Politique : Entre colère, passion et dialogue, les maires du Centre-Val de Loire se confient sur leur fonction

A l'occasion du 101e congrès des maires, qui se déroule du 20 au 22 novembre, nous avons demandé à plusieurs édiles de la région leur ressenti sur l'exercice de la fonction, sur leur relation avec l'Etat et sur l'absence d'Emmanuel Macron à leur réunion annuelle.

"A force de porter des coups contre les maires, la République s'abîme". Le message du président de l'association des maires de France (AMF), François Baroin, a le mérite d'être explicite. Il révèle également le ressenti qui domine au sein de la communauté des 35 357 édiles municipaux du pays : le désarroi.

A l'occasion du 101e congrès des maires de France, qui a lieu du 20 au 22 novembre, l'AMF a donc décidé d'exprimer, un peu plus que d'habitude, ses désaccords avec la politique menée par le président de la République, Emmanuel Macron, et le gouvernement du Premier Ministre, Edouard Philippe (diminution des dotations, baisse et/ou exonération de la taxe d'habitation, loi NOTRe...).

Des sourcils en "V" (et pas celui de la victoire) d'autant plus pointus sur le visage des maires que le chef de l'Etat n'a pas pointé le bout de son nez à la réunion, alors qu'il s'était engagé à le faire annuellement durant son quinquennat.

Pour se rattraper, Emmanuel Macron a invité, mercredi 21 novembre, 2000 maires à l'Elysée pour se livrer à un jeu de questions-réponses. Une soirée qui peut se résumer à une opération séduction devant un public méfiant. "Je sais que votre quotidien n'est pas facile, celui du gouvernement ne l'est pas davantage", a-t-il assuré, multipliant plaisanteries et clins d'oeil en direction des élus. Il s'est également voulu fédérateur : "Il faut partager la contrainte [...] On a une responsabilité commune, c'est d'être ensemble".

 

Deux tiers des maires désapprouvent la réorganisation des services déconcentrés de l'Etat

Ensemble, oui indiquent les maires, mais en aucun cas avec la politique actuelle. Selon une enquête AMF-CEVIPOF, dans laquelle 4657 (7141 de manière incomplète) des 35 357 maire des France ont été interrogés : 75% d'entre eux voient d'un mauvais oeil les changements introduits par la loi NOTRe et 68% désapprouvent la réorganisation des services déconcentrés de l'Etat.

"​​​​La décentralisation est une liberté. Les communes ne sont pas des succursales de l'Etat", a appuyé François Baroin lors de la journée inaugurale du 101e congrès.

Autre point de désaccord important entre les maires et l'exécutif national80% des édiles municipaux considèrent que l'intercommunalité a beaucoup d'influence sur leur commune. Alors que 25% pensent que leur commune exerce une influence sur l'intercommunalité. D'après le rapport, cette "relation asymétrique" met en exergue "la perte d'autonomie ressentie et vécu par plusieurs maires", qui ont "l'impression d'être relégués aux fonctions d'officier d'état civil".
 

50% prêts à abandonner

Enfin, bien que l'étude souligne à plusieurs reprises qu'on ne peut pas véritablement parler de "malaise" des maires, il signale que "les édiles des petites communes expriment plus fortement les difficultés d'exercice de leur mandat". Ainsi, un an et demi avant les prochaines élections, 49% des maires élus en 2014 ne souhaiteraient pas se représenter en 2020 en voulant "abandonner tout mandat électif".

Un constat plus alarmant dans les communes de moins de 500 habitants. Dans ces territoires essentiellement localisés en milieu rural, la part des édiles prêts à envisager l'abandon de leur mandant s'élève à 55% ! Ils ne sont que 9% a répondre de la même manière pour les villes de plus de 30 000 habitants.
Les principales raisons invoquées : la volonté de privilégier sa vie personnelle et familiale (71%), le sentiment d'avoir rempli son devoir civique en assumant la fonction de maire (52%), l'exigence des administrés (37%) et le manque de moyens financiers (33,9%).



Qu'en est-il des élus de la région Centre-Val de Loire ? Comment vivent-ils leur fonction de maire ? Approuvent-ils la politique de l'Etat ? Que pensent-ils de l'absence d'Emmanuel Macron à leur congrès ? Nous avons interrogé plusieurs d'entre eux afin de savoir.
 

.André Laignel - Maire d'Issoudun (PS - Indre) - Vice-président de l'AMF

Sur l'absence du président au 101e congrès des maires de France :
"Le président a fait le choix de ne pas respecter ses engagement puisqu'il avait qu'il viendrait chaque année devant le congrès des maires de France. Il avait dit qu'il viendrait pour faire le point sur ses engagements. Mais comme il n'en a tenu aucun tout au long de cette année, il a sans doute eu peur de la page blanche."

