"On va avoir des agriculteurs qui vont lâcher" : la crise agricole touche aussi le bio

À cause de l'inflation, le bio n'a plus la côte chez les Français. Dans les assiettes, la part des produits biologiques est passée sous la barre des 6 %, soit moitié moins que dans d'autres pays européens. Conséquence dans le Berry : les surfaces agricoles consacrées au bio sont en baisse, car des agriculteurs se déconvertissent.

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"Pour l'instant nous n'avons que les chiffres de 2023, mais 2024 s'annonce pire. On a à la fois une perte de marché, mais aussi des agriculteurs qui ont lâché, qui se sont déconvertis". Le constat d'Etienne Gangneron, Président de la Chambre d’agriculture dans le Cher mais aussi éleveur bovin et cultivateur de céréales en agriculture bio à Vasselay est inquiétant.

Entre 2022 et 2023, les surfaces agricoles bio ont baissé de 4,2 %, soit 1000 hectares de moins dans l'Indre. Dans le Cher, c'est une baisse de 1,4 %. Des baisses qui s'expliquent par un phénomène de déconversion des agriculteurs, qui rebasculent dans l'agriculture dite conventionnelle.

Des déconversions principalement en viticulture

"Ce n'est pas une évasion très massive. Il y a des secteurs qui se déconvertissent plus vite que d'autres et notamment la viticulture. Il y avait eu un effort important dans le Cher. On était arrivé à pratiquement 1500 hectares en viticulture et là on a perdu 3 à 4 % en 2023. En 2024 avec le mildiou qui a été assez terrible en viticulture en général, mais encore plus en bio, on s'attend à de nouvelles déconversions."

Pour les autres secteurs, les déconversions, plus complexes, sont moins courantes. "Revenir au schéma conventionnel d'avant, acheter à nouveau des approvisionnements, des intrants alors qu'on avait un système plus autonome et plus sobre, ce n’est pas évident. Il faut par exemple refaire des crédits, etc. C'est pour ça qu'en grande culture par exemple on est à peine à 2 % de déconversion en 2023".

Mais la très mauvaise année 2024 pourrait encourager d'autres agriculteurs à quitter le bio. "La récolte de 2024, notamment les moissons, était très mauvaise en bio. Je pense que cet l'hiver, on va avoir des agriculteurs qui vont lâcher ". 

Ces déconversions s'expliquent notamment avec l'inflation. Les produits bio ont augmenté de 8 % en 2023. C'est pourtant 4 % de moins que la hausse des produits conventionnels.

"Avec la lutte pour le pouvoir d'achat, beaucoup de consommateurs se sont détournés du bio. C'est assez préoccupant parce qu'on pensait qu'on avait installé dans l'esprit du consommateur une volonté d'aller sur de la consommation plus favorable à l'environnement. En réalité il y a encore tout à faire", déplore Etienne Gangneron qui est en agriculture biologique depuis 27 ans.

Le changement climatique n'épargne pas non plus le bio. "Au quotidien, c'est très pénalisant pour le bio, même si c'est paradoxal, car le bio est une des réponses à ce changement climatique. Mais des épisodes très pluvieux ou très chaud sont très pénalisants pour les cultures. En viticulture face au mildiou, il n'y a pas de produits de synthèse, il n'y a que de la bouillie bordelaise, du soufre et du cuivre. Sur une année très pluvieuse avec beaucoup de maladies cela ne protège pas... donc il y a une perte de récolte conséquente. C'est la même chose en céréales".

Le secteur du lait, très impacté

Certains secteurs n'ont même plus du tout de débouchés, par exemple les céréales ou le lait. "Dans le Cher, l'entreprise Tribala à Rians paye le lait conventionnel pratiquement au prix du bio. C’est-à-dire que les opérateurs bio n'arrivent plus à avoir les débouchés et les marchés qu'ils avaient auparavant".

Au niveau national, près de 30 % du lait bio serait déclassé. Un phénomène qui peut aussi s'expliquer par le désengagement des supermarchés sur le bio. "Dès 2021 quand ça a commencé à peiner, ils ont réduit leur linéaire de manière considérable. Ils avaient mis 20 ans pour les augmenter et en seulement six mois ils les ont divisés par 5". En 2023, les supermarchés ont en effet supprimé 10 % de références bio, les remplaçant notamment par leurs marques distributeurs.

Le Président de la Chambre d'agriculture du Cher poursuit : "Quand le consommateur lambda se dit que le bio c'est peut-être un peu cher, mais qu'en plus il n'en trouve pas, il n'en achète plus". Étienne Gangneron n'imaginait pas un tel retour en arrière. 

Sur les dix dernières années, la France était devenue le premier pays d'Europe en termes de surface bio, 3e marché mondial au niveau consommation.

Etienne Gangneron, éleveur bio et Président de la Chambre d'Agriculture dans le Cher

"On pensait que ça allait être une croissance régulière, que petit à petit on allait encrer ses habitudes de consommation nouvelle... C'est vraiment préoccupant".

La vente en direct tire son épingle du jeu

Seul rempart face au désamour des français pour le bio, la vente en direct qui tire son épingle du jeu. Les Français ont repris le chemin des fermes pour s'approvisionner directement chez le producteur, avec un bond de 8,7 % des ventes en 2023. Vincent Mesnildrey, Gérant de la SCEA Les Jardins d'Escofine dans le Cher s'est installé en 2020 et ne fait depuis que de la vente en direct sur les marchés. "Sur une activité maraîchère avec une petite surface comme la mienne, la vente directe est un avantage. On subit moins les cours du marché que si je vendais mes récoltes à un grossiste, etc."

Mais le maraîcher bio confie toutefois ressentir lui aussi les effets de la crise que traverse actuellement le monde agricole. "L'activité agricole reste dure, que ce soit physiquement, mentalement également, mais il faut s'accrocher. C'est vraiment un métier passion". Sur la vente en direct, Étienne Gagneront nuance : "Elle repart surtout dans les zones où il y a beaucoup de consommateurs. Ça marche mieux autour d'Orléans ou de Tours où il y a beaucoup de magasins, mais c'est plus difficile à Bourges. En tout cas ça ne compense pas ce qu'on a perdu en 2021".

L'indre compte 5,2 % de surfaces agricoles exploitées en bio. Dans le Cher, c'est 6,3 %. Le département d'Indre-et-Loire reste celui où la surface agricole bio est la plus élevée de la région Centre-Val de Loire avec 15,4 % de fermes du département engagées en bio

Agence bio

La loi Egalim, l'espoir de relancer le bio ?

"On a laissé les agriculteurs bio prendre des risques, sans les accompagner, notamment en termes de développement et de recherche Il faut trouver des solutions techniques pour que notre système bio soit plus résilient au changement climatique, de nouvelles variétés plus résistantes, etc."

Un constat d'autant plus inquiétant que dans les départements du Cher et de l'Indre, les taux de surfaces exploités en bio étaient déjà en retard par rapport aux objectifs nationaux qui visent atteindre 21 % de surface agricole bio au niveau national. Mais il reste de l'espoir. "Avec le retour des enfants dans les cantines en septembre, on a vu le marché repartir un peu. Il y a quand même des agglomérations qui jouent au jeu de la loi Egalim malgré les contraintes budgétaires".

Cette loi a fixé pour objectif de mettre dans les assiettes de la restauration collective 50 % de produits locaux dont 20 % de produits bio. "Malheureusement au niveau national, on est à moins de 10 % en termes de respect de la loi par les collectivités. Mais si la loi était respectée, une partie de la crise serait résolue".

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