Témoignages. Une agriculture bas-carbone est-elle encore possible ? 7700 agriculteurs consultés partout en France

Publié le Écrit par Bertrand Mallen
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Un rapport du think tank The Shift Project, publié ce 28 novembre, révèle les pistes et les difficultés de la transition écologique à laquelle fait face l'agriculture, pour préserver les revenus des exploitants tout en cessant de mettre en danger l'environnement.

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Comment mangerons-nous demain ? Alors que l'Assemblée nationale vient de rejeter le traité de libre-échange avec le Mercosur, et que les agriculteurs manifestent une nouvelle fois pour alerter sur la fragilité de leurs filières, la question semble bien éloignée du quotidien.

Et pourtant : entre effondrement climatique catastrophique et produits chimiques dont on commence seulement à admettre la dangerosité, la transformation en profondeur de l'agro-alimentaire semble inévitable. Seul problème : la manière de réaliser cette transition vers un modèle qui, a minima, ne détruit plus la nature et ne menace pas la santé des consommateurs, est loin d'être évidente.

Des modèles vertueux... qui ne séduisent plus

C'est pour répondre à cette interrogation que l'association The Shift Project a consulté depuis le mois de juin plus de 7700 agriculteurs, et publie ce 28 novembre un rapport issu de leurs retours d'expérience. Parmi eux, certains ont entamé une transition vers un modèle vertueux, quand d'autres n'ont pas encore sauté le pas. D'autres encore se cherchent, obligés parfois de rebrousser chemin par la loi du marché et le manque de soutien.

C'est le cas de Stéphane Malot, éleveur laitier à Saint-Quentin-sur-Indrois, entre Loches et Chenonceau. Avec 110 vaches et 220 hectares de culture pour leur alimentation, il est passé au bio en 2018, dans l'espoir de décrocher un meilleur prix pour son lait. "On voulait vendre cher pour ne pas avoir à vivre des aides", explique-t-il. "Ça n'a pas marché. On reste hyper dépendants des aides. On a de très grosses variations d'une année à l'autre, c'est impossible de sécuriser le système."

Si le pouvoir d'achat était resté constant, on serait restés en bio.

Stéphane Malot, éleveur laitier

En effet, depuis, les charges ont explosé, et la consommation du bio est en berne. La consommation annuelle de gazole non routier (GNR) pour ses engins agricoles est passée de 25 000 à 35 000 litres et l'alimentation des bêtes en bio est devenue extrêmement compliquée tandis que la rentabilité a reculé. En 2025, son exploitation repassera donc en "conventionnel". 

Retourner au bio à l'avenir ? Très peu pour lui. Outre le surplus de travail et la rentabilité douteuse, l'éleveur a fini par en avoir par-dessus la tête des cahiers des charges stricts du bio. "Les inspecteurs passent un temps monstrueux à nous emmerder pour des détails, pour une rature sur une étiquette", s'agace-t-il.

"On se demande si on n'était pas mieux quand on était salariés !"

Si c'était à refaire, Sophie Siméant, elle, n'hésiterait pas à sauter le pas d'une agriculture plus responsable. Installée depuis 12 ans en grandes cultures à Corbeilles, dans le Loiret, son exploitation s'est associée à une autre ferme familiale pour créer la SAS Graines au vent, en 2019. En 2019, la société se diversifie et choisit de faire de la transformation (elle vend ses propres pâtes) et d'exploiter les légumes secs.

Ce fonctionnement a au moins deux avantages, explique-t-elle, "d'une part il y a l'intérêt agronomique : la rotation diminue les parasites, ou en tout cas évite de les concentrer en ne faisant pousser qu'une seule plante". Et d'autre part, la valorisation de ses produits lui permet "d'aller en direct vers le consommateur, et de fixer nos prix".

Pour autant, "quand on voit le temps qu'on y passe, et la rentabilité, on se demande si on n'était pas mieux salariés !" constate Sophie Siméant. Pour elle, la structure actuelle de l'agriculture française rend toute tentative de transformation difficile et souvent risquée. "Les conditions de marché de l'agriculture française ne permet pas aux acteurs de s'engager dedans", estime-t-elle. 

C'est une prise de risque. Quand on se lance dans le bio on se prend des gamelles !

Sophie Siméant, agricultrice

Cette expérience se confirme dans les données. Selon la consultation menée par le Shift Project, seuls 7% des agriculteurs déclarent ne pas vouloir s'engager dans la transition, mais 87% posent une condition financière pour s'y engager ou l'accélérer.

Sans compter l'actualité brûlante du traité avec le Mercosur, qui menace de faire arriver sur le marché français des produits moins chers, et non soumis à ces mêmes réglementations. "N'importons pas l'agriculture qu'on ne souhaite pas produire", lance Stéphane Malot, citant un slogan lu sur l'un des tracteurs mobilisés contre ce traité. "On ne peut pas être compétitif face à des gens qui n'ont pas les mêmes règles et produisent des choses qu'on n'accepterait pas dans notre alimentation", renchérit Sophé Siméant.

Un système à réinventer

De fait, la transition est une affaire risquée, et la généraliser s'avère ardu. Ainsi, en termes d'impact sur les milieux, "les alternatives techniques sont ambivalentes : le travail mécanique non polluant contribue à l'érosion des sols, a un impact sur la faune du sol et consomme plus de carburant, alors que le recours à la chimie, moins énergivore, présente des risques de toxicité pour l'utilisateur et la biodiversité", résume le rapport. 

L'idéal de l'agriculture biologique de conservation est difficile à mettre en œuvre, voire impossible pour certaines productions

Rapport de The Shift Project, 28 novembre 2024

Alors, comment sortir de l'impasse ? C'est précisément le but que s'est donné The Shift Project avec la grande consultation lancée au mois de juin, complétée par 70 entretiens qualitatifs. Le rapport publié ce 28 novembre explore plusieurs scénarios à l'horizon 2050, qui tous demandent une planification importante et des objectifs ambitieux.

À terme, le but principal sera de concilier la souveraineté alimentaire, une dépendance énergétique moindre et le maintien des capacités à exporter. Réduire, voire éliminer la dépendance aux énergies fossiles est par exemple un objectif qui "semble atteignable à l'horizon 2050, en particulier avec l'utilisation des biocarburants", estiment par exemple les auteurs.

En revanche, cela n'arrivera qu'en soutenant financièrement la transition avec des investissements massifs, et en encadrant le marché. Tout l'inverse donc d'une dérégulation qui laisse les distributeurs faire la loi sur les prix. La simplification administrative et le renforcement de la commande publique font aussi partie des leviers importants pour sécuriser les agriculteurs.

Il faut dire qu'aux yeux de la grande majorité des agriculteurs, les gouvernements successifs ne sont pas au rendez-vous. 86% d'entre eux demandent par exemple "que les objectifs nationaux de l'agriculture française soient clarifiés". "On fait des rustines pour calmer les gens", estime Sophie Siméant. "Mais si on veut préserver l'agriculture, il faudrait la sortir de ces logiques de marché."

De fait, si tous les agriculteurs sont d'accord pour changer le système, le visage d'une agriculture enfin transformée est loin de faire consensus. "La question, c'est de savoir comment on passe à une exploitation avec un plus faible impact sur l'environnement, tout en continuant à vivre de notre métier", résume l'agricultrice.

"L'agriculture, pour être durable, doit apprendre à laisser des couverts et des sols tout le temps, et limiter les interventions de pesticides", abonde Stéphane Malot. "Des sols vivants." Or, même avec la meilleure volonté du monde, les exploitants sont encore vite rattrapés par la réalité du marché et le poids des réglementations. 

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