Alors que la Confédération paysanne est mobilisée depuis le 12 novembre, la FNSEA et les JA annoncent une journée nationale ce lundi 18 novembre contre le traité de libre-échange entre l'Union européenne et les pays d'Amérique du sud réunis au sein du Mercosur. La Coordination rurale prévoit une "révolte agricole" à partir du 19 novembre.
Neuf mois après la dernière gronde du monde paysan marquée par le blocage des autoroutes en janvier et février 2024, les agriculteurs comptent à nouveau se faire entendre.
En cause, le traité de libre-échange entre l'Union européenne et les pays d'Amérique du sud réunis au sein du Mercosur qui sera discuté lors du G20 qui s'ouvre ce 18 novembre au Brésil.
Le Mercosur est l’abréviation de marché commun du sud. Il s’agit d’un marché commun néolibéral créé en 1991 qui se situe principalement en Amérique du Sud.
Que prévoit le projet d'accord commercial de libre-échange entre l'UE et le Mercosur ?
Le projet d’accord commercial de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur ne date pas d’aujourd’hui. Les discussions sont lancées depuis déjà 1999. Un texte d’accord avait fini par être établi en 2019.
Ce traité serait en passe d’être conclu très prochainement, à l’occasion du prochain sommet du G20 qui va se tenir les 18 et 19 novembre 2024 au Brésil. Dans la foulée, au mois de décembre, doit se tenir un sommet du Mercosur.
L’accord prévoit, entre autres, de supprimer 90 % des droits de douane entre les deux zones.
Qu'est-ce qui inquiète les syndicats agricoles ?
L'arrivée des produits du Mercosur en France est vue comme une concurrence déloyale. Tous les syndicats agricoles sont d'accord.
"Ne pas produire avec les mêmes normes que nous sur des exploitations immenses comme au Brésil ou en Argentine, c'est de la concurrence déloyale. On a l'agriculture la plus vertueuse au monde. Pourquoi aller chercher ailleurs ? ", s'inquiète Gabriel Beaulieu, vice-président des Jeunes agriculteurs du Loiret. "On va importer du soja brésilien aux OGM, c'est incompréhensible".
"Ce traité viendrait clairement acter le désarmement de l'agriculture française et européenne face aux marchés mondiaux. L'importation de produits agricoles de ces pays du Mercosur représenterait une concurrence déloyale sur des modèles de production qui ne sont pas du tout entendables dans nos exploitations en France et en Europe", complète Sébastien Prouteau, administrateur à la FNSEA au niveau local et national.
Le Mercosur est un traité de libre-échange qui ne concerne pas que l'agriculture. Il couvre aussi par exemple les filières de l'aéronautique, de l'automobile et les nouvelles technologiques. Pour Sébastien Prouteau, administrateur de la FNSEA Centre-Val de Loire, la signature de ce traité est une façon de considérer "l'agriculture européenne comme une monnaie d'échange". "On vient brader notre mode agricole au profit d'autres filières plus glorieuses pour les décideurs."
Didier Tranchant de la Coordination rurale d'Indre-et-Loire ajoute : " On est en train de brader la plus grande agriculture européenne pour vendre des voitures. Pour être sûr d'avoir une nourriture de qualité, il faut la produire nous-même. Les cargos qui vont ramener ces produits vont énormément polluer. Ces accords sont ridicules. Il faut sortir la partie agricole de l'OMC est avoir une exception "agriculturelle".
"On craint une mort de la filière"
Autre inquiétude des syndicats agricoles : l'avenir de leurs filières. Gabriel Beaulieu, vice-président des JA 45 s'interroge sur ce que vont devenir les productions des agriculteurs français. "En tant que jeune agriculteur, cet accord est écœurant. Comment promouvoir l'installation des jeunes agriculteurs quand on nous invente des règles comme ça ? Ce n'est pas possible."
L'avenir de la filière agricole française est la première préoccupation de la Confédération paysanne depuis longtemps mobilisée contre les accords de libre-échange."On va vers une incertitude dans les années à venir. Faudra-t-il continuer à faire de la viande bovine et de la volaille si on est en concurrence avec l'Amérique du sud ? Un jeune qui s'installe ne sait pas s'il doit se lancer dans cette production. Comme on investit pour 20 ans ou 25 ans, si on a une vision à trois ans, personne ne va se lancer. Les éleveurs ne vont pas investir. Les abattoirs non plus de peur de ne pas avoir de matière première. On craint une mort de la filière", s'inquiète Laurent Beaubois, porte-parole de la Confédération paysanne en Centre-Val de Loire.
Didier Tranchant, président de la Coordination rurale en Indre-et-Loire confirme : "Comme on a des charges supérieures aux autres du fait des contraintes et des réglementations, c'est clair qu'on va avoir un certain nombre d'élevages qui vont disparaître avec ces accords. À terme, ce sera des terres abandonnées."
Les conséquences pour les consommateurs
Outre l'avenir des agriculteurs, c'est pour les consommateurs que les syndicats agricoles s'inquiètent.
" Le consommateur se trouvera aussi floué et trompé sur ces produits puisqu'ils ne correspondent pas à un modèle de production attendu. Ils seront vendus par l'attrait du prix mais il y aura tromperie sur la qualité importée", détaille Sébatien Prouteau de la FNSEA, céréalier installé à Maillé en Indre-et-Loire.
