PÉDOCRIMINALITÉ. "Aujourd'hui, on est pris au sérieux " : ces associations citoyennes qui traquent les prédateurs en ligne et les dénoncent à la justice

Ils sont parents, grands-parents, victimes de violences sexuelles et intrafamiliales et font la chasse aux pédocriminels sur les réseaux sociaux. Des actions au départ mal accueillies par les autorités policières et judiciaires mais qui, aujourd'hui acceptent davantage l'aide de ces associations citoyennes face à l'ampleur de la tâche.

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Neila* est femme de ménage le jour et le soir venu, passe de longues heures devant son écran d'ordinateur. Connectée sur les réseaux sociaux sous un pseudonyme d'enfant, elle attend les "prédateurs" qui mettent généralement peu de temps à l'aborder. "Ça commence toujours par bonjour comment tu vas ? Comment tu t’appelles ? Quel âge tu as. Ils sont tous pareils là-dessus", commente cette mère de trois enfants.

En 2019, elle a cofondé la Team Moore, le premier collectif citoyen en France créé dans le but de traquer et dénoncer les pédocriminels qui sévissent sur internet. Cinq ans plus, tard, le collectif est devenu une association qui compte plus de 50 membres. "Quand j'ai créé seule mon premier profil d'enfant virtuel, j'ai été effarée de voir qu'en à peine deux heures j'avais reçu au moins 10 demandes de contact. J'ai réalisé que l'ampleur du phénomène était tel qu'il fallait que l'on soit plus nombreux et organisé."

"Ils viennent naturellement. On ne va jamais les chercher"

La Team Moore revendique aujourd'hui le signalement d'au moins 250 prédateurs sexuels en France et la condamnation de près d'une centaine d'entre eux. Un chiffre approximatif puisque l'association n'est pas toujours mise au courant des suites données à leurs alertes. De son côté, La team Eunomie, crée, elle, en 2020 et qui compte une cinquantaine de bénévoles, affirme avoir fait condamner 105 personnes en 4 ans. "On est une vraie association, on fait aussi de la prévention dans les collèges et les lycées. On met aussi en place une formation à destination des parents pour qu’ils apprennent à leurs enfants à bien utiliser les réseaux", détaille Shiva* son fondateur.

Deux associations mais un même mode opératoire : Dissimulés derrière de faux profils de petites filles ou de petits garçons, les citoyens attendent que les pédocriminels mordent à l'hameçon. Aucun réseau social n'est oublié. Facebook, X (Ex-Twitter), Tik-Tok, mais aussi les sites de jeu en ligne comme Roblox et Fortnite abritent tous des prédateurs. "Ils viennent naturellement. On ne va jamais les chercher. Il ne faut pas les inciter. C’est pour prouver que les enfants ne font rien et qu’on leur envoie des propositions sexuelles sans rien demander. Si c'était nous qui les abordions, on pourrait être accusé d’incitation au délit et le dossier n’aurait aucune valeur juridique", explique Shiva.

Des prédateurs de tous âges et de tous les milieux sociaux

Au fil des discussions, des éléments s'accumulent et pourront ensuite servir de preuves. "Ça peut être des propos comme : "J’ai envie de toi ? Est-ce que tu as envie que je sois ton premier ?". Ils envoient aussi des photos ou des vidéos de pénis ou d'eux en train de se masturber jusqu’à l’éjaculation", détaille Shiva, aujourd'hui blindé à l'exercice, même s'il reconnaît qu'au début "C'était compliqué. On ne savait pas comment réagir. Moi quand j'ai commencé, je ne pensais pas recevoir ce genre de choses." D'autant que l'horreur peut parfois atteindre des summums. Neila raconte qu'elle reçoit aussi parfois des images à caractère pédopornographique. "C'est pour inciter l'enfant à faire la même chose et lui faire croire que c’est normal. Ces dossiers-là, on les transfère à la justice en urgence. Et même si on est habitués à voir ça, il y a une colère permanente chez nous."

