timide, avoue l'artiste en rougissant un peu. Je m'attendais pas à ce succès. Mais ce que j'aime, c'est de pouvoir toucher plus de gens."
Pourtant, ce qui la rend le plus heureuse, ce n'est ni le succès, ni l'argent, ni l'odeur de l'aquarelle. "C'est de travailler avec d'autres artistes. Il n'y a pas longtemps, on a fait un événement pour un jeu mobile qui s'appelle Summoner Wars. Le fait d'échanger avec des artistes qui ont la même mentalité que moi, qui ne sont pas scolaires mais qui ont un univers différent, j'adore. Je crée avec eux, ça fait mûrir ma réflexion."
Plusieurs fruits en ont déjà jailli, comme le graff, la discipline des street artists. Prochain projet à cueillir : le tatouage. Les encres sont déjà prêtes. Pikanoa n'a toujours pas peur.