Si le droit à l'avortement est supprimé, "on va revoir les femmes utiliser des aiguilles à tricoter"

L'annulation du droit fédéral à l'avortement aux États-Unis a fait grand bruit. Au planning familial du Loiret, la décision inquiète médecins et visiteuses. Pour elle, le même scénario en France est encore lointain, mais pas impossible.

En 2021, 189 femmes ont décidé de se faire avorter, via le planning familial du Loiret. Décidé, car c'est leur choix, leur droit. Voilà le message que veulent faire passer de nombreuses femmes françaises, quelques jours après la révocation par la Cour suprême du droit fédéral à l'avortement aux États-Unis

"Ma première réaction, ç'a été de voir ça comme une profonde injustice", se souvient Laurence Wittke, médecin coordinatrice au planning familial du 45. Une injustice entre "les femmes qui ont de l'argent, qui trouveront toujours les moyens de faire un avortement" et "les plus pauvres qui prendront le plus de risques, parce qu'elles n'auront pas le réseau ni les moyens pour se déplacer dans un autre état". Avec, comme risque, que des femmes "se mettent des choses dans l'utérus pour faire sortir la grossesse". Une pratique à très "hauts risques infectieux".

Au péril de sa vie

Car "une femme qui veut avorter utilisera tous les moyens pour y arriver, même au péril de sa vie", ajoute la médecin. Si bien que, pour elle et beaucoup de militantes, la décision de la Cour suprême ne diminuera pas le nombre d'avortements, mais augmentera le nombre de femmes mortes d'avoir voulu se faire avorter clandestinement. Sans protection, sans encadrement sanitaire. 

"J'encourage tout le monde à voir le film L'Évènement d'Audrey Diwan, pour qu'on voit comment ça se passait quand le droit à l'avortement n'existait pas", commente Monique Lemoine. Dès qu'elle a entendu la nouvelle venue d'outre-Atlantique, la directrice du planning familial du Loiret s'est tout de suite demandé : "Qu'en sera-t-il pour l'Europe, pour la France, est-ce que ce droit va perdurer ?" Inquiète, elle estime que "tout ce qui se passe aux États-Unis se diffuse ailleurs dans le monde 5-10 ans plus tard".

Alors le droit à l'IVG en France, datant de la loi Veil de 1975, est-il menacé ? Lorsque La France insoumise proposait lors de la précédente mandature, de constitutionnaliser le droit à l'avortement, la majorité macroniste répondait que ce n'était pas la peine. Mais, depuis la décision de la Cour suprême, le paradigme a changé. Si bien que la présidente du groupe Renaissance à l'Assemblée, Aurore Bergé, a déposé samedi 25 juin une proposition de loi pour inscrire ce droit dans la Constitution. "Je ne suis pas contre, ça sera toujours ça de pris, mais on ne sera pas à l'abri", estime Monique Lemoine.

Un droit menacé... en France ?

Rappelant une citation célèbre de Simone de Beauvoir, elle estime que "les droits des femmes sont menacés par chaque crise politique". Et, pour elle, les dernières législatives en sont un signe annonciateur. "On a 89 députés RN, vous connaissez leurs positions...", souffle-t-elle. Officiellement, le parti d'extrême-droite conserve une certaine ambiguïté. Il y a dix ans, Marine Le Pen dénonçait des "avortements de confort", avant de se policer et de placer son parti sur la ligne du statu quo : le RN ne reviendra pas sur la loi Veil.

Pas de quoi lisser les convictions des parlementaires, notamment celles des petits nouveaux de 2022. En Centre-Val de Loire, la députée du Loiret Mathilde Paris s'était en effet fendue, en 2018, d'un tweet accompagné d'une échographie d'un fœtus de deux mois et demi : "Je ne suis pas un amas de cellule mais un bébé", écrivait-elle alors. "Aujourd'hui, on peut mettre fin à ma vie", ajoutait Mathilde Paris, pour qui "il est temps de lever l'omerta qui entoure l'avortement". À noter que, à deux mois et demi, un fœtus fait entre trois et une dizaine de centimètres.

Conscientiser la jeunesse

Ces propos, Monique Lemoine les trouve un peu trop courants à son goût :

J'ai encore entendu hier quelqu'un dire que trop de femmes considèrent l'avortement comme un moyen contraceptif. Non. Toutes les femmes qui ont avorté s'en souviennent, et aucune ne l'a fait de gaité de cœur.

Monique Lemoine, co-présidente du planning familial du Loiret

Pour elle, il vaut mieux "arrêter avant d'avoir un enfant pas élevé et pas aimé". Ce constat est partagé par deux jeunes femmes, venues parler contraception avec les agentes du planning familial d'Orléans. "C'est le corps d'une femme, elle a le droit de faire ce qu'elle veut", lance l'une. L'autre dit avoir eu "peur" après la décision américaine. "On a l'impression qu'on nous enlève des droits, qu'on régresse.

Pour que ce droit ne disparaisse pas de France, Monique Lemoine plaide pour une solution : l'éducation. "C'est à l'école qu'on peut apprendre, faire réfléchir, conscientiser les jeunes sur les rapports que nous devons avoir les unes avec les autres, plaide-t-elle. Il n'y a que ça pour changer les mentalités. Parce que les lois, elles, se font et se défont. Tout ça, c'est une histoire de domination masculine.

À l'heure actuelle, elle dit avoir du mal à imaginer que ce droit soit rayé de la loi française. Pareil pour sa collègue médecin Laurence Wittke, qui pratique des IVG au planning familial depuis 20 ans. Mais, dans un tel cas, elle souffle à demi-mot : "C'est tellement un droit fondamental pour les femmes, pour leur parcours de vie, qu'on serait en résistance." Pour continuer à accompagner les milliers de femmes qui souhaitent avorter. Ainsi, en France, une femme sur trois aurait recours à l'avortement au cours de sa vie.

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