Déconventionné par l'Assurance Maladie le 21 août dernier pour fraude, le centre de santé Alliance Vision d'Orléans a fermé ses portes. Les salariées qui y travaillaient depuis deux ans n'ont pas été rémunérées pour le mois d'août et n'ont pas non plus été licenciées. Elles se retrouvent aujourd'hui dans l'impasse sans salaire et sans possibilité de chercher un autre emploi. Témoignage de deux de ces salariées qui continuent à se rendre chaque jour au centre, boulevard de Verdun à Orléans.
Elles sont 5 sur les 10 salariées du centre de santé Alliance Vision d'Orléans à se rendre chaque matin sur leur lieu de travail boulevard de Verdun à Orléans. Pourtant, le centre de santé est fermé depuis le 21 août dernier suite au déconventionnement de l'Assurance maladie pour fraude pour une durée de cinq ans. "Nous venons pour se soutenir mutuellement, mais aussi parce que nous n'avons pas confiance en notre employeur. Il pourrait nous accuser d'avoir abandonné notre poste alors que nous sommes toujours sous contrat et que nous ne sommes pas licenciées officiellement", explique Olivia*, une des salariées du centre de santé.
Secrétaire médicale, assistante dentaire, assistante cardiologie, orthoptiste... au total, ce sont onze salariés dont quatre médecins qui n'ont pas été rémunérés depuis fin juillet.
Elles ont frappé à toutes les portes avant de solliciter les médias, mais se retrouvent dans une impasse. "On a contacté l'inspection du travail, Pôle emploi, le tribunal de commerce, les Prud'hommes. Ils nous disent tous de porter plainte et de prendre un avocat pour réclamer ce qu'on nous doit. Mais sans salaire, comment voulez-vous que nous prenions un avocat ?", s'insurge Olivia, épuisée par la situation.
Des bulletins de paie sans versement de salaire
"Nous avons reçu des bulletins de salaire au mois d'août avec des montants erronés et sans date de virement", raconte Sandrine*, autre salariée du centre Alliance Vision d'Orléans. "Quand on demande pourquoi ces bulletins de salaire ne sont pas assortis de virement à notre employeur, il nous répond qu'il faut être patiente et que leurs avocats ont l'habitude de gérer ce genre de litiges. Et surtout qu'on arrête de poser des questions".
Mais des questions, les salariées toujours sous contrat s'en posent : "Pourquoi n'ont-elles pas été payées ? Pourquoi aucune procédure n'a été lancée au tribunal de commerce ? Pourquoi n'ont-elles pas reçu des documents attestant leur licenciement qui leur permettrait de s'inscrire à Pôle emploi ?
"La seule solution que nous avons est de démissionner. Mais si on fait ça, on perd tout. Nous voulons être licenciées ou au moins qu'il y ait une procédure de liquidation judiciaire au Tribunal de commerce," attend Olivia*. "S'ils avaient déposé le dossier au tribunal en temps voulu, la liquidation judiciaire serait prononcée et l'AGS, le régime de garantie des salaires, pourrait être déclenchée. Là, il ne se passe rien. On nous promet que ça va venir depuis des semaines et nous sommes dans l'impasse".
Ces semaines sont insoutenables pour ces salariées. Elles se sentent prises au piège d'une situation qui les dépasse et dont elles sont le dommage collatéral. "On est comme des poupées de chiffon qu'on ballotte. On n'y est pour rien. Ce sont eux qui ont fait la fraude. La CNAM a fait son boulot en déconventionnant les centres. Mais nous les salariées, tout le monde s'en fiche. C'est invivable", se désespère Olivia *.
Des salariées à bout psychologiquement
Le moral des salariées est au plus bas. "Quand on se retrouve au centre le matin, il est fréquent que nous craquions. Mes collègues et moi sommes à bout psychologiquement. On n'a pas d'aide externe. La direction dit qu'elle nous comprend, mais on doit payer nos factures sans salaire et sans visibilité", confie Sandrine*, au bord des larmes.
"J'ai peur que l'une d'entre nous ne fasse une bêtise. Certaines parlent de suicide. Vous vous rendez compte. On a pioché ce qu'on pouvait dans le peu d'épargne qu'on avait. Mais on n'a plus rien. C'est tellement injuste. Notre seul espoir est de médiatiser notre situation. Ce que nous souhaitons, c'est juste d'être payées pour notre travail et de pouvoir passer à autre chose. Là, nous sommes coincées et c'est insupportable", s'épuise Olivia*.
Nous avons contacté le responsable de l'association ACMO prestataire de service d'Alliance Vision à Orléans. Nous attendons ses réponses à nos questions.
Les centres Alliance Vision emploient 470 salariés en France.
Rappel des faits : les centres Vision Alliance déconventionnés pour fraude à l'Assurance Maladie
Le 21 juillet 2023, la Caisse nationale d'assurance maladie a annoncé le déconventionnement de treize centres de santé du réseau. Un déconventionnement appliqué au 21 août 2023 pour cinq ans. La CNAM reproche aux centres ophtalmologiques et dentaires du groupe Alliance Vision d'avoir facturé à la Sécurité sociale des actes que ses médecins n'avaient jamais réalisés ou des actes totalement injustifiés. Cette chaîne privée, qui propose à la fois des soins ophtalmiques et dentaires, est soupçonnée d'avoir mis en place un système de fraude à l'assurance maladie pour une somme estimée à plus de 20 millions d'euros.
Pour l'Assurance maladie du Loiret, le préjudice est évalué à 160 000 euros pour l'ophtalmologie et à 42 000 euros pour le dentaire.
Dès l'annonce la CNAM, Alliance Vision a contesté "vigoureusement" les reproches et la sanction dont il était l'objet et disait avoir l'intention de saisir "dès à présent les juridictions administratives compétentes afin d'obtenir la suspension de l'exécution des décisions" de l'Assurance maladie, selon un communiqué de son avocat Patrick Atlan, transmis à l'AFP.
Le 27 juillet 2023, l'association ACMO, centre de santé Alliance Vision, déposait une requête en référé auprès du Tribunal administratif d'Orléans pour demander l'annulation de la décision de la Caisse nationale d'Assurance maladie.
Le 23 août 2023, la juge des référés du Tribunal administratif d'Orléans rejetait la requête de l'association ACMO. "Les moyens invoqués par l’association (…) ne paraissent pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée », confirmait-elle dans son ordonnance en date du 23 août 2023.
*Les prénoms ont été changés. Les salariées du centre Vision Alliance souhaitent rester anonymes. Elles craignent que leur témoignage ne leur soit reproché en cas de procédure de licenciement.