Vient ensuite un long et laborieux travail de localisation et d'identification. La team Eunomie a démasqué majoritairement des hommes, de tous âges et venant de milieux sociaux variés. "Très récemment, on a fait condamner un monsieur d’un peu plus de 60 ans qui contactait des enfants du même âge que ses petits-enfants et leur envoyait de la pédopornographie. On a aussi de jeunes pères qui disent que leur femme ne les intéresse plus et qu'ils préfèrent les femmes plus jeunes." Neila elle, classe les prédateurs en trois catégories : Les pervers qui vont parler de sexualité très rapidement et faire des propositions - Les anges gardiens qui jouent avec les sentiments de l'enfant pendant des mois pour qu'il tombe amoureux mais au final, ont les mêmes intentions (avoir des photos de l'enfant nu, obtenir une rencontre…) - Et enfin "les faux enfants", "Ce sont les plus dangereux", prévient-elle. "Vous avez une panoplie de pédocriminels qui créent de faux comptes d'enfants, qui parlent comme des enfants, qui utilisent des photos de profils d'enfants et quand ils donnent des rendez-vous, malheureusement, ce sont des adultes qui viennent."

La Team Eunomie affirme actuellement traquer près de 300 personnes en Centre-Val de Loire

Une fois les dossiers suffisamment étoffés, les associations citoyennes signalent les profils à la justice ou déposent directement plainte auprès du procureur de la République. La Team Eunomie affirme avoir fait plus de 400 signalements dans toute la France mais reconnaît que souvent, "beaucoup de prédateurs ne peuvent pas être retrouvés". Une goutte d'eau dans l'étendue du web quand on sait que l'association dit traquer actuellement 300 profils sur la seule région Centre-Val de Loire. Neila affirme avoir signalé 11 cas dans la région, essentiellement aux parquets de Tours, Orléans, Chartres et Châteauroux, avec parfois des poursuites à la clé et même des condamnations. En juillet dernier, un homme de 19 ans piégé par la Team Moore a notamment été condamné à deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Châteauroux.

Ces initiatives citoyennes semblent donc aujourd'hui porter leurs fruits mais n'ont pourtant pas toujours été vues d'un bon œil par la justice. D'autant qu'à ses débuts, la Team Moore piégeait les pédocriminels en se rendant aux rendez-vous donnés par les prédateurs pour les démasquer. "On a fait ça pour amener les autorités à se saisir du problème", défend Neila, "Elles ne nous écoutaient pas et en plus nous menaçaient de prison en nous disant qu’on agissait hors la loi. Aujourd’hui les choses ont vraiment changé. On n’a plus besoin de faire de rencontre physique parce qu'on est pris au sérieux. Quand j’envoie un signalement une enquête est ouverte ce qui n’était pas le cas avant." Un avis partagé par Shiva qui a aussi vu les rapports de son association avec les forces de l'ordre évoluer au fil des ans "Un gendarme nous a même remerciés et félicités en nous disant que ce qu’on avait fait leur avait fait gagner beaucoup de temps."

"Malheureusement, c’est un puits sans fond"

En 2021, 85 millions de contenus pédocriminels ont été identifiés sur internet et ce chiffre tend à doubler chaque année. "Malheureusement c’est un puits sans fond", reconnaît Thierry Guiguet-Doron, directeur départemental de la sécurité publique dans le Loiret. "Avec le développement des réseaux sociaux et d'internet, le nombre de délinquants et criminels est assez énorme. On est de mieux en mieux équipés et on fait de plus en plus de patrouilles, mais plus on est nombreux plus on a de chance d’interpeller les prédateurs." Pour lui, les associations citoyennes sont donc une aide bienvenue "qui semble fonctionner plutôt bien", même s'il reconnaît qu'au départ, il se méfiait des gens "qui se prennent pour des shérifs."

La DDSP, Direction Départementale de la Sécurité, du Loiret aimerait tout de même voir la pratique d'avantage encadrée, ne serait-ce que pour "éviter des vices de procédures et pourquoi pas former les bénévoles". Un souhait également revendiqué depuis des années par les collectifs. En octobre dernier, le ministre délégué chargé du numérique Jean-Noël Barrot a annoncé la création d'une "réserve citoyenne du numérique" qui "regroupera les citoyens et les associations qui s'engagent quotidiennement pour pacifier internet et leur permettra d'accéder à certains dispositifs de l'Etat." Neila, qui a été reçue au ministère, voit dans ce projet l'opportunité d'avoir accès à des canaux dédiés pour effectuer plus rapidement les signalements de l'association et "officialiser une collaboration qui existe déjà". 

*Les noms ont été modifiés

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