Sur la fonction de maire et la politique de l'Etat : 
"Nous avons la nécessité d'affirmer clairement et hautement que l'AMF défend chacune des communes. C'est un combat car il s'agit de défendre nos territoires. Nous n'acceptons pas que le gouvernement, voire le président de la République, mette en cause l'avenir de nos communes. Qu'on continue à nous étouffer financièrement, qu'il y ait une véritable recentralisation mise en oeuvre par le gouvernement et qui retire, peu à peu, les moyens d'actions qu'attendent nos concitoyens pour que nous puissions répondre à leurs attentes."

"Il y a une lassitude, une certaine tristesse, qui  parfois se transforme en colère, car nous avons le sentiment qu'il y a une forme de dédain, voire de mépris, de la part du gouvernement."

 

.Gil Averous - Maire de Châteauroux (LR - Indre) 

Sur l'absence du président au 101e congrès des maires de France :
"Non, je n'irai pas à la réception pour quelques maires tirés sur le volet à l'Elysée", a déclaré le maire de Châteauroux, Gil Avérous, sur le plateau de Public Sénat le 21 novembre. "Lors du 100e congrès des maires, le président de la République avait pris un engagement qui était celui de revenir cette année pour faire le bilan des actions et des discussions entre l'exécutif et les élus locaux et il ne respecte pas sa parole", a éclairé l'édile cette fois-ci en direct de notre JT 19/20 du 21 novembre.
"Il ne respecte pas cette promesse vraisemblablement, car son bilan n'est pas satisfaisant et qu'il n'a pas eu envie de se confronter au courroux, à la lassitude et à l'agacement des maires". Quelque peu contradictoire, il a poursuivi en expliquant que le chef de l'Etat "aurait dû respecter cette tradition républicaine et les élus l'auraient accueilli sagement".

Aller à l'Elysée pour manger des petits fours quand les Français expriment leur ras-le-bol, je trouve ça un peu indécent


Gil Avérous a estimé que se rendre à "l'Elysée sous les ordres de la République pour manger des petits fours", alors que dans le même moment "les Français expriment leur ras-le-bol", était quelque chose "d'un peu indécent". ​​​​​​

Sur la fonction de maire et la politique de l'Etat :
"Aujourd'hui, on n'a pas de vision politique de l'avenir. On ne sait pas où le président veut nous conduire, on ne sait pas quelles sont les étapes à franchir pour y arriver. Parallèlement, on subit au quotidien la désindustrialisation, la réduction des services publics. Le tout s'additionnant toujours au détriment de nos territoires ruraux."

"On nous annonce une suppression de la taxe d'habitation dont on sait très bien que le gouvernement n'a pas le premier euro pour compenser le manque de recette que nous allons subir dès cette année et qui va s'intensifier sur les années à venir."

"A Châteauroux, comme pour l'immense majorité des collectivités, les difficultés sont la baisse des dotations. Cela s'évalue à 4 millions d'euros de baisse par an pour Châteauroux [...] Et évidemment, ça a un impact sur la qualité des services publics"


.Olivier Carré - Maire d'Orléans (Sans étiquette - Loiret)

Sur l'absence du président de la République au 101e congrès des maires des France :
"Je pense qu'il devrait y aller. Premièrement, car le dialogue entre le président et les maires est indispensable. Il ne faut pas qu'il y ai de déconnexion entre l'Etat et les collectivités, car en France, les deux entités sur lesquelles les Français estiment qu'ils peuvent et doivent compter sont le président et le maire. Donc plus il y aura un dialogue entre le chef de l'Etat et les collectivités, plus la France se transformera vite et bien"

"Je ne dis pas qu'il faut suivre les yeux fermés le gouvernement, mais il ne faut non plus créer un 'club des élus'. Il ne faut pas opposer collectivités et l'Etat. Il faut chercher des chemins pour faire la courte échelle aux Français pour plus de progrès. Même si c'est loin d'être facile."


Le dialogue entre le président et les maires est indispensable


Sur la fonction de maire et la politique de l'Etat
"En tant que maire d'Orléans, je ne ressent pas de malaise. Cependant, il est vrai, que je le rencontre chez des collègues de communes plus petites. La situation des maires des grandes villes n'a rien à voir avec celle des maires des petites villes."

"Les maires des communes plus rurales et plus petites sont confrontés plus directement aux demandes de la population. Parallèlement, ils ont l'impression d'être désaisi de leur fonction d'élu municipal par l'Etat et l'intercommunalité auprès de leurs administrés. De tout ça, ressort le sentiment d'être démuni face à une demande des habitants."
 


Yves Beuchon - Maire de La-Chapelle-Saint-Ursin (DVG - Cher)

Sur la fonction de maire et la politique de l'Etat : 
Pour le maire de La Chapelle-Saint-Ursin (3400 habitants) depuis 1989, il y a avant tout deux constats sur l'évolution de l'exercice de sa fonction : "Le premier point, c'est que tout est instable ! En 1989, tout était stable et tranquille, les règles étaient claires et durables. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas et cela nous empêche d'avoir de la visibilité et de pouvoir nous projeter".

