Plus de 125 000 femmes excisées vivent en France. Pourtant, elles sont souvent invisibles, car le sujet est encore tabou. À Orléans, une unité spécialisée de la maison des femmes s'apprête à voir le jour. Plongée dans le parcours d'une femme excisée.
"C'est une façon de me libérer", si Mariama réussit à parler de son histoire aujourd'hui, c'est après de longues années de combat pour se retrouver. Le jour où on lui a volé une partie de son corps, elle s'en souvient très bien, "j'avais 10 ans, je m'en rappelle comme si c'était hier, je revois encore le couteau" raconte-t-elle dignement.
"C'est ignoble, je ne sais même pas comment le qualifier"
Mariama, victime d'excision
Elle évoque rapidement le mariage auquel elle a été forcée, laissant deviner les violences sexuelles qui ont suivi. "On se cache derrière la religion, mais ce n'est écrit nulle part qu'il faut exciser les petites filles".
Assise dans son canapé, Mariama vit aujourd'hui dans un appartement avec son fils. Entourée d'un salon impeccablement rangé, elle revient sur les trois années qui lui ont été nécessaires pour se reconstruire.
Sortir de l'ignorance pour comprendre
"Je savais que j'avais subi une excision, mais pas ce qu'ils avaient coupé". Ce n'est qu'à son 2e rendez-vous avec une gynécologue, en France, qu'elle est amenée à prendre un petit miroir, et se regarder "là j'ai vu que quelque chose manquait". Il existe trois formes d'excisions, la plus importante étant l'ablation complète du clitoris.
A son arrivée en France en 2018, elle comprend que son mal-être vient de ce qu'elle a subi, "je me suis rendue compte que j'avais un blocage". "Le plaisir, la santé sexuelle, je ne savais pas ce que c'était" explique-t-elle aujourd'hui.
C'est à Paris qu'elle rencontre les premières associations, et prend les contacts qui lui permettent d'avancer sa réflexion. Elle arrive ensuite à Orléans, mais continue de se rendre en Île-de-France pour suivre les soins.
Combattre le tabou pour avancer
Mariama vit d'abord en foyer, au milieu d'autres femmes qui ont parfois subi le même traumatisme qu'elle. Pourtant, elles n'échangent pas : "C'est un tabou entre femmes en Afrique, on ne parle pas de l'excision, ni de la reconstruction". Lorsqu'elle commence le parcours, c'est aussi un sentiment de culpabilité qui l'envahit. Les regards de ses paires pèsent très lourd : "C'est comme si je trahissais les autres femmes". La plupart étaient encore convaincues du bien-fondé de cette tradition.
En Guinée, là où Mariama a grandi, être excisée est le signe de devenir une femme comme les autres, respectable. Quitte à souffrir le martyre pendant un accouchement, ou ne jamais ressentir quelconque plaisir pendant les relations sexuelles. "Quand on vit 20, 25 ans comme ça, ce n'est pas simple de passer à autre chose".
La reconstruction passe par la patience
D'abord impatiente, elle comprend rapidement que le chemin va être long. La reconstruction est psychologique, gynécologique, et ensuite, chirurgicale.
Aujourd'hui je dois m'approprier mon nouveau corps. Parce que oui, je suis en entier maintenant, mais j'en fais quoi ?
Mariama, victime d'excision
"Ce n'est pas facile de se dire qu'on va toucher de nouveau à cette partie de mon corps" se souvient la jeune femme. "Mon compagnon m'a beaucoup accompagné" explique-t-elle. Le temps a été parfois long, accompagné de doutes, d'envies de renoncer. Finalement, elle estime que ces passages ont été nécessaires, et se demande si elle aurait apprivoisé son corps de la même manière, en allant plus vite.
Néanmoins, la reconstruction chirurgicale ne sera pas la bonne solution pour toutes. Certaines ne sont pas prêtes, ou pourront accéder à une certaine sérénité au quotidien sans cette étape.
Se réapproprier une féminité inconnue
Son regard sur la féminité n'est désormais plus le même : "Je voyais la femme comme un objet de désir". La sexualité était alors de l'ordre du devoir, "quelque chose à faire pour mon mari". "Là-bas, on ne dit pas 'J'ai envie de toi à un homme'" poursuit-elle. Désormais, elle se sent "libre". L'opération n'est pas "magique". "Tout ne va pas mieux en un mois" insiste Laure, sage-femme à la maison des femmes d'Orléans. Sur 200 femmes accompagnées, seules la moitié passe par la chirurgie.
