La monnaie locale complémentaire, un outil qui peine à s’affirmer pour dynamiser l’économie de proximité

Reconnues depuis 2014 comme moyen de paiement légal en France, les monnaies locales complémentaires (MLC) peinent à sortir du lot en Centre-Val de Loire. Pourtant, leur objectif est dans l’air du temps : promouvoir l’économie de proximité.

Connaissez-vous le Gabare, la Lignière, le Méreau ou encore le Passeur ? Ce sont les noms des monnaies locales complémentaires (MLC) que l’on trouve en Centre-Val de Loire. Leurs objectifs : promouvoir les circuits courts, renforcer l’économie locale et porter des valeurs éthiques et solidaires. Et justement, depuis plus d’un mois, le confinement crée chez les consommateurs une envie de retour au local, qu’il s’agisse d’alimentation ou d’autres produits. Zoom sur la monnaie locale, cet outil qui peine à se développer dans la région pour dynamiser l’économie de proximité.
 
Mais au fait, comment fonctionne une monnaie locale ? Gérées par des associations qui organisent leur circulation sur un territoire donné, les MLC sont destinées aux seuls échanges de biens et services entre adhérents du réseau : les consommateurs d’un côté et les prestataires (commerçants ou entreprises) de l’autre. Chaque unité de monnaie équivaut à un euro. Nos euros s'échangent ainsi contre des Gabares, des Lignières, des Méreaux ou des Passeurs auprès d'un commerce partenaire appelé "bureau de change". Attention, on ne parle pas de billet, mais de coupon : une monnaie locale peut être comparé à un ticket restaurant, à un chèque vacances ou à un bon d’achat.
 

En quête du circuit-court

Vincent Touzeau est agriculteur et co-fondateur du Passeur, la monnaie locale qui se développe timidement sur le territoire de Châteauneuf-sur-Loire (Loiret) et ses alentours depuis 2018. Avec la mise en place du confinement, cet agriculteur est particulièrement sollicité pour la vente directe de ses produits, au même titre que de nombreux producteurs locaux de France. “Nous n’étions absolument pas préparés à ce flot de clients, beaucoup ont du mal à faire face à cette demande en termes de productions”, explique-t-il. 

En effet, du jour au lendemain, les producteurs, mais aussi les marchands et les commerçants ont dû trouver des solutions pour perdurer : livraisons de paniers, des marchés à la ferme, des points‐relais, de la vente en ligne… Sans véritable coordination structurée. “L’avantage d’une monnaie locale bien implantée, c’est qu’elle peut véritablement permettre de s’organiser pour vendre en circuits courts sur un territoire donné”, détaille Vincent Touzeau. Pour l’instant, le Passeur compte 150 adhérents et une trentaine de prestataires. “On essaie de se faire connaître et de se développer, mais ça avance doucement”, reconnaît l’agriculteur.
 
 

Entre 30 000 et 40 000 gabares en Touraine

Dans la région Centre-Val de Loire, c’est la Gabare qui est la monnaie locale la plus développée : entre 30 000 et 40 000 gabares circulent en Touraine. Atteignant jusqu’à 500 adhérents, la gabare rassemble aujourd’hui 260 fidèles. Pour Bruno Olivier, membre de l’association, “2016 a été le boom des monnaies locales, en même temps que la sortie du documentaire Demain (N.D.R.L du militant écologiste Cyril Dion, 2015) dans une dynamique où tout le monde voulait changer les choses”. Mais selon lui, “la dynamique du gabare ne s’est pas entretenue. Aujourd’hui, ça s’est calmé, on a une moindre visibilité.”

Pour autant, la Gabare a donné des idées à ses voisins du Loir-et-Cher. En janvier, un protocole a en effet été signé pour permettre à l’APMLC 41 (Association pour une monnaie locale dans le Loir-et-Cher) d’utiliser et de développer la Gabare sur son territoire. “On a été stoppé dans notre développement par l’arrivée de la crise sanitaire”, regrette Brigitte Mélay, co-fondatrice de l’association. Avant de poursuivre : “Mais dès la fin du confinement, nous comptons nous mettre en relation avec des commerçants et des particuliers prêts à nous suivre dans cette aventure !” Brigitte Mélay est confiante : “Les gens retournent aux petits producteurs. Et faire communauté, cela semble important dans les temps qui vont venir.”
 


Un outil pour “reprendre le pouvoir”

Le système de monnaie locale peut permettre de stimuler l’activité plus écologique et responsable. Le consommateur est ainsi incité à cibler les emplois, les entreprises ou les commerces qui peuvent recevoir cette monnaie près de chez lui. “C’est la garantie d'une utilisation éthique de la monnaie qui ne servira pas à financer de l’agriculture intensive de l’autre côté de la planète”, illustre Cindy Mulhem membre de l'Association Equilibre Monnaie-Terre, à l'origine du Méreau en Gâtinais (voir plus bas).

Une monnaie qui peut donc avoir un sens citoyen. Dominique Fleurat, administratrice de la MLCC (monnaie locale complémentaire et citoyenne) en Berry le confirme : “Chaque citoyen reprend une parcelle pouvoir de l’utilisation qu’il peut faire de son argent”. Dans le Berry, la Lignière a vu le jour il y a quatre ans. Et cette petite monnaie est devenue un peu plus grande : d’abord développée dans le Cher, l’Indre a suivi le pas. “Cela avait du sens en terme d’identité”, précise Dominique Fleurat. La Lignière compte aujourd'hui une quarantaine de prestataires et une centaines d'adhérents.
  


Un cercle vertueux entre entreprises

Alors, à l’échelle d’un territoire, le but de la monnaie locale serait de recréer une forme d’autonomie de l’approvisionnement, alimentaire ou pas. La monnaie locale peut agir comme une véritable micro-filière avec des entreprises échangeant entre elles localement : “je peux vendre mon blé à un meunier qui fait de la farine, qui la vend au boulanger et qui va me vendre son pain”, illustre Vincent Touzeau, agriculteur et co-fondateur du Passeur. Après avoir adopté cette monnaie, il a par exemple changé de fournisseur pour la papeterie de son exploitation, privilégiant un utilisateur du Passeur.

Dans certains villages où le commerce est sinistré, la monnaie locale peut être une vraie lueur d’espoir. “Pour un commerçant, adopter le Passeur signifie qu’il y a potentiellement 150 personnes qui peuvent venir faire les courses chez lui”, poursuit l’agriculteur. “C’est un moyen d’être plus fort contre la grande distribution qui capte beaucoup de clients au détriment des commerces de proximité.”
 

Un soutien pendant la crise sanitaire

Sur le bassin de vie de Montargis (Loiret), le Méreau est utilisé par 105 adhérents et 31 prestataires. Au total, ce sont sont plus de 9 000 méreaux qui circulent depuis sa création il y a quatre ans. Pour se faire connaître et aider les plus fragiles, l’association Equilibre Monnaie-Terre qui a créé cette monnaie, propose des solutions à ceux que la crise sanitaire liée au coronavirus met en difficultés. 
 

D’abord, avec l’opération “Méreau solidaire” permettant aux adhérents ou non de l’association de régler des bons d’achats à l'un des dix prestataires les plus en difficulté. “Pour la majorité, ils ont moins de revenus, voire pas du tout”, explique Cindy Mulhem, membre du comité de pilotage de l’association. “Ils continuent à avoir des charges à payer. Ils ont davantage besoin d’euros que de méreaux.” 

À cette aide destinée aux professionnels, s’ajoute un soutien pour les consommateurs : les “adhésions suspendues”. Sur le même principe du café suspendu (payer deux cafés laissant ainsi un café suspendu à celui qui ne peut pas se le payer), l’adhésion suspendue permet d’offrir une adhésion d’un montant de dix euros à quelqu’un en difficulté.

Selon une mission d’étude sur les monnaies locales complémentaires et les systèmes d’échange locaux, une monnaie locale circule sept fois plus vite qu’une monnaie nationale. Reste à savoir si ces initiatives sauront toucher un public plus large à la sortie de la crise sanitaire.
 
L'eusko basque, la monnaie la plus populaire
En France, une cinquantaine de monnaies locales complémentaires ont été créés depuis les années 2010 après la crise économique. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a favorisé leur émergence, en reconnaissant leur statut. La plus populaire des monnaies locales de l’Hexagone reste l’eusko, lancé en 2013 dans le Pays basque, avec plus d’un million et demi d’eusko en circulation début 2020, plus de 3 800 adhérents particuliers, et un réseau de plus de 1 000 professionnels
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