Si les maires avaient plus de pouvoir, il y aurait moins de gilets jaunes


"Le second point, c'est qu'il y a une perte de compétences considérable de notre fonction. On ne gère quasiment plus rien. Nous n'avons plus la compétence de l'eau et de l'assainissement, du plan d'urbanisme local (PLU)... On nous ballote et on ne fait que subir la politique de l'Etat. On subit également l'indifférence de ceux qui sont au-dessus (administration de l'Etat, administration régionale, les métropoles...). Le maire ne pèse rien du tout. La liberté des maires, c'est la liberté du peuple. Si les maires avaient plus de pouvoir, il y aurait moins de gilets jaunes"

La liberté des maires, c'est la liberté du peuple


"Quand on accumule tout ça, je peux comprendre certains collègues qui sont à bout. Moi, je suis passionné et la seule chose qui pourra me faire partir, c'est la limite d'âge (rires)".

Sur l'absence du président de la République au 101e congrès des maires :
"Il s'est fait prendre lui-même par son excès d'engagement. Mais pour moi, il s'agit néanmoins d'un épi phénomène."
 

.Wilfried Schwartz - Maire de La Riche (PS - Indre-et-Loire) - Référent emploi de l'AMF

Sur l'absence du président de la République au 101e congrès des maires :
Invité sur le plateau de LCI, Wilfried Schwartz a proposé au chef de l'Etat à "venir échanger avec les élus au congrès des maires". "Comme il s'y était engagé", n'a pas manqué de rappeler l'élu. Sur Twitter, le maire de La Riche a affiché sa position en partageant le tweet de l'AMF citant François Baroin [citation du début de l'article].

Sur la fonction de maire et la politique de l'Etat :
Il y a presque un an jour pour jour, le 20 novembre 2017 alors que s'ouvrait le 100e congrès de maires de France, l'édile de La Riche déclarait déjà au micro de Sud Radio : "Ce qu’on reproche au président de la République et au gouvernement, c’est cette volonté d’un pouvoir central qui remet en cause la décentralisation. Il y a aussi un sentiment de colère et de résignation de maires en zone rurale, périurbaine et aussi urbaine".
 

Frédéric Cuillerier - Maire de Saint-Ay (DVD) - Président des maires du Loiret

Sur l'absence du président de la République au 101e congrès des maires :
Frédéric Cuillerier faisait partie des milliers de maires, dont 15 du Loiret à avoir été conviés par le président de la République à l'Elysée. Le maire de Saint-Ay a cependant décliné l'invitation. "Je n'irai pas", a répondu l'édile au micro de nos confrères de France Bleu. "Je considère que si le président de la République souhaite parler aux maires, il doit parler à tous les maires et non pas à quelques-uns qui ont été choisis pour venir à l'Elysée". "Il ne vient pas à notre congrès, contrairement à ses engagements. Il y a un très fort mécontentement au sein des maires de France".

Les maires se demandent parfois ce qu'ils ont à faire

Sur la fonction de maire et la politique de l'Etat :
"La fonction de maire fait toujours rêver, mais il y a des difficultés, qui tiennent notamment à la loi NOTRe, qui a basculé un certains nombre de compétences vers les intercommunalités. Ils se sentent dépossédés d'un certain nombre de pouvoirs et d'un moyen d'être utiles. Ils se demandent parfois ce qu'ils ont à faire", a dénoncé l'édile toujours au micro de nos confrères.

"Il y a eu aussi des baisses financières extrêmement importantes qui ont eu lieu depuis 2014 et qui font que certains budgets sont difficiles à boucler. [...] C'est toute une série d'abandons de l'Etat."
 

Isabelle Maincion - Maire de La Ville-aux-Clercs (UDI - Loir-et-Cher)

Contrairement à son confrère loirétain, Isabelle Maincion s'est rendue à l'Elysée pour rencontrer et écouter Emmanuel Macron. Elle était également présente au 101e congrès des maires Porte de Versailles, à Paris. Elle s'y est essentiellement exprimée en tant que co-présidente du groupe de travail "Restauration scolaire" de l'AMF.
Nombre de communes en Centre-Val de Loire
Centre-Val de Loire : 1776
Cher : 287 (au 1er janvier 2019)
Eure-et-Loir : 373
Indre : 243
Indre-et-Loire : 272
Loir-et-Cher : 276
Loiret : 325
*Chiffres issus des associations des maires de chaque département de la région Centre-Val de Loire

Lexique :
.Loi NOTRe : Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République

.Compétence de l'eau et de l'assainissement :  À partir de 2020, la compétence eau et assainissement actuellement assurée par la commune, sera transférée  à une communauté de communes, une communauté d’agglomération, une métropole ou une communauté urbaine, selon le centre d'information sur l'eau et la banque des territoires, site de la caisse des dépôts.
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