Dans un rapport publié le 23 octobre, la Cour des comptes épingle à la fois SNCF Mobilités et certaines régions pour leur impréparation à l'ouverture à la concurrence du réseau TER, qui pourrait commencer dès l'année prochaine. La région s'avère pourtant exemplaire à plusieurs titres.
Les TER coûtent-ils trop cher au contribuable ? Alors que l'ouverture à la concurrence des lignes de trains express régionaux doit avoir lieu au plus tard en 2023, un rapport de la Cour des comptes pointe l'insuffisance de la préparation de SNCF Mobilités et de plusieurs régions, dont le Centre-Val de Loire. Comme l'Occitanie, la Bourgogne-Franche-Comté et la Bretagne, la région Centre-Val de Loire n'a pas "souhaité, à ce stade, prévoir de calendrier et de modalités d'ouverture à la concurrence", note le rapport.
Les conclusions de la Cour des comptes arrivent à un moment de tension au sein de la SNCF, alors que le personnel a déposé le week-end dernier un droit de retrait ayant entraîné d'importantes perturbations. Ce dernier intervenait après l'accident d'un TER dans la région Grand Est, dans lequel le conducteur, au comportement exemplaire malgré sa blessure, était le seul personnel SNCF à bord.
Transports express régionaux #TER : la Cour formule neuf recommandations pour améliorer la qualité de service, maîtriser les coûts d’exploitation et préparer l’ouverture à la #concurrence https://t.co/ZdOMdMeMz4 #train #SNCF #région
— Cour des comptes (@Courdescomptes) October 23, 2019
Près de 7 milliards d'euros à trouver d'ici 2028
Point central du rapport, la fréquentation et la qualité des services offerts par les TER se sont dégradés au niveau national, avec de fortes disparités régionales, voire d'une ligne à l'autre, alors que le coût pour le contribuable augmente. Si les grèves de 2014, 2016 et 2018 ont "aggravé les difficultés de gestion rencontrées par l'exploitant", la dégradation de la qualité du service est surtout imputable au "mauvais état des infrastructures" et aux "conséquences sur la ponctualités des trains de l'accroissement des travaux de rénovation".Pour François Bonneau, président de la région Centre-Val de Loire, la "négligence du gestionnaire" est la principale responsable de cet état de fait, qui a forcé les régions à prendre une part plus active dans le renouvellement des infrastructures appartenant à la SNCF. Et de rappeler dans sa réponse à la Cour qu'en Centre-Val de Loire, "la région s'engage à prendre à sa charge 50% du montant de la remise à niveau de ces lignes". "Cette négligence du gestionnaire d'infastructure a conduit à ne pas inscrire au CPER 2015-2020 des lignes aujourd'hui menacées de fermeture." Une précision qui met en exergue le conflit latent entre les régions et le réseau ferroviaire public :
La Cour des comptes, "Les transports express régionaux à l'heure de l'ouverture à la concurrence", p.79SNCF Mobilités étant encore en situation de monopole, les conventions qu'elle conclut avec les régions sont souvent déséquilibrées en sa faveur
Plus grave encore, des travaux nécessaires depuis plusieurs décennies pour permettre le bon fonctionnement des infrastructures n'ont pas été réalisés à temps par les pouvoirs publics, alors même que l'activité TER, malgré des coûts d'exploitations croissants (4,1 milliards d'euros en 2017), dégage une "marge opérationnelle élevée" (231 millions d'euros la même année) pour SNCF Mobilités. Alors que les régions ont investi 2,1 milliards d'euros dans les infrastructures entre 2012 et 2017, "SNCF Réseau évalue les besoins d'investissements pour restaurer les performances nominales" des lignes régionales à "6,9 milliards d'euros d'ici 2028".
Également évoqué par le rapport, le régime spécial des retraites des cheminots pèse quant à lui "seulement" 600 millions d'euros sur les coûts de l'activité TER, soit 2,35% des 8,5 milliards d'euros que coûte l'activité TER au total.