À titre d'exemple, il cite la filière viande et le miel. "Sur la filière viande par exemple, ces pays utilisent les antibiotiques comme accélérateurs de croissance alors qu'ils sont interdits en France et en Europe. L'importation de miel aussi rendrait l'apiculture en France et en Europe quasiment inexistante. On importerait du glucose plutôt que du miel. C'est vraiment déloyal par rapport à nos producteurs."
Il reconnaît que depuis le mouvement des agriculteurs de l'hiver et du printemps dernier, les consommateurs ont pris conscience de la nécessité de consommer local. Mais avec l'inflation, il craint qu'ils n'aient d'autres choix que de se tourner vers les produits issus du Mercosur au détriment des produits français et européens. "Les gens avec des fins de mois compliquées vont regarder le prix avant les origines. Si pour les produits qui n'ont pas connu de transformation, l'origine est facile à identifier, ce n'est pas le cas pour les produits cuisinés et transformés. Le consommateur ne regardera pas les petites lignes."
"Pourquoi importer des choses alors qu'on produit des choses plus saines chez nous ? 75 % des matières actives qui sont utilisées dans les pays du Mercosur sont interdites depuis des années chez nous", s'insurge Gabriel Beaulieu, des JA 45. "En Europe, la population ne veut plus d'antibiotiques. En France, une vache qui a été traitée pour une mammite aux antibiotiques, tout le lait va être jeté. Qu'est-ce qu'il en est de ces productions du Mercosur ?", ajoute-t-il.
"On souhaite garder une agriculture propre en France et privilégier les produits français. Le risque est que l'accord de libre-échange soit signé et que les produits interdits en France depuis 20 ans soient à nouveau autorisés pour rester concurrentiels", soulève Laurent Beaubois, porte-parole de Confédération paysanne de la région Centre-Val de Loire.
Didier Tranchant résume : "C'est un accord qui va permettre de faire manger aux gens tout ce qu'on nous interdit de produire : des bêtes aux hormones, du soja aux OGM... On a suffisamment de qualité chez nous pour ne pas aller chercher ça ailleurs."
Quelles sont les actions prévues par les syndicats agricoles ?
Tous les syndicats agricoles partagent la même inquiétude sur l'arrivée de produits du Mercosur sur le marché européen sans droit de douanes à des prix défiants toute concurrence. Et tous s'inquiètent pour l'avenir des filières françaises, notamment bovine.
Mais à un peu plus d'un mois des élections dans les chambres d'agriculture qui auront lieu en janvier, chaque syndicat va organiser ses propres actions. "Il faudrait une action européenne pour peser sur les négociations", estime Laurent Beaubois, éleveur dans le Loiret et porte-parole de la Confédération paysanne en Centre-Val de Loire. "Et on en est loin", déplore-t-il.
Chaque syndicat annonce vouloir commencer par des opérations de barrages filtrants et des actions de communication auprès des consommateurs pour leur expliquer les enjeux de la signature de ce traité de libre-échange.
En Indre-et-Loire, Sébastien Prouteau de la FNSEA annonce que les actions seront sensiblement identiques à celles de l'hiver et du printemps "avec une situation économique et climatique plus inquiétante". Cela veut dire que les points de blocage risquent d'être plus durs ou longs. L'objectif est "de ne pas prendre le consommateur en otage parce que l'hiver dernier la population a soutenu le monde agricole et il est important de conserver ce soutien-là. Mais les points de blocage sont inévitables", prévoit-il.
La FNSEA d'Indre et Loire sera présente à Ferm'Expo ce week-end pour expliquer les enjeux de la signature du traité de libre-échange avec le Mercosur. Puis les actions devraient monter en gamme dans les jours et les semaines à venir.
Si les agriculteurs ne se sentent pas écoutés, une montée en puissance est possible "vu la morosité actuelle des agriculteurs". "Je vois beaucoup d'exploitants autour de moi qui sont perdus. Entre la météo capricieuse et des intrants qui ont augmenté, la ratification du Mercosur nous donne vraiment l'impression qu''on se moque de nous", constate Gabriel Beaulieu, vice-président des JA du Loiret. Le syndicat organisera une action lundi 18 novembre sur le Pont de L'Europe à Orléans.
La Confédération paysanne a organisé ses premières actions le 12 novembre. Dans le Loiret, elle prévoit de rejoindre le mouvement lundi 18 novembre et envisage de bloquer une concession automobile pour "dénoncer qu'on brade l'agriculture pour vendre des voitures".
La Coordination rurale déclare pour sa part préparer une "révolte agricole" à compter du 19 novembre. En Indre-et-Loire, les actions commenceront à partir du 20 novembre après le congrès national organisé au Futuroscope dans la Vienne. "Pour le moment ,on a beaucoup de travail dans les champs. Avec la météo difficile, on a pris beaucoup de retard dans les semis et les récoltes."
Côté gouvernement français, Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a rappelé ce jeudi 14 novembre sur Sud radio que la France était contre la signature de ce traité de libre-échange dans les conditions actuelles.