Je voulais juste être une femme tout simplement. Une femme comme les autres.
Mariama, victime d'excision
Le cas de Mariama n'est pas isolé. "Plus de 125 000 femmes excisées vivent sur notre territoire" déclarait Isabelle Lonvis-Rome, alors ministre déléguée à l'égalité entre les femmes et les femmes, en juin 2023. Elles sont nombreuses, comme Mariama, à aller en région parisienne pour bénéficier d'un accompagnement global, grâce à la maison des femmes. "J'ai eu de la chance d'avoir une marraine, une femme blanche, qui a parfois payé pour mes trajets". Beaucoup renoncent, manque de moyens.
Au planning familial du Loiret, situé à Orléans, Mariama continue d'être bénévole. Elle participe et coanime un groupe de parole où elle estime avoir vu passer au moins 80 autres femmes concernées.
Développer des parcours de soins adaptés
"On voit des femmes concernées tous les jours" affirme Aissata, aide soignante. A la maison des femmes d'Orléans, quatre sages-femmes et aide soignante s'apprêtent à ouvrir une unité dédiée à l'accueil et au soin des femmes victimes d'excision. La convention avec le CHRU est en cours d'élaboration et toutes espèrent voir ouvrir cette unité le plus vite possible.
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Mariama s'est parfois retrouvée face à l'ignorance des praticiens. Dans les témoignages qu'elle recueille, les parcours sont souvent plus pénibles que le sien, et elle voudrait que cela change.
Aissata est aide soignante "ça fait 12 ans que je suis en salle de naissance, j'ai parfois rencontré des femmes qui ne savaient pas qu'elles étaient victimes". Au moment de l'accouchement, l'excision peut engendrer des complications.
Un parcours global et local
En consultation, cette Sénégalaise est souvent en binôme avec des sages-femmes en consultation, notamment pour aider à la traduction, et vulgariser des termes parfois techniques liés à l'excision.
Elles restent néanmoins toutes conscientes d'être au sein d'un département en proie au désert médical. L'unité n'accueillera, au début, pas de chirurgien sur place. En revanche les femmes qui le souhaitent pourront prendre rendez-vous avec une sage-femme, psychologue ou encore une assistante sociale. "On voudrait pouvoir tout faire à Orléans" confie Aissata.
Laure est sage-femme à l'hôpital, les premières consultations sont avant tout "pour savoir quel est le parcours des femmes, quel type d'excision elles ont subi. Ce n'est pas forcément une consultation gynécologique". Il faut souvent d'abord discuter, désamorcer, expliquer "avec des mots, tout simplement".
Les femmes victimes d'excision sont invisibilisées tout le temps.
Marine, sage-femme au CHRU d'Orléans
Ce projet d'unité spécialisée a été pensé avant la crise sanitaire du Covid-19, puis repoussé. Une sage-femme sera ainsi dédiée à recevoir des femmes pendant 10% de son emploi du temps dans les premiers mois, ce qui représente une journée de consultations tous les quinze jours. Toutes espèrent pouvoir avoir les ressources humaines et financières de faire plus, rapidement.
Des petites filles encore excisées dans le monde
Mon corps, mes choix ♀💪
— Excision, parlons-en ! (@excisionparlons) July 7, 2022
Chaque année, des milliers de jeunes filles risquent l’excision lors d’un séjour dans leur pays d’origine ou celui de leurs parents. Prévenir, c'est les protéger. C'est faire respecter leurs droits et préserver leur avenir. pic.twitter.com/IQk9xlMdYe
L'accompagnement passe aussi par une sensibilisation envers les femmes reçues. Laure explique : "Quand j'ai une femme excisée en consultation, je lui demande le sexe du bébé. Si c'est une fille, je l'encourage à ne pas reproduire cette pratique". De l'autre côté de la Méditerranée, "des petites filles meurent" rappelle Marine. Pour Mariama, c'est aussi aux petits garçons qu'il faut apprendre "que la femme n'est pas un objet".
Souvent, les petites filles sont emmenées dans un pays d'origine, parfois accaparées par la famille, sans l'autorisation nécessaire des parents, pour être excisées. Une pratique qui peut concerner les enfants de 3 ans jusqu'aux adolescentes de 15 ans.
À la maison des femmes, le parcours de soins des femmes qui souhaitent y accéder sera gratuit. Pris en charge par la sécurité sociale, mais aussi par les dons apportés à l'association.