Une qualité de service qui se dégrade
Ces problèmes liés aux infrastructures ont entraîné un affaiblissement de la qualité du service. De 2012 à 2018, le taux de régularité du service (les trains arrivés avec moins de 6 minutes de retard) s'est dégradé, passant d'environ 92% à moins de 90,5%. Dans la même période, le taux de non-réalisation du service a explosé, passant de 2% à plus de 12%."Les causes de cette trop faible régularité et de cette dégradation sont multiples", note la Cour des comptes, qui remarque toutefois que 23% sont imputables à SNCF Réseau (incidents et problèmes de gestion de la circulation) et 40% sont "liés à l'exploitant en raison de matériel défectueux, d'absences ou de retard des personnels ou d'un défaut d'organisation de l'activité".
A ce titre, la région Centre-Val de Loire s'en sort un peux mieux que la moyenne nationale, avec 91,5% de régularité en 2017, même si ce chiffre tend à baisser (89,7% en 2018). Mais ce taux varie fortement d'une ligne à l'autre, et même selon l'heure de la journée : "les clients de la ligne Paris-Châteaudun ont vu le service se dégrader avec un taux de seulement 80,4% de trains réguliens en 2017 contre 89,3% en 2015." Sur la ligne Paris-Chartres-Le Mans, une moyenne de 90% masque un taux de régularité de seulement 85% aux heures de pointe.
Toujours dans l'optique d'une ouverture à la concurrence et d'une "rationalisation" des coûts, la Cour des comptes pointe dans son rapport la baisse flagarante du coût des abonnements, qui font davantage payer le service TER aux contribuables via des subventions qu'aux usagers eux-mêmes. Sur un total des coûts de 8,5 milliards d'euros en 2017, les financements publics couvrent 7,5 milliards, soit 88%. 3,9 milliards de cette somme viennent directement de la poche des régions.
La délicate équation du prix du billet
Ce niveau de financemement public lui paraît "très élevé", d'autant que les régions, Centre-Val de Loire en tête, n'ont eu de cesse de diminuer le prix des billets et des abonnements dans l'espoir d'attirer plus d'usagers. La région aurait "fait le choix de baisser toujours plus les tarifs du TER, transférant davantage la charge vers le contribuable".Que nenni, rétorque François Bonneau : "Une baisse de la tarification n'entraîne pas nécessairement une augmentation de la charge sur le contribuable du fait du phénomène d'induction." Autrement dit, l'attractivité de coûts plus bas sur certains publics devrait permettre de mieux remplir les trains et "conduire à une augmentation des recettes sans augmentation des coûts".
Pour ce qui est de ce dernier point, les chiffres semblent donner raison à François Bonneau : entre 2017 et 2018, l'attractivité des TER en région Centre, puis Centre-Val de Loire a augmenté de 30,5%, une hausse soutenue par le nombre de voyageurs occasionnels recourant aux billets plutôt qu'aux abonnements. Sur la même période, les recettes directes du trafic dans la région ont augmenté de près de 85%. La région est donc la seule où le taux de couverture des coûts de fonctionnement a augmenté, passant de 30 à 37%.
Faut-il contraindre la SNCF ?
"La plupart des régions ont encore peu pris conscience des enjeux de l'ouverture à la concurrence et surtout des moyens à mettre en oeuvre pour réussir les futures opérations d'appel d'offres", note cependant la Cour des comptes. Citant en annexe les exemples de la Suède, l'Allemagne ou encore la Suisse, la Cour évite d'aborder le cas du Royaume-Uni, où la privatisation du transport ferroviaire a fait exploser les prix tout en diminuant la qualité du service.Concernant la Suisse, la Cour insiste sur les avantages de l'ouverture à la concurrence et de la mise "sous pression" de l'opérateur historique "afin qu'il obtienne les résultats attendus" (p.128). Troisième pays européen en nombre de kilomètres parcourus en train par habitant et par année, l'État français fera-t-il lui aussi le choix de mettre le service ferroviaire sous pression pour atteindre le résultat désiré ?
Pour en savoir plus sur les recommandations de la Cour des comptes, retrouves le reportage de Rebecca Benbourek et Yves Le Bloa :