Plus de trois mois séparent les deux tours, un délai inédit engendré par la pandémie de Covid-19. Pierre Allorant, spécialiste de l'histoire du droit et politologue orléanais, revient sur les alliances entre candidats durant cette période d'entre-deux tours particulière.
Jamais une période d’entre-deux tours n’aura été aussi longue. Initialement prévu le 22 mars, le second tour des élections municipales aura lieu ce dimanche 28 juin dans les communes qui n’ont pas élu leur maire au premier tour, comme à Orléans, Bourges ou encore Tours.
Pour le spécialiste de l'histoire du droit et politologue orléanais Pierre Allorant, ce délai inédit a surtout permis à certains candidats d’apaiser les tensions et de modifier ou d'amplifier les dynamiques du premier tour. “Dans un entre-deux tours classique, ils ont 24 heures pour savoir s’ils fusionnent ou non, c’est une décision dans l’immédiat.” Avec le confinement et la crise sanitaire de Covid-19, 70 jours se sont écoulés entre le premier tour et le dépôt des listes pour le second tour.
Le temps long a apaisé quelques tensions
Rappelons que lorsqu'un second tour est nécessaire, les listes peuvent être modifiées avec des candidats ayant figuré au premier tour sur d'autres listes, sous réserve qu'elles aient obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés et que celles-ci ne se présente pas au second tour. À Orléans, l’alliance entre la liste écologiste et citoyenne de Jean-Philippe Grand et la liste emmenée par le binôme Baptiste Chapuis (PS) et Dominique Tripet (PCF) “aurait été plus compliquée s’ils n’avaient eu que 24 heures pour nouer une alliance”, selon Pierre Allorant. “Le délai inédit a fait paraître leur alliance comme une évidence, ce qui n’était pas le cas auparavant.”
Face à cette liste de gauche, le candidat LR Philippe Mousny a fait alliance in extremis, juste avant le dépôt des listes pour le second tour, avec le maire sortant Pascal Blanc (Mouvement radical). Et la première chose qui saute aux yeux au sein de cette liste d'union, c'est la position du maire sortant qui se retrouve à la 19e position. Une solution inattendue pour le politologue Pierre Allorant. “Le maire sortant s’est en quelque sorte pratiquement effacé. Ici, il semble que le temps long et l’alliance n’ont pas apaisé toutes les tensions !”
Autre retournement de veste soudain : Yann Galut (PS) à Bourges qui a fait alliance avec Irène Félix (DVG). “Il y avait de très fortes tensions héritées d’une rivalité de longue date entre eux”, analyse le politologue, pour qui “le temps semble avoir permis d’apaiser leurs tensions en se répartissant les responsabilités.” En cas de victoire, Yann Galut sera maire et Irène Félix visera la présidence de Bourges Plus. Une promesse qui n’est cependant pas garantie : “Galut soutiendra Félix pour être candidate mais il n’est pas certain que la liste qui l’emporte ait forcément la majorité à Bourges Plus”, explique Pierre Allorant. “Les autres communes de Bourges Plus votent plutôt à droite.”
Une alliance face à la poussée verte à Tours
À Tours, les choses ont également changé pendant l'entre-deux tours. Si le maire sortant Christophe Bouchet (Mouvement radical) faisait déjà un appel du pied au candidat LREM Benoist Pierre, la période longue“a permis de stabiliser leur alliance pour faire face au danger de la liste menée par le Vert Emmanuel Denis”, selon Pierre Allorant. À quatre semaines du scrutin, le maire sortant a su manoeuvrer avec le candidat LREM, une alliance indispensable pour remporter la mairie.
En face, le candidat de l'union de la gauche et des écologistes Emmanuel Denis est en avance de dix points et bénéficie de la poussée verte à l'échelle nationale, renforcée par la crise sanitaire, avec l'envie d'une ville durable plus respecteuse de l'environnement qui s'impose chez les électeurs.“Les écologistes ont de très grandes chances de remporter pour la première fois des villes comme Marseille, Toulouse et Lyon, où LREM s'est écroulé", précise Pierre Allorant.
Y aura-t-il un effet Covid sur les élections ?
Si l'on connaissait la prime aux sortants, cet avantage aux maires déjà en place en course pour leur réélection, peut-on parler d'un effet Covid ? Pour Pierre Allorant, la gestion de la crise sanitaire du maire sortant ne change pas son image auprès de la population. Il s’appuie sur l’exemple de la capitale tourangelle. “Si Christophe Bouchet est arrivé en cours de mandat en 2017, les Tourangeaux ont eu le temps de se faire une idée : il a lancé des projets mais aucun ne semble avoir vraiment abouti. Par ailleurs, il y a eu beaucoup de divisions dans la municipalité. Certes, la crise lui a peut-être permis d’apparaître comme plus gestionnaire mais cela ne change pas fondamentalement les choses.”
À Orléans, le délai de l'entre-deux-tours et la nécessité de répondre à la crise sanitaire ont donné naissance à deux polémiques. L’une sur la distribution de masques de l’ancien maire et candidat Serge Grouard, jetant un doute sur la régularité du financement de sa campagne. L’autre concernant son rival, le maire sortant Olivier Carré, qui s'affiche en avril à la une du numéro d'Orléans.mag, la publication mensuelle de la ville d'Orléans, portant un masque. “Ici, la crise a considérablement aggravé les tensions entre ces deux listes”, constate le politologue, avant d'ajouter :“Face à cette cacophonie, il peut y avoir un ras-le-bol de l’électeur, ce qui pourrait favoriser la troisième liste, à savoir celle de Jean-Philippe Grand.”
Reste la grande inconnue : le taux de participation. Au premier tour, seuls 44,66 % des électeurs s’étaient déplacés dans les bureaux de vote en France. Seront-ils plus nombreux au second tour ? Et comment se répartira ce réservoir de voix ? Réponse ce dimanche 